« Grand Central » et le combat contre la « dose » - Sfen

« Grand Central » et le combat contre la « dose »

Publié le 7 octobre 2013 - Mis à jour le 28 septembre 2021

Dans le film « Grand Central » sorti le 28 août au cinéma, un jeune homme (Gary) sans qualification est embauché comme sous-traitant dans une centrale nucléaire, avant de tomber amoureux de la femme d’un de ses collègues (Karol). Un drame amoureux se tisse entre l’intérieur angoissant de la centrale et les scènes bucoliques dans la nature où ces travailleurs itinérants ont installé leur caravane.

Malheureusement « la dose » à laquelle ils sont exposés dans la « terrible » centrale va finir par les séparer… Qu’une centrale nucléaire, avec tout ce qu’elle peut évoquer dans l’imaginaire collectif, puisse être un décor captivant pour une histoire d’amour entre Tahar Rahim et Léa Seydoux, pourquoi pas ? Mais, il est bien dommage que certains jugent accessoire l’amour champêtre entre le beau Gary et la non moins belle Karol pour en retenir une dénonciation des conditions de travail dans lesquelles évoluent les employés. Bon, essayons de débroussailler un peu le terrain pour comprendre ce qu’est la radioactivité et comment s’organise la radioprotection en France. Voici donc un petit tour d’horizon de ce qu’il est utile de savoir sur la « dose ».  

La dose, késako? La radioactivité et ses unités

Il existe plusieurs unités pour mesurer la radioactivité. A quoi correspondent-elles ? Le Becquerel (Bq) sert à mesurer l’activité d’une source radioactive. Il permet d’exprimer le nombre de désintégrations par seconde des atomes au sein d’une source radioactive. Chaque désintégration s’accompagne d’un rayonnement. Donc 1 Becquerel = 1 désintégration/seconde = 1 rayonnement. Comme vous et moi, Léa Seydoux (Karol) émet naturellement 7 000 Bq ; 1 litre d’eau de mer 12 Bq et 1 Kg de granit 7 000 Bq. Le Gray et le Sievert permettent de mesurer cette fameuses dose « incolore, inodore, invisible, partout autour de nous » (dixit la voix off). 

Pourquoi ces autres unités ? Parce que la dose reçue dépend non seulement de la radioactivité plus ou moins forte de la source émettrice, mais aussi de la quantité et du type de rayonnement reçu, de la durée d’exposition et du type de tissu exposé…

Ainsi, le Gray mesure la quantité de rayonnement reçu par le corps. Cette unité est surtout utilisée en radiothérapie pour mesurer la quantité d’énergie délivrée par un rayonnement à chaque kilogramme de tissu qu’il traverse. Le Sievert permet de mesurer l’effet d’un rayonnement sur un organisme vivant. Autrement dit, si on devait évaluer les risques que Gary encontre à s’exposer si près de Karol et de la radioactivité naturelle qu’elle émet, on utiliserait le Sievert. Rassurez-vous, compte tenu des effets minimes, nul besoin de lancer une campagne de prévention pour les rapports sexuels radio-protégés !

N.B: La dose que nous nous infligeons à nous même du fait de notre propre radioactivité équivaut à peu près à 0,25 millisievert par an. L’exposition moyenne due à la radioactivité naturelle en France est de 2 mSv/an.   

Faibles doses, hautes doses… overdose ?

C’est quoi une faible dose ?  Avant d’être utilisée pour produire de l’électricité à grande échelle, l’énergie nucléaire a été mobilisée à des fins militaires. Les études menées sur les personnes irradiées par les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki ont permis d’établir une relation linéaire entre la dose d’irradiation reçue et les effets sanitaires induits. En effet, le risque de développer un cancer est avéré lorsque la dose de 100 millisieverts est dépassée. En-deçà de ce seuil, il s’agit de « faibles doses ». Actuellement, les études menées ne démontrent pas avec certitude l’existence d’une relation entre irradiation et risques sanitaires. Cependant, pour définir les règles de radioprotection, à la fois des travailleurs et de la population, les autorités ont choisi de supposer que la relation était la même dans le domaine des faibles doses que pour les observations pratiquées pour des doses supérieures à 100 millisieverts.  

Et pour Gary ? Bon c’est bien beau tout ça, mais dans une centrale nucléaire, ça doit envoyer niveau dose non ? Outre la radioactivité naturelle que Gary reçoit en parcourant la France et en vivant des histoires d’amour, il doit bien en recevoir du fait de son travail dans une centrale ?! En effet, lors de certaines opérations de maintenance les travailleurs peuvent être exposés à des sources de radioactivité, laquelle exposition, si trop importante, pourrait infliger des risques sanitaires. En France, cette exposition est encadrée par le Décret n° 2003-296 du 31 mars 2003. Celui-ci impose une limite annuelle de 20 millisieverts par an, en plus de l’exposition naturelle et hors exposition médicale. Cette limite est imposée envers toutes les personnes employées sur des installations nucléaires qu’elles y travaillent toute l’année ou qu’elles interviennent ponctuellement sur plusieurs sites différents.  Et comme on peut le voir sur les images de la bande-annonce, les travailleurs sont munis de systèmes de mesure qui permettent de contrôler les doses reçues sur l’ensemble de leur parcours professionnel. Ces mesures sont envoyées à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

En France, la dose moyenne reçue par les travailleurs du nucléaires est de 1,31 mSv/an, presque deux fois moins que la dose que nous recevons tous du fait de la radioactivité naturelle ! Et la situation ne s’empire pas d’année en année -comme certains le craignent en disant que la crise pousserait les entreprises à moins protéger leurs salariés- puisque la dose moyenne est passée de 4,6 mSv/an en 1992 à 1,31 mSv/an aujourd’hui.   La radioactivité touche-t-elle uniquement les salariés du nucléaire ? Les médecins, les chercheurs et les pilotes d’avion (et leur personnel) sont aussi exposés à la radioactivité et de facto suivis par l’IRSN. La radioactivité augmentant avec l’altitude, pilotes et hôtesses passant leur vie en l’air, sont fortement exposés aux rayons cosmiques, et obtiennent le record d’exposition à la radioactivité: 1,9 mSv/an ! En conclusion, si l’on peut qualifier Léa Seydoux (Karol) de « bombe nucléaire », il est fort à parier qu’un de ses baisers vous fera plus d’effet qu’une visite dans une centrale.  

 

Par Lise Baron Alves