Fukushima face à la gestion de l’eau contaminée
Les Japonais lancent une consultation internationale sur les technologies à utiliser pour la gestion des eaux contaminées du site de Fukushima et étaient en France pour rencontrer les experts des centres de recherche et des industriels français le 11 octobre.
Le 1er août dernier le Japon annonçait officiellement la création d’un consortium de recherche et de développement : l’IRID (International Research Institute for Nuclear Decommissioning). Ce nouvel institut fédère désormais, sur une plateforme « ouverte », les équipes de recherche de 17 organismes et industriels japonais, soit plus de 600 chercheurs, afin de développer les techniques qui seront nécessaires au démantèlement du site de Fukushima.
Au-delà du Japon, l’IRID a, comme son nom l’indique, une vocation internationale. L’IRID lance en octobre un appel au savoir faire international sur une première série de projets concernant la gestion et la décontamination des eaux accumulées sur le site de Fukushima. Une délégation de l’IRID, en provenance du Japon, était le 11 octobre à Paris pour rencontrer les experts des centres de recherche et des industriels français pour solliciter des idées sur les difficultés rencontrées actuellement. L’IRID doit présenter avant la fin de l’année au gouvernement japonais des recommandations concernant les technologies. Devraient suivre une série d’appels d’offre.
L’entreposage de l’eau contaminée, une priorité
Alors que les travaux préparatoires à l’enlèvement des premiers éléments de fuel semblent bien avancés sur la piscine numéro 4 (l’IRID annonce même un démarrage des opérations d’enlèvement en avance, dès le mois de novembre !), la question de la gestion des eaux usées est désormais la prochaine priorité. Pourquoi ? En 2011 TEPCO a déployé en urgence un système de traitement des eaux sur le site pour permettre le refroidissement des réacteurs en circuit fermé afin d’éviter une injection d’eau continue. L’eau a été stockée dans les sous-sols des bâtiments, puis en partie dans des cuves après un premier traitement de décontamination en Cs (radionucléide qui représentait la très grande majorité de l’activité). Malgré tout, la quantité d’eau à stocker ne cesse d’augmenter par un apport quotidien due à des infiltrations. Aussi, TEPCO a déployé en urgence, d’importantes capacités d’entreposage d’eau contaminée sur le site. Les fuites récentes ont eu un fort retentissement médiatique dans le monde entier, générant des inquiétudes sans rapport avec leur impact environnemental au niveau du site.
La maîtrise de la gestion des eaux contaminées sur le site passe par quatre actions prioritaires : une sécurisation des entreposages pour éviter les fuites, une gestion des eaux d’infiltration pour limiter les volumes, une optimisation des procédures de contrôle et des moyens de mesure, et une décontamination suffisante pour permettre le rejet en mer.
La question la plus urgente concerne donc l’entreposage de l’eau contaminée sur le site. En effet, s’ajoutent quotidiennement 400 m3 supplémentaires liés à un l’infiltration dans les bâtiments d’eau extérieure. Au total, ce sont désormais 350 000 m3 d’eau qui sont entreposés, pour une capacité actuelle de 410 000 m3. L’objectif est d’élever la capacité de stockage à 800 000 m3 dans l’attente de la mise en place d’un traitement d’eau complet et de l’obtention des autorisations pour le rejet en mer. Il faut donc construire des réservoirs supplémentaires et remplacer les tanks existants. Face à la situation d’urgence de 2011, Tepco avait installé des réservoirs à brides, lesquels ont fait l’objet de fuites. Il faut remplacer ces réservoirs par des réservoirs soudés, plus étanches. En attendant, Tepco a accru la surveillance : une patrouille de 30 personnes effectue 4 contrôles par jour. Tepco cherche aussi une technologie qui permettrait d’améliorer la détection de petites fuites.
