Jaitapur, en route pour 6 EPR en Inde ? Interview

Après un accord de coopération industriel signé en mars 2018 qui a permis la remise d’une offre technico-commerciale non engageante par EDF fin 2018, EDF vient de remettre son offre technico- commerciale engageante pour la construction de six EPR en Inde sur le site de Jaitapur. Interview de Vakis Ramany, directeur du développement pour le nouveau nucléaire à l’international chez EDF.
Que contient cette offre et quelles sont les prochaines échéances dont l’accord-cadre ?
Vakis Ramany : L’offre technico-commerciale remise par EDF à son client NPCIL est une offre engageante. Elle comprend la configuration technique détaillée de l’EPR, tenant compte des éléments transmis par NPCIL sur les conditions du site de Jaitapur et des travaux approfondis menés conjointement entre EDF et NPCIL ; ainsi que les conditions commerciales détaillées associées pour la fourniture des études d’ingénierie et des équipements pour 6 réacteurs de type EPR.
Par ailleurs, l’offre remise s’appuie sur les complémentarités entre EDF et NPCIL avec une répartition des responsabilités.
EDF intervient en tant que fournisseur de la technologie EPR. A ce titre, le groupe fournit les études d’ingénierie et les équipements en vue de la construction des six réacteurs. Il s’appuie sur le savoir-faire de sa filiale Framatome pour la fourniture des éléments des six chaudières nucléaires et s’associe à son partenaire historique GE Steam Power pour la fourniture des éléments des six îlots conventionnels qui seront tous équipés de la turbine à vapeur française ArabelleTM. EDF est garant de la performance de chacune des 6 unités EPR, selon des conditions spécifiques et sur une durée limitée. Enfin, EDF assure la formation des futures équipes d’exploitation de NPCIL. EDF n’est ni investisseur dans le projet ni en charge de la construction.
Quant à NPCIL, il est responsable de la construction et de la mise en service de chacune des 6 unités de la centrale nucléaire de Jaitapur ainsi que de l’obtention de l’ensemble des autorisations et certifications requises en Inde, dont l’agrément de la technologie EPR par l’autorité de sûreté indienne, en tant que propriétaire et futur exploitant de la centrale. Durant la phase de construction, NPCIL pourra bénéficier d’une assistance d’EDF et de ses partenaires, notamment concernant le retour d’expérience des autres projets EPR.
Quelles sont les entreprises françaises et corps de métiers qui interviendront directement dans ce projet sachant que l’Inde est le responsable de la construction et de la mise en service de l’EPR ? En quoi les entreprises françaises pourraient-elles tirer parti de l’expérience de ces constructions pour des chantiers futurs en France (sachant que l’on a reproché à l’industrie nucléaire française de ne plus savoir construire) ?
Vakis Ramany : Les fournitures de l’ensemble des études d’ingénierie et des équipements nécessaires à l’implémentation de la technologie EPR embarqueront de nombreuses entreprises françaises. C’est le cas pour Framatome, et sa supply chain pour la fourniture des études d’ingénierie et des équipements pour les 6 chaudières nucléaires. GE Steam Power, notre partenaire historique, et sa supply chain, fourniront des études d’ingénierie et des équipements pour les six îlots conventionnels qui seront tous équipés de la turbine à vapeur française ArabelleTM. Nous pouvons évoquer aussi Assystem en consortium avec l’entreprise indienne Reliance Infrastructure qui réalisera des études d’ingénierie et la fourniture d’équipements pour les services auxiliaires.
A ces entreprises s’ajouteront les nombreux fournisseurs d’équipements ou composants (hors chaudière) nécessaires à l’ilot nucléaire : nombre d’entre eux font partie du catalogue de fournisseurs EDF de l’EPR et ont déjà été qualifiés pour fournir des équipements clés de l’EPR selon un processus rigoureux d’analyse inscrit dans les pratiques du groupe. Au global, on évalue à une centaine le nombre de fournisseurs français qui seraient impliqués dans le projet, avec des retombées industrielles significatives pour la filière française.
Il est certain que le projet Jaitapur appellera la contribution des ingénieries d’EDF et des bureaux d’études en France ainsi que des usines françaises, renforçant les compétences de la filière au bénéfice du parc nucléaire français, et des futurs projets EPR.
Des pièces de l’EPR pour l’Inde seront-elles fabriquées en France ? Vous évoquez notamment la turbine à vapeur française ArabelleTM. En quoi est-elle innovante ?
Vakis Ramany : Les gros équipements de l’EPR concernant l’ilot nucléaire seront essentiellement fabriqués en France dans les usines de Framatome. Ce sont les cuves et internes de cuve, les générateurs de vapeur, les pressuriseurs.
Concernant l’ilot conventionnel, les 6 turbines ArabelleTM de GE Steam Power seront fabriquées en France à Belfort, ainsi que certains équipements de l’ilot conventionnel. ArabelleTM est la turbine à vapeur la plus puissante du monde en exploitation. Elle a battu des records de performance sur les EPR de Taishan en Chine avec une puissance vapeur de 1750 MW par turbine.
Enfin, comme évoqué, d’autres équipements essentiels à la technologie EPR seront aussi fabriqués en France, en bénéficiant du retour d’expérience des précédents projets EPR.
Il est évoqué une durée de projet de 15 ans. Ils contiennent la construction des 6 EPR ? Les études montrent que l’on gagne en coût en construisant par lot de paire. Comment EDF compte s’organiser ?
Vakis Ramany : La responsabilité d’EDF se limite aux études d’ingénierie et de fourniture d’équipements de la technologie EPR. La construction, le montage et la mise en service sont de la responsabilité de NPCIL. De même, l’intégration globale et donc le planning global sont de la responsabilité de NPCIL.
La durée d’une quinzaine d’années pour l’ensemble du projet est indicative et il reviendra bien à NPCIL de confirmer le planning général de construction. On peut toutefois souligner qu’un projet de cette ampleur, portant sur la construction de trois paires d’EPR devrait être porteur de synergies industrielles importantes entre les paires, notamment pour ce qui est des études d’ingénierie, des travaux de site, des achats de fourniture ou encore à terme de la gestion de l’exploitation.
EDF a pu constater l’intérêt d’une construction par paire sur sa flotte domestique pour optimiser les coûts de projet. C’est d’ailleurs sur la base de « l’effet de série » que le parc nucléaire français s’est structuré. NPCIL, en tant que constructeur et exploitant expérimenté, aura certainement à cœur de favoriser de fortes synergies entre les paires pour maximiser l’effet de série doublé de l’effet de site (6 tranches sur un même site) pour ce projet.
EDF n’est pas investisseur dans ce projet, le schéma industriel agréé permet de positionner EDF et la filière française sur un périmètre à très forte valeur ajoutée, à savoir les études d’ingénierie et les équipements. Pour ce qui est de la rentabilité attendue en termes de coûts au périmètre d’EDF, ces informations relèvent du secret commercial.