La Hague et MELOX pourront être exploités jusqu’en 2040
Pour tout savoir sur les activités des installations de La Hague et de Melox, sur le plan industriel, commercial et stratégique, rencontre avec Jean-Pierre Gros, Directeur de la Business Unit Recyclage d’AREVA.
Décrivez-nous en quelques mots les faits marquants de votre parcours et les raisons qui vous ont conduit à évoluer essentiellement dans le milieu du nucléaire ?
Jean-Pierre Gros – titulaire d’un doctorat en métallurgie et d’un diplôme d’ingénieur de l’Institut National Polytechnique de Grenoble (INPG), j’ai débuté ma carrière chez Péchiney dans le domaine de la R&D. J’ai ainsi pu occuper des responsabilités de production au sein des établissements de Rugles (Eure) et de Montreuil-Juigné (Maine-et-Loire) respectivement en charge des fabrications de produits plats et produits longs en zirconium pour une application au nucléaire. En 1995, je suis devenu Directeur de l’usine de Paimboeuf jusqu’en 1999. En 2000, j’ai accepté le poste de Directeur Général de la société Franco-belge de Fabrication de Combustible (FBFC) et de la Compagnie pour l’Étude et la Réalisation de Combustibles Atomiques (CERCA). À partir de 2003, j’ai occupé la fonction de Directeur Général de CEZUS et directeur activités Zirconium. Cette période m’a vraiment marqué car je pouvais avoir une vision technique et technologique sur l’ensemble du cycle du zirconium du minerai à la fabrication des tubes servant au gainage du combustible. En janvier 2007, j’ai été en charge de 2 postes au sein de la BU Combustible : Adjoint au Directeur de la BU et Directeur Conception et Ventes du combustible. Je suis Directeur de la BU Recyclage et président de MELOX depuis le 1er septembre 2008. Mon évolution vers le nucléaire s’est donc faite « naturellement » au gré de mes différentes fonctions industrielles (Péchiney, Framatome, AREVA) qui m’ont fait passer à un milieu – celui du nucléaire – où on exige un très haut niveau de qualité à un environnement industriel et où la sûreté nucléaire est une priorité incontournable.
Pouvez-vous nous donner une vue générale des activités de la Business Unit Recyclage au travers de ses deux implantations La Hague et MELOX ?
JPG – En terme d’effectifs, le site de La Hague regroupe 3000 personnes de la BU Recyclage et environ 1200 salariés appartenant à d’autres entreprises auxquels s’ajoutent 800 qui appartiennent à des entités du Groupe AREVA (Direction Ingénierie & Projets, BU Assainissement, BU Logistique, Euriware…) Le site de MELOX emploie 900 personnes de la BU Recyclage et 400 salariés venant d’entreprises extérieures dont la majorité est en charge de la maintenance des installations. A ces emplois directs, il convient également d’ajouter le même nombre d’emplois indirects créés autour de chacun des sites comme l’a récemment montré le rapport PWC. En termes de production, 1044 tonnes de combustibles usés ont été traitées et le contenu de 600 containers de déchets vitrifiés a été produit à La Hague en 2011. Sur le site de MELOX, en 2011, 145 tonnes de MOX (Mélange d’Oxydes : dioxyde de plutonium (PuO2) et du dioxyde d’uranium appauvri (UO2)) ont été produites pour EDF et des clients étrangers, ce qui constitue un record comparable à la production exceptionnelle de l’année 2005.
Qui sont vos clients ?
JPG – Le principal client des sites de La Hague et de MELOX est bien entendu EDF qui, en signant en 2008 un accord bilatéral « contrat cadre » valable jusqu’en 2040, montre ainsi sa confiance et son intérêt pour le cycle aval du combustible. Tous les 5 ans, des contrats d’application viennent mettre à jour ce contrat cadre en termes de volume, de prix et de modalités d’application. En 2011, 1018 tonnes ont été traitées à La Hague et 120 tonnes de MOX ont été produites à MELOX pour le seul client EDF. Pour La Hague, les autres clients sont actuellement italiens et néerlandais. Le Japon, la Belgique et l’Allemagne ont également fait partie des importants clients pour la BU Recyclage alors que la relance des contrats d’exportation avec des clients européens et asiatiques est une priorité pour nous. Pour MELOX, les principaux clients sont donc EDF (traitement en boucle), l’Allemagne (Plutonium venant de l’usine de Sellafield) et le Japon.
