Gestion des matériaux TFA : « il faut un débat de société »
Depuis les années 1990, la réglementation évite que les déchets nucléaires sortent de la sphère nucléaire, quel que soit leur taux de radioactivité. Ces déchets sont traités dans des filières dédiées. Il devient nécessaire d’aborder ce dossier – qui est de facto un problème de société – d’une manière nouvelle. Entretien avec Jacques Repussard.
RGN : Quelle est la réglementation française en matière de gestion des déchets de très faible activité (TFA) ?
Dans les années 1990, la question des déchets radioactifs est devenue un point essentiel de la confiance des Français. La réglementation a été faite à ce moment-là pour éviter que les déchets des installations nucléaires de base (INB) sortent de la sphère nucléaire. Depuis, le concept consiste à regarder où sont produits les déchets, déterminer des zones dédiées, puis décréter « déchet radioactif » tout ce qui sort de ces zones. Le traitement de ces déchets se fait ensuite dans des filières dédiées de telle sorte qu’il n’y ait pas de mixité avec d’autres industries.
En aval des INB, on a mis en place l’Andra [1] et des filières pour traiter les déchets, les stocker et les entreposer. On a défini un système de classification des déchets en fonction de leur dangerosité et de leur toxicité. Enfin, on a mis en place un inventaire national [2] et un plan de gestion des déchets radioactifs. Ce dispositif permet d’avoir une politique claire et pérenne. Surtout, il donne de bons résultats : sur le plan de la confiance, je constate que l’on parle moins des déchets TFA. Nos concitoyens estiment que c’est une situation qui a été réglée.
Ce système comporte deux inconvénients. Le premier : c’est un système luxueux, puisque tout ce qui sort de la zone déchets d’une INB est réputé déchet radioactif, même s’il n’est pas du tout contaminé. Enfin, l’inconvénient le plus sérieux est que cela conduit, paradoxalement à fausser la représentation qu’a le public des déchets radioactifs. Il peut alors penser que si l’on prend tant de précautions, c’est donc que les déchets radioactifs sont très dangereux dès le premier becquerel… Ce qui est évidemment faux.
RGN : Dans certains pays, les matériaux TFA sont réutilisés dans d’autres filières industrielles, qu’en pensez-vous ?
Au plan international, les experts de l’AIEA [3] ont défini un seuil de 10 millisieverts en dessous duquel il n’y a pas de risque radiologique. Depuis, les déchets peuvent être traités dans des filières industrielles ordinaires.
Différente de l’approche française, cette approche consiste à se demander à partir de quand il y a risque radiologique. Les pays qui l’ont adoptée considèrent les déchets nucléaires comme des déchets comme les autres, ayant une toxicité radiologique quand d’autres ont une toxicité chimique. Cette approche évite d’avoir à mettre en place tout un système de gestion des déchets radioactifs.
Dans ce système, l’économie reprend ses droits et les filières industrielles s’organisent en ce sens. L’inconvénient est qu’il peut y avoir des phénomènes où certains industriels peu scrupuleux diluent les déchets jusqu’à passer en dessous du seuil. Puis, le risque principal est de rompre la confiance en cas d’exposition accidentelle de la population.
En Allemagne, où ce système est utilisé, il y a une espèce d’autocensure des producteurs de déchets radio-actifs qui se méfient beaucoup pour leur propre image en cas d’incident.
RGN : Y a-t-il un risque de retrouver en France des matériaux TFA utilisés ailleurs ?
Ce risque existe mais le risque radiologique est quasi nul. Par exemple, il arrive régulièrement que des sources de cobalt soient fondues dans des aciéries de pays comme l’Inde ou le Pakistan. À ce moment, les lingots d’acier, dans lesquels les sources de cobalt ont été fondues, sont dilués et l’on retrouve de la radioactivité qui, potentiellement, peut être assez élevée.
RGN : Vous avez récemment abordé la question des seuils de libération, de quoi parle-t-on ?
