Déchets nucléaires : la première phase d’instruction technique de Cigéo est achevée
À l’occasion de la finalisation du premier volet de l’instruction technique du dossier de demande d’autorisation de création (DAC) de Cigéo, la Sfen a rencontré Frédéric Plas, directeur du programme Cigéo à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), pour faire le point sur cette instruction.
La phase d’instruction technique du projet d’enfouissement technologique Cigéo, structurée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a été programmée sur 30 mois. La première phase, qui concernait les « données d’entrée pour la conception et l’évaluation de sûreté » de Cigéo (Centre industriel de stockage géologique), vient de s’achever. Les conclusions des avis de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et du groupe permanent [1], sollicités par l’ASN, soulignent que toutes les données de base expertisées étaient robustes et suffisantes pour évaluer la sûreté de Cigéo. La deuxième phase de l’instruction concernant la sûreté en exploitation a déjà débuté. Ses conclusions sont attendus pour la fin de cette année 2024.
Des incertitudes semblent subsister sur la structure de la roche. De quoi s’agit-il et qu’a prévu l’Andra ?
Les travaux de traitement de la sismique 3D haute résolution réalisée en 2009/2010 sur la zone pressentie pour l’implantation de Cigéo, avaient mis en évidence l’existence possible d’une flexure au niveau de la future zone de stockage des déchets HA (hautement radioactifs). Cette flexure, parfaitement connue géologiquement, posait une interrogation tout à fait normale de la part de l’IRSN, quant à une éventuelle corrélation avec les propriétés et le comportement globale de la roche hôte à ce niveau. Des travaux complémentaires et des corrections sismiques, qui n’avaient pas été réalisées à l’époque, ont été menés notamment grâce à un expertise externe, et ont conduit à un affinage de la géométrie de la zone. Les résultats de ces études ne montrent cette fois pas la présence de cette flexure.
Il est donc tout à fait normal que l’IRSN se questionne à nouveau et nous demande de nous assurer de cette évaluation. Nous y répondrons, par exemple dans le cadre de la reconnaissance à l’avancement lors du creusement de l’installation souterraine, qui permettra de fournir une caractérisation encore plus précise de la zone, ou avec des forages profonds complémentaires prévus en périphérie de la zone d’implantation de Cigéo
Quels sont les compléments à apporter au sujet des aléas météorologiques issus du changement climatique ?
Compte tenu de la durée d’exploitation de Cigéo, qui est d’environ un siècle, on ne peut pas préjuger de l’absence d’une évolution climatique dans le futur au niveau du site de Cigéo. Cette évolution climatique peut engendrer des modifications de données d’entrée comme la pluviométrie, les vents, la neige, etc.
Toute une série de données météorologiques ont été prises en compte dans la conception globale de Cigéo et ont été retenues pour la DAC (demande d’autorisation de création), au meilleur des connaissances et suivant une approche prudente. Néanmoins, dans une logique de progrès continu, on continue – et ça c’est la vie normale d’une installation – à regarder les évolutions climatiques éventuelles et à pouvoir prendre des dispositions si on s’apercevait d’évolutions significatives (par exemple des vents plus extrêmes que ceux que l’on a pris en compte pour la DAC). De plus, dans la vie normale d’une installation nucléaire de base, les réexamens de sûreté tous les 10 ans, prendront en compte d’éventuelles évolutions climatiques, ce qui pourra conduire aussi à prendre les dispositions nécessaires le cas échéant.
À titre d’exemple, nous avons mené et continuons à mener des études sur des scénarios climatiques à 100 ans concernant certains risques d’inondation en surface. Les installations de surface de Cigéo seront localisées sur les calcaires du barrois, une formation de type épikarst [2]. La conception des bâtiments de surface, et en particulier des bâtiments nucléaires, a pris en compte les caractéristiques hydrogéologiques, à date, de ces calcaires du barrois, de manière prudente. Des adaptations pourront toujours être retenues en cas d’éventuelles modifications de l’hydrogéologie de cette formation dans le futur.
Quelles sont les précisions attendues concernant les méthodes de scellement des colis de déchets ?
Cigéo est conçu pour être fermé à la fin de son exploitation. Cela se matérialise par la mise en place notamment de scellements en certains points des galeries, des puits et des descenderies. Les caractéristiques retenues pour le scellement des galeries doivent remplir, entre autres, deux fonctions principales. La première est de limiter les flux d’eau au sein de l’installation grâce à la bentonite (une argile), reconnue pour ses qualités exceptionnelles en tant que bouchon hydraulique. La seconde est de permettre de laisser passer suffisamment les gaz, notamment l’hydrogène issu de la corrosion anoxique des métaux présents dans le stockage après la fermeture de l’installation, pour limiter la pression.
Un concept de scellement, avec les éléments justificatifs reprenant ces fonctions, a donc été présenté dans la DAC. L’IRSN a formulé une demande de définition détaillée de cet objet. C’est le processus que l’on est en train d’engager. Nous avons les éléments généraux au stade d’une DAC, maintenant, on avance vers une définition détaillée, notamment en vue des démonstrateurs de scellements prévus dans Cigéo dès la phase industrielle pilote, l’idée étant de ne pas nous restreindre à ce stade-là dans une définition extrêmement précise, mais d’avancer progressivement.
Quelles sont vos attentes vis-à-vis de la deuxième phase de l’instruction ?
La deuxième phase d’instruction concerne l’évaluation de la sûreté pendant l’exploitation de Cigéo. Ce qui est important, c’est que cette deuxième phase , qui a déjà débuté, se poursuive de la même manière que s’est faite la première phase. Je voulais ainsi souligner l’engagement fort de tous les acteurs. L’ASN, l’IRSN, les groupes permanents se mobilisent, avancent, avec des évaluations extrêmement rigoureuses et de haut niveau, compte tenu des enjeux. L’Andra y répond par la mobilisation de ses équipes d’ingénieurs et de scientifiques, dans tous les domaines concernés, autour bien évidemment de la sûreté.
Cette second phase est déjà bien avancée. C’est par exemple le cas pour les facteurs organisationnels et humains qui, comme pour le DOS, ont fait l’objet d’interviews par l’IRSN d’un panel diversifié de personnes au sein de l’Andra. C’était à la fois dans l’objectif de comprendre et d’évaluer l’organisation passée qui a conduit à la DAC, celle actuelle, en terme de maîtrise du projet Cigéo, mais aussi en prévision des futures phases de construction et d’exploitation. ■
Propos recueillis par François Terminet (Sfen)
Image : Schéma conceptuel de Cigéo, Source : Andra
[1] Groupe d’experts d’horizons différents et sur différentes thématiques, qui peuvent être à la fois nucléaires et non nucléaires.
[2] Zone karstique, ayant subie une dissolution, caractérisée par un réseau de fissures et de cavités qui collecte et transporte l’eau de surface