De la production de combustible MOX au recyclage du combustible usé, comment s’articule la communication ?
JPG – La BU Recyclage a, bien entendu, été partie prenante des campagnes d’information, d’échanges et d’explications mises en place au sein du Groupe AREVA et qui se prolongeront dans les mois qui viennent. Ce travail, que nous faisons avec sérieux et rigueur car nous considérons que c’est un devoir envers nos concitoyens, s’établit sur plusieurs niveaux : Tout d’abord, il y a un travail d’explications approfondies qui est réalisé auprès des élus locaux des régions concernées par des installations nucléaires. L’impact direct des décisions politiques sur les emplois locaux durant leur mandature entraîne une réelle prise de conscience. Les relations avec nos clients français et étrangers sont également à privilégier et un suivi particulier de leurs interrogations est primordial. Il s’agit avant tout de les rassurer en insistant sur deux points fondamentaux :
– notre volonté de tenir nos engagements dans la durée
– la nécessité de contrats exports pour optimiser la capacité disponible dans les usines de La Hague et MELOX
– notre volonté de continuer à innover et à soutenir le développement du recyclage à l’international en particulier en apportant notre soutien aux plateformes de recyclage internationales
Enfin, au niveau du Groupe AREVA et du Business Group Aval, la BU Recyclage met à disposition les éléments d’information nécessaire à la compréhension de toutes et de tous des enjeux énergétiques, climatiques, économiques et bien sûr de l’emploi concernant notre industrie.
Quel est l’impact du plan stratégique d’AREVA sur les activités de recyclage ?
JPG – En effet, les évènements liés à Fukushima, la crise économique et le moratoire sur le nucléaire ont été intégrés au Plan d’Action Stratégique du Groupe AREVA. Deux plans principaux étaient en cours de déploiement avant ces évènements : le plan 195 tonnes (MELOX) et le plan 1500 tonnes (La Hague). Il a donc fallu s’adapter au contexte et préparer de nouveaux plans d’action correspondants à la nouvelle situation. Une redéfinition des cibles d’activité ainsi qu’une analyse approfondie des perspectives de la BU Recyclage ont permis de définir des nouveaux objectifs de production : 1250 tonnes (La Hague) et 150 tonnes (MELOX). Un gel des investissements de capacité a donc été acté afin de s’aligner avec la stratégie globale du Groupe. La BU Recyclage contribue ainsi à la mise en œuvre du Plan de Performance d’AREVA. En revanche, le Business Group Aval a prévu de maintenir des investissements conséquents en R&D à hauteur de 800 M€ (dont 500 M€ au titre de la sûreté) afin de préparer l’avenir. LA BU Recyclage a ainsi pour objectif de sécuriser les activités de La Hague et MELOX. Cela passe donc par la négociation des volumes avec EDF pour la période 2013-2017 et la relance des contrats exports. Une attention particulière sera également apportée aux besoins des clients concernant l’utilisation de Plutonium en leur proposant de façon pro-active des solutions comme le TOPMOX (utilisation de MOX par des clients autre que celui qui a fournit le combustible usé). L’EPR 100% MOX même si l’échéance est plutôt à moyen/long terme est également une perspective de croissance. Enfin, le projet ASTRID mené avec le CEA est un relais très intéressant pour la croissance de la BU Recyclage à travers l’utilisation du Plutonium que permet ce type de réacteur de Génération IV en cours d’avant-projet sommaire APS (Conceptual Design).
