Jules Horowitz l’autre réacteur en chantier
En construction à Cadarache (Gard), Jules Horowitz devrait succéder vers 2019, à son grand frère Osiris. Réacteur polyvalent et flexible, le « RJH » permettra d’étudier le comportement des matériaux et des combustibles de tous les réacteurs de puissance : 2e, 3e et 4e génération. Ce sera également un important producteur de radioéléments, capable de produire jusqu’à 50 % du technétium utilisé dans des opérations de médecine nucléaire en Europe. Le chantier est bien avancé : le bâtiment réacteur est sorti de terre, le dôme posé… Visite guidée d’un réacteur unique.
Dans un contexte d’exploitation des centrales nucléaires au-delà de 40 ans, les recherches pour améliorer les performances et la sûreté des réacteurs de puissance sont essentielles. Les réacteurs expérimentaux permettent de tester le comportement des matériaux et des combustibles sous de forts flux de neutrons, ce qui est très important lorsqu’il s’agit de qualifier des prototypes ou des produits industriels qui seront utilisés dans les réacteurs en exploitation ou dans ceux de demain.
Or, en Europe, ces réacteurs de recherche datent des années 1960 et sont, soit soumis à des opérations de maintenance lourdes qui les rendent indisponibles pendant plusieurs mois, soit arrêtés. Pour continuer à innover, un nouveau réacteur de recherche est indispensable. C’est là que le réacteur Jules Horowitz (RJH) entre en piste.
Polyvalence et flexibilité
En 2007, un consortium international (voir page 72) a engagé la construction du RJH. Plus puissant (100 MW thermique) que le réacteur Osiris (Saclay – Ile-de-France), il se distingue aussi de son aîné par ses caractéristiques intrinsèques : la polyvalence et la flexibilité.
Pour la première, le RJH disposera d’un « spectre neutronique à deux bosses », capable de produire des flux intenses de neutrons, tant dans le domaine thermique (recherches pour les réacteurs en exploitation) que dans le domaine rapide (applications pour les réacteurs de la 4e génération). Par ailleurs, le RJH produira le radioélément « best–seller » de la médecine nucléaire : le technétium 99 Mo. Il fournira 25 % des besoins européens et pourra monter jusqu’à 50 % en cas de pénurie (contre 10 % pour Osiris). Un atout lorsque l’on sait que les phénomènes de pénuries se sont multipliés ces dix dernières années (voir RGN n° 1 2 015).
La seconde caractéristique du RJH, sa flexibilité, lui permettra de mener une vingtaine d’expériences en même temps dans des conditions extrêmement variables. Les nouveaux systèmes d’instrumentations pourront remonter l’information en ligne sur le comportement du combustible et des matériaux. En complément du principe de « cook and look » utilisé à Osiris (on irradie des échantillons, on les sort, on les teste, on constate). Ces nouveaux dispositifs permettront l’accès à l’évolution de paramètres physiques sous flux.
Ces missions n’auraient pas pu être remplies par des réacteurs de puissance : le RJH vieillit dix fois plus vite les matériaux et son cœur a été conçu pour laisser de la place pour des instruments de mesure.
Le dimensionnement d’un réacteur 900 MWe
En matière de sûreté, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ne fait pas de distinction entre les réacteurs de recherche et les réacteurs de puissance. La réglementation demande aux nouveaux réacteurs d’adopter les performances de sûreté des réacteurs de 3e génération.
Ainsi, le dimensionnement de l’enceinte du RJH s’apparente à celui d’une tranche de 900 MW : 43 mètres de hauteur pour 37 m de diamètre. Par contre, le cœur du réacteur est de 60 cm sur 60 cm. Pour se faire une idée des volumes, il faut donc imaginer un réacteur de 900 MW avec à l’intérieur un cœur de la taille d’une – grosse – machine à laver !
dès 1946. Ce physicien de renommée internationale est l’un des pères de la filière uranium-graphite-gaz. En 1962, il était directeur des piles atomiques au Commissariat à l’énergie atomique.
Les étapes clés du chantier
La préparation du site et la paroi cloutée (juin 2007 à juin 2008)
Avant de construire le réacteur, d’importants travaux de terrassement ont été engagés. Dans un premier temps, il a fallu préparer le site à l’excavation. Des explosifs ont été utilisés pour enlever 360 000 m3 de roche. Une opération délicate menée en tenant compte de la proximité géographique de la maquette critique Masurca.
Placé « à fond de colline », le RJH est « semi-enterré » pour parer une éventuelle agression extérieure et s’affranchir des phénomènes de liquéfaction liés aux caractéristiques de la vallée de Cadarache où se trouve une faille sismique.
Tout autour, la paroi de l’encuvement du réacteur a été clouée de longues tiges métalliques de 14 mètres de long permettant de stabiliser la roche.
Les appuis parasismiques (2009)
Le RJH est l’une des premières unités nucléaires construite sur appuis parasismiques. Cette isolation parasismique est la même que celle d’ITER (les deux projets ont d’ailleurs partagé les processus de qualification). À ceci près que le réacteur de fusion dispose de 500 appuis et le réacteur de recherche de 200, permettant de supporter un îlot nucléaire d’environ 100 000 tonnes (soit 500 tonnes par plot). Ces appuis, composés d’un bloc de néoprène fretté compris entre deux platines métalliques, isolent l’unité nucléaire du radier inférieur coulé sur le sol. Ces dispositions parasismiques, bien connues pour la construction des ponts, permettent de filtrer les mouvements du bâtiment des mouvements de terrain et donc de limiter les accélérations sismiques transmises au bâtiment et aux équipements.
Le radier supérieur et le bâtiment réacteur (2010-2013)
En 2010, le radier supérieur a été coulé sur les appuis parasismiques. Il reçoit le bloc piscine, dont la densité d’armature (400 à 500 kg d’acier par mètre cube de béton) et les exigences de protection radiologique ont amené au développement et à la qualification d’un béton lourd auto-plaçant spécifique. L’ensemble de l’unité nucléaire a « consommé » 40 000 m3 de béton.
Parmi les difficultés techniques, il a fallu anticiper la fixation des équipements pour les 50 ans d’exploitation de l’installation (chemin de câbles, gaines techniques, points de manutention, passerelles, supports de cannes…). Des platines métalliques, solidaires du ferraillage, ont donc été installées sur les parois de l’unité nucléaire.
Le dôme (décembre 2013-2 014)
Le coffrage perdu et métallique du dôme a été assemblé en trois mois sur chantier, à côté du bâtiment réacteur. La pose de cet « objet » de 150 tonnes a été réalisée en une fois : il a été soulevé à l’aide d’une des deux seules grues au monde capable de soulever un tel édifice avec une précision de l’ordre d’un centimètre en rotation et en position. Une année a ensuite été nécessaire pour ferrailler le dôme et le bétonner en une seule opération avec du béton auto-plaçant.
Travaux de précontrainte (2015)
L’enceinte du bâtiment réacteur est en béton précontraint. La technologie utilisée est celle de la « précontrainte par torons gainés graissés ». Elle permet d’insérer des câbles métalliques dans une gaine, de les graisser dans celle-ci, puis d’introduire un coulis ciment dans ces conduits pour fixer les gaines. Une fois le ciment sec, les câbles sont tirés. Cette technologie permet, pendant toute la durée d’exploitation, de contrôler la tension des câbles, de les retendre ou de les remplacer.