Il ne faut pas perdre de vue l’objectif de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. La France a des dispositions qui créent de la confiance, mais elles ne sont pas fondées exclusivement sur la gestion d’un risque. Ceci peut conduire à des situations difficiles comme dans le cadre du démantèlement.
Si on voulait appliquer la réglementation aux produits du démantèlement, il faudrait les considérer comme des déchets. Je pense que c’est une impasse. Une impasse économique dans la mesure où il faut les transporter. Et ce, avec un bénéfice nul en terme de prévention du risque radiologique : la radio-activité est déplacée d’un point A à un point B. Et une impasse sociétale, puisqu’il faudrait construire de nouveaux sites avec les oppositions très fortes que cela comporte.
RGN : Faut-il faire évoluer la doctrine sur ce sujet ?
Il faut trouver les conditions dans lesquelles on peut aborder ce dossier de manière nouvelle, sans tabou. Pour cela, il y a une arme potentiellement très efficace : la transparence.
Ce sujet est un problème de société. Ce n’est pas un problème réglementaire puisque stricto sensu la réglementation n’interdit pas la réutilisation de matériaux dans d’autres industries. C’est une doctrine qui supposerait que l’administration, l’ASN, les inspecteurs, les industriels eux-mêmes, l’Andra raisonnent différemment.
Je ne propose pas que l’on revienne sur la doctrine pour ce qui concerne les déchets qui sont produits quotidiennement : la France a trouvé son équilibre.
Par contre, en ce qui concerne la déconstruction, on va au-devant d’une très grande difficulté, inéluctable. Nos INB ont une durée d’exploitation limitée et un jour, il faudra bien les déconstruire. Que fera-t-on alors des matières ? Que fera-t-on des sites qui n’auraient plus vocation à être des INB ? Aujourd’hui, ces questions ne sont pas correctement traitées.
Il y a un problème, un risque quasi nul : Qu’est-ce que l’on fait ? Ma proposition est que cela ne soit pas un débat d’experts entre l’ASN, l’IRSN et les industriels, mais plutôt un débat de société. Des instruments existent, le HCTISN, les CLI, -l’Anccli, les conférences citoyennes. Il faut aider à la prise de conscience.
RGN : Peut-on s’inspirer de la réglementation appliquée chez nos voisins ?
Le retour d’expérience des pays qui nous entourent sera très utile. D’ailleurs, le CEPN [4] réalise actuellement une étude comparative des situations dans l’Union européenne. Cependant, bien qu’il y ait des seuils de libération, peu de choses sont vraiment « libérées ». La réglementation n’est qu’un des aspects !
Lors de la déconstruction, cela ne fait aucun sens de mettre les générateurs de vapeur ou les silos -d’Eurodif en stockage. Il faut absolument recycler dans l’industrie nucléaire ces matières qui ont une grande valeur.
L’industrie nucléaire a probablement beaucoup à faire pour optimiser son propre cycle. Lorsque l’on construira de nouveaux réacteurs, il faudra du béton, des granulats, de l’acier, etc. Il y a toute une réflexion à mener sans forcément parler de libération. La filière a de l’avenir pas seulement en recyclant le combustible, mais aussi dans le recyclage de ces matériaux !
RGN : Les exploitants et l’Andra craignent un engorgement du site de stockage des déchets TFA, qu’en pensez-vous ?
La crainte des industriels et de -l’Andra est justifiée. 40 % de la capacité de stockage du CIRES sont déjà atteints. Face à cette situation, il me paraît peu réaliste de vouloir y mettre des millions de tonnes issues de la déconstruction. Il faut trouver le moyen de concentrer et de réduire la volumétrie des déchets. Il faut donc continuer à travailler sur les techniques d’incinération.
aux différents postes de travail concernés et celles des usagers d’ascenseurs équipés de ces composants radioactifs. Aucun salarié de l’usine n’a reçu de dose supérieure à la limite annuelle réglementaire pour le public (1 millisievert par an).
Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
Le site de l’inventaire national des matières radioactives .
Agence internationale de l’énergie atomique.
Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire (CEPN)