Au Royaume-Uni, la NDA a décidé la fermeture de l’usine de fabrication de MOX (Sellafield). AREVA est-il impacté ?
JPG – A court terme, la fermeture de l’usine « SMP1 » (Sellafield MOX Plant 1) de Sellafield pour des raisons de productivité, financière et de débouché a impacté négativement la BU Recyclage. En effet, la Direction des Projets Internationaux (DPI) de la BU a vu une baisse significative de son chiffre d’affaire correspondant à l’arrêt du projet d’unité de crayonnage. Cette fermeture a également relancé le débat et la controverse sur l’avenir et l’utilité du MOX. Cependant, elle a permis d’avancer positivement sur les contrats MOX pour l’Allemagne fabriqués à Melox. A plus long terme, le projet de construction d’une nouvelle usine « SMP2 » offre de nouvelles perspectives pour AREVA dans le domaine de la construction et de la conduite opérationnelle du site (mise à disposition d’opérateurs et ou de personnels de maintenance). Les projets « New Build » (dont l’EPR UK 100% MOX) sont potentiellement des cibles pour cette nouvelle usine qui permettra de transformer en MOX le Plutonium disponible en UK (capacité de production de l’ordre de 100 tonnes/an de MOX).
Quels sont les projets d’AREVA dans le recyclage ?
JPG – Concrètement, l’usine MFFF (US) doit démarrer ses activités en 2016. A l’heure actuelle, des discussions sont en cours avec TVA pour devenir le premier client de réception du MOX produite par cette installation. En ce qui concerne la Chine, des négociations avancées sont lancées dans le but de signer un accord portant sur la construction d’une usine intégrée de traitement-recyclage. On espère une issue positive rapide pour une installation opérationnelle vers 2025-2030 ! Quant à la Russie et l’Ukraine, des accords de principe ont été signés dans le domaine du recyclage qui aboutiront, nous l’espérons, sur des coopérations industrielles concrètes. Des discussions ouvertes sur la potentielle « Moxification » des VVER en Russie ont également été initiées. La totalité des prestations assurées par AREVA sur le site de Rokkasho-Mura au Japon a été réceptionnée en 2007 par JNFL (Japan Nuclear Fuel Limited). Cependant, on peut également souligner le soutien d’AREVA au démarrage commercial de ce site qui est en grande partie une « usine jumelle » de l’usine UP-3 de La Hague avec une capacité de traitement de combustibles usés de 800 tonnes par an.
Quelle est la durée de vie estimée des installations de La Hague et de Melox ?
JPG – Le maintien opérationnel des sites de La Hague et MELOX est prévu, par le Groupe AREVA, jusqu’en 2040 grâce à des investissements de pérennité appuyés par des études liées au vieillissement naturel des installations et à la corrosion des matériaux.
Les sites de la BU Recyclage sont ils concernés par les stress tests imposés par l’Union Européenne ?
JPG – Comme toute installation nucléaire, les sites de La Hague et de MELOX ont du procéder à des évaluations et des audits complémentaires de sûreté (ECS) supervisées par l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Ainsi, de juin à septembre 2011, AREVA a réalisé de nombreuses études de résistance des installations selon les critères établis par les autorités européennes :
– Hypothèse d’une échelle de séisme supérieure à la référence utilisée lors du dimensionnement des installations
– Hypothèses de Black-Out complet des installations électriques internes et externes
– Hypothèses de destruction totale des voies logistiques externes (routes, canalisations…)
Trois éléments principaux sont ressortis de cette analyse :
– la robustesse au séisme des sites de la BU Recyclage est bonne
– un plan pour le déploiement de moyens mobiles supplémentaires (refroidissement des installations…) doit être approfondi
– un concept de « noyau dur » doit être défini puis mis en œuvre afin d’accéder à des niveaux de contraintes élevées en termes de sûreté.
Un plan de mise en œuvre de ces recommandations est en cours de discussion avec l’ASN pour définir des plans d’application et un planning d’exécution.