La Société Générale crée un portefeuille d’actifs dédié au nucléaire - Sfen

La Société Générale crée un portefeuille d’actifs dédié au nucléaire

Publié le 15 novembre 2022
  • financement

La banque d’investissement du groupe Société Générale a créé un panier d’actions d’entreprises asiatiques, américaines, et européennes comprenant industriels et énergéticiens du secteur nucléaire civil. Un symbole du dynamisme de ce secteur. Peu de valeurs françaises sont cependant présentes.

Après une phase d’atonie des commandes et une défiance politique, la filière nucléaire connaît depuis quelques années un renouveau porté par les enjeux de défis climatiques, de souveraineté énergétique et de sécurité d’approvisionnement. Certains pays occidentaux, qui imaginaient se passer de l’atome, engagent même des revirements politiques liés à la prolongation de réacteurs.

De nombreux pays construisent ou prévoient de construire des réacteurs, en particulier en Asie. 56 tranches sont actuellement en construction dans 18 pays. L’Asie en compte 35, l’Europe centrale et orientale 13. La Chine totalise à elle seule 18 réacteurs en construction. Ce dynamisme de la filière porte aussi sur l’émergence de nouveaux concepts de réacteurs (4ème génération) et l’essaimage des startups du nucléaire.

Ainsi, que ce soit pour les investissements nécessaires aux travaux de maintenance liés au prolongement des réacteurs en exploitation ( « grand carénage » en France), ou la construction de nouveaux réacteurs,  ou à la recherche et développement, les besoins en liquidité de la filière nucléaire sont élevés. Saisissant ce retour en grâce du nucléaire[1], la branche investissement de la Société Générale a créé pour ses clients un portefeuille d’actions appelé « le SG Global Nuclear Basket », un panier d’actions de 38 entreprises du nucléaire. Un signal fort et rare dans le monde de la finance.

Selon Frank Benzimar, responsable de la stratégie d’investissement en Asie de la banque, le panier d’action offre un rendement supérieur de 14 % relativement au rendement des indices de l’ensemble du marché et présente un ratio cours sur bénéfice (P/E) de 13[2]. Pour rappel, la capitalisation boursière d’une entreprise est la valeur future de l’entreprise telle que projetée par le marché. Plus ce ratio est élevé, plus le marché considère que les perspectives de croissance de l’entreprise, et donc les profits futurs, sont élevées. Ainsi, le regain d’intérêt pour le nucléaire se matérialise aussi sur les marchés financiers.

Peu de valeurs françaises

Ce portefeuille d’entreprises est composé à 37 % d’industriels, 9 % de producteurs d’uranium et 54 % d’énergéticiens. Il couvre tous les pans de la filière nucléaire : de l’amont (mines, enrichissement etc.), à l’aval (recyclage, stockage etc.) en passant par la production (construction, maintenance, déconstruction etc.). Toutes dépassent une capitalisation boursière individuelle de 500 millions de dollars. Les valeurs sont situées en Asie (41 %), en Europe (25 %) et en Amérique du Nord (34 %) avec une très nette surreprésentation des énergéticiens américains. En Europe, notons la présence de l’énergéticien CEZ, détenue à 70 % par le gouvernent tchèque, qui construit actuellement une nouvelle centrale, Dukovany 5. En Asie, il faut souligner la présence significative d’entreprises japonaises et coréennes.

Pour la France, on compte la valeur Engie, qui opère les dernières centrales belges avec sa filiale Electrabel et Spie. Toutefois, nulle présence d’EDF et d’Orano, grands absents de ce portefeuille. Ceci pourrait avoir un lien avec l’intention de rachat par le gouvernement français de certaines activités de l’énergéticien français (dont le nucléaire) et la restructuration subséquente du groupe.

En raison des risques spécifiques associés au secteur du nucléaire civil, la banque demande aux entreprises concernées qu’un cadre réglementaire « couvrant la sûreté, la sécurité et les mesures de protection ainsi qu’une gouvernance appropriée », soit en place dans les pays où ont lieu les projets. Entre autres exigences, il faut que le pays soit membre de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dispose d’une autorité de sûreté reconnue, soit signataire du traité de non-prolifération, etc.

D’ici à 2050, les besoins en investissement dans le nucléaire civil vont croître à des niveaux inédits 

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la trajectoire « la moins risquée technologiquement, la plus économique, et la plus acceptable socialement » qui permette d’atteindre les objectifs de zéro émission nette d’ici à 2050, reposera sur un doublement de la capacité nucléaire, de 413 GW début 2022 à 812 GW en 2050. Une telle trajectoire suppose de mettre en service 27 GW de capacité nucléaire chaque année – un rythme de déploiement inédit pour la filière nucléaire. Cet enjeu industriel n’est pas propre au nucléaire et concerne également les renouvelables[3].

Dans ce contexte, la finance a un rôle pivot à jouer : celui de créer ou accélérer les dynamiques d’investissements, massifs, appelés par la transition de nos systèmes énergétiques. Pour la seule Europe, le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton estime les besoins en investissement d’ici à 2050 à 500 milliards d’euros. Or, la majeure partie de la finance est aveugle aux autres considérations que celles de la profitabilité et, sans des politiques incitatives, cela favorise, dans le secteur énergétique, les projets fossiles. Les gouvernements et institutions ont un rôle de premier plan à jouer pour flécher les flux financiers vers les projets bas carbone. L’irruption de différentes taxonomies dans le monde (et l’inclusion du nucléaire dans la majorité d’entre elles) est un premier pas dans ce sens[4].  ■

Par Ilyas Hanine (Sfen)

Photo : ©Benjamin Polge / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

[1] Et bien sûr le fait qu’un actif nucléaire, une fois mise en service, ne constitue plus un investissement risqué puisqu’au regard de la consommation future d’électricité, on peut s’attendre à un taux d’utilisation élevé assurant une rémunération suffisante (cf. AIE, 2022).

[2] C’est-à-dire que la capitalisation boursière de ces entreprises est 13 fois supérieure à leur bénéfice.

[3] Même dans la logique d’addition des énergies bas-carbone, qui assure une trajectoire plus robuste pour l’atteinte des objectifs climatiques liés à la production d’électricité, le rythme de déploiement de celles-ci doit très fortement s’infléchir (RTE, 2021). Et à plus forte raison en se passant d’un programme nouveau nucléaire.

[4] Comme l’indique le GIEC (WG3), les gouvernements peuvent aussi altérer les taux des investissements bas-carbone, créant de fait une prime verte, ce qui créerait un espace économique concurrent aux investissements fossiles.

 

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