Une autre importante question à régler : le tritium
Au-delà de l’entreposage, il s’agit de décontaminer la totalité de l’eau entreposée. Le système de traitement actuel comporte une étape de décontamination en Cs sur des colonnes d’adsorbants ainsi qu’une désalinisation par un procédé d’osmose inverse. Une nouvelle installation nommée ALPS (« Advanced Liquid Processing System »), devrait permettre d’éliminer plus de 62 radionucléides. Une première ligne de cette installation, permettant le traitement de plus de 400 m3/jour est actuellement testée. L’activité résiduelle sera alors compatible avec l’autorisation de rejets en mer du site, à l’exception du tritium.
Pour rappel, le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène, présent naturellement dans l’environnement en faible quantité car il est produit en permanence par l’interaction entre les rayons cosmiques et l’atmosphère. C’est un émetteur beta de faible activité, dont la période (ou demi-vie) est d’environ 12 ans. Il se substitue facilement aux molécules d’hydrogène des molécules d’eau pour former ce qu’on appelle de l’eau « tritiée ». Dès lors, il suit le cycle de l’eau et il est facilement absorbé par les organismes vivants (plantes, animaux, homme) grâce aux différents processus biologiques (photosynthèse, ingestion). Néanmoins, son impact reste faible car sa période biologique (durée nécessaire pour réduire de moitié son activité dans l’organisme) est estimée à 10 jours pour un adulte.
Sur la question du tritium, les Français disposent d’une vraie expérience en termes d’étude d’impact. En effet, lors du débat public organisé par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en 2007, les groupes de travail avait étudié plusieurs techniques de détritiation des rejets des réacteurs et de l’usine de La Hague. Ces analyses avaient montré que les risques associés à différentes techniques de détritiation, en particulier à base d’électrolyse de l’eau, pouvaient être supérieurs aux risques liés au tritium lui-même (par exemple, des risques d’explosions d’hydrogène). A ces techniques, et après étude d’impact, avait été préféré la forte dilution et le rejet en mer. Ces études, qui prennent en compte des groupes de personnes les plus exposés potentiellement, démontrent que l’impact des rejets en tritium est négligeable comparé à celui lié à l’exposition à la radioactivité naturelle.
Au-delà du tritium et des effluents entreposés sur le site, les Japonais cherchent un procédé pour décontaminer l’eau de l’avant port situé en contrebas des réacteurs. L’enjeu porte principalement sur la décontamination en strontium 90. Enfin, que ce soit pour le tritium ou le strontium, de nouvelles méthodes de collecte et d’analyse accélérées sont nécessaires pour gérer les 200 échantillons prélevés quotidiennement sur le site.
Des demandes importantes d’aide en matière de génie civil
La résolution des problèmes générés par la gestion des eaux contaminées passe par la maîtrise des infiltrations dans les bâtiments. Le site de Fukushima étant situé en bas d’une colline, il reçoit un volume important d’eau de pluie dans les sous-sols de la centrale. L’eau s’infiltre dans les tuyauteries endommagées par le séisme, le tsunami et les explosions et ressort contaminée.
Actuellement, Tepco doit effectuer de nombreux carottages et collecter des échantillons pour évaluer la hauteur de l’eau souterraine. Il cherche à disposer de technologies de l’information pour limiter les carottages, faire des simulations et mieux comprendre la situation des eaux souterraines.
Pour l’instant, l’afflux d’eau est limité par des pompes qui sont installées en amont du site : l’eau collectée, non contaminée, est envoyée directement dans la mer. Prochainement, des travaux commenceront pour installer le fameux mur d’imperméabilité : des tuyaux seront installés et un liquide injecté pour geler le sol, et empêcher ainsi l’eau de s’écouler c’est un procédé standard, couramment utilisé pour construire des tunnels. Tepco cherche aussi différents procédés qui permettraient de colmater les espaces qui laissent aujourd’hui l’eau pénétrer dans le bâtiment, et contribuent ainsi à augmenter le volume contaminée. A noter néanmoins : l’eau injectée quotidiennement dans les réacteurs pour le refroidissement en sort de moins en moins contaminée avec le temps, cent fois moins que les mois qui ont suivi l’accident.
Article écrit avec Thierry Prevost, AREVA Sénior Expert en Traitement des effluents