ITER : une machine pour reproduire l’énergie du soleil - Sfen

ITER : une machine pour reproduire l’énergie du soleil

Publié le 21 juin 2016 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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En 2100, les réacteurs nucléaires fourniront-ils une énergie abondante basée sur la fusion ? A Cadarache, dans le sud de la France, des ingénieurs du monde entier sont mobilisés sur ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor – le « chemin » en latin), projet international destiné à vérifier la faisabilité scientifique et technique de la fusion nucléaire. Tour d’horizon des défis avec Jérôme Pamela, ancien directeur de l’agence ITER France.

Guillaume Champion (SFEN JG) : Quelles sont les objectifs d’ITER ? 

Jérôme Pamela – ITER doit démontrer la faisabilité scientifique et technique de la fusion par confinement magnétique, phénomène dans lequel des noyaux légers comme les deux isotopes de l’hydrogène (tritium et deutérium) sont amenés à fusionner lorsqu’ils sont portés à des températures de plusieurs millions de degrés.

ITER doit générer 10 fois plus de puissance que ce qui est injecté dans son système. Dans une première étape, prévue dans une quinzaine d’années, nous visons le maintien de cette production de puissance pendant plusieurs minutes.

Ensuite, un prototype sera développé pour démontrer la capacité à produire de l’électricité en continu. Cette étape préfigurera alors la filière industrielle de la fusion nucléaire.

Quel est le rôle de la France dans ce projet ?

JP – L’implication de la France dans ce projet international est incarnée par l’agence ITER France.

Nous avons été chargés de préparer le site d’ITER à Cadarache : réalisation de la plate-forme destinée à recevoir l’installation, bâtiments de bureaux, équipement de base, raccordements au réseau électrique 400kV, connexion au canal de Provence, etc.

Nous avons aussi à relever des défis plus techniques, comme la mise en place d’une filière de traitement des déchets qui seront produits par ITER. Nous sommes aussi chargés d’anticiper le démantèlement de la machine, ce qui suppose d’intégrer cette dimension dès la construction du projet.

Nous avons également pris en main la question de l’accueil des entreprises autour du chantier, coordonnant avec la préfecture de région et les services de l’Etat de nombreux sujets importants pour le territoire : formation et emploi, logements, transport, accueil des entreprises et information des sous-traitants potentiels.

Quels sont les défis technologiques les plus importants ?

JP – Ils sont nombreux : réaliser des champs magnétiques très intenses, à la limite des capacités des supraconducteurs ; refroidir ces grands aimants (pour cela l’industrie va développer le système cryogénique le plus puissant du monde) ; contrôler les particules et la chaleur qui sortent du plasma avec des composants capables de contenir un plasma atteignant 10 millions de degrés Celsius…

Le défi d’ITER, c’est l’intégration de toutes ces technologies dans une grande machine complexe.

Quel pourrait être le rôle de la fusion dans le mix énergétique ?

JP – La fusion devrait entrer sur le marché de l’énergie dans la deuxième moitié du siècle.

Les modèles économiques mettent en évidence une caractéristique majeure : il s’agit d’une source d’énergie dont le coût sera dominé par les investissements initiaux et pas par le prix du combustible comme le sont les énergies fossiles.

Les projections sont difficiles pour évaluer précisément la compétitivité de la fusion dans 50 ans. Une chose est certaine : les besoins en énergie seront tels que la fusion, lorsqu’elle aura atteint le stade industriel, devrait pouvoir se creuser une place dans le paysage énergétique mondial.

 

Quels sont les avantages de la fusion par rapport à la fission ?

JP – Tout comme la fission, la fusion fera partie des énergies bas carbone à mobiliser pour lutter contre le changement climatique.

La fusion a trois avantages. Tout d’abord, son combustible devrait être quasi inépuisable. Le deutérium est abondant dans l’eau de mer, le tritium sera à terme produit à partir du lithium, abondant dans la croûte terrestre et dans les océans.

Du point de vue de la sûreté, la nature intrinsèque des réactions de fusion rend impossible des accidents semblables à ceux de Tchernobyl ou Fukushima. La réaction est très difficile à produire, et toute perte de contrôle entraine l’arrêt de cette réaction qui ne peut pas se produire spontanément.

Enfin, la fusion par confinement magnétique ne comporte pas d’enjeux de prolifération : elle ne permet pas de fabriquer de bombes, elle ne permet pas non plus de créer les noyaux radioactifs qui servent à les faire. En pleine Guerre Froide, Russes et Américains ont rendu publics leurs travaux sur la fusion.

Ce sont ces qualités intrinsèques à la fusion qui ont conduit certains pays, comme l’Allemagne, à confirmer leur soutien à la fusion nucléaire.

Quels sont les inconvénients de la fusion ?

JP – On entend souvent dire que la fusion ne produira pas ou très peu de déchets et qu’il s’agit d’une énergie propre. Ce n’est pas tout à fait exact. Si la réaction de fusion nucléaire ne produit pas directement d’éléments radioactifs, elle produit cependant des neutrons qui peuvent rendre radioactives les structures composant la chambre de réaction.

Cela nous donne donc une opportunité : n’étant pas tenus par la réaction elle-même en termes de production de déchets, nous pouvons optimiser les matériaux constituant la chambre de réaction et donc minimiser la production d’éléments radioactifs à vie longue.  Par conséquent, il y a une possibilité réelle d’avoir des déchets qui, après une centaine d’années de décroissance radioactive, seront pour la plupart à des niveaux d’activité très bas, leur permettant même d’être en grande partie recyclés.

Il est donc faux de dire que la fusion ne produira pas de déchets, mais vrai de dire que ces déchets ne devraient pas poser de problèmes au-delà d’une centaine d’années environ.

Un autre aspect important concernant les déchets de la fusion vient du fait qu’ils contiendront du tritium, isotope radioactif de l’hydrogène qui constitue un des deux éléments du combustible qui sera utilisé ; sa radiotoxicité est très faible. Les déchets contenant du tritium requièrent une gestion particulière.

Quelles sont les pistes étudiées en matière de gestion des déchets ?

JP – Il y a deux grandes pistes pour traiter la question de la gestion des déchets produits par des installations comme ITER. La première consiste à prévoir une installation de décroissance du tritium : le niveau de radioactivité d’une quantité de tritium donnée diminue de moitié en moins de 13 ans. En quarante ans, son activité est divisée par 10, ce qui est plutôt court par rapport à certains autres déchets radioactifs. Une fois qu’ils sont suffisamment désactivés (une cinquantaine d’années serait suffisante), ces déchets peuvent être stockés sur les sites gérés par l’Andra.

L’autre approche réside dans le développement de techniques pour extraire le tritium des déchets constitués de composants métalliques. Il restera encore à nous occuper du tritium, mais le gros du volume de déchets sera dispensé d’un entreposage long et pourrait être envoyé beaucoup plus tôt à l’Andra. Lorsque nous aurons développé des techniques qui permettent de le faire efficacement et économiquement viable, alors nous aurons fait un grand pas de plus dans le développement de la filière de fusion nucléaire.

 

Quels sont les autres défis d’ITER ?

JP – Concernant l’aspect durable du développement de la fusion, il y a encore un point auquel nous devons penser : s’assurer que les matériaux adéquats pour la fusion soient disponibles sur terre de manière durable. En effet, il s’agit d’éviter que la fusion fasse un jour face à une pénurie des métaux nécessaires à la construction des réacteurs. L’abondance des ressources naturelles nécessaires à une technologie est un sujet qui n’est pas anodin lorsqu’on vise le long terme.

Crédit photo : DR

Publié par Guillaume Champion (SFEN JG)

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