Où en sont les Français avec le changement climatique ? - Sfen

Où en sont les Français avec le changement climatique ?

Publié le 30 avril 2015 - Mis à jour le 28 septembre 2021

Dans les sondages [1], l’environnement ne fait plus partie des préoccupations majeures des Français depuis au moins 2011, tant ils sont inquiets des conséquences d’une crise économique dont ils ne voient pas la fin. Pour autant, l’environnement reste un sujet de vigilance et il reprendra sans doute des couleurs si la crise économique s’apaise. Le changement climatique est un bon exemple de cette capacité de rebond : perçu comme affaibli, voire décrédibilisé depuis Copenhague. Il occupe aujourd’hui la première place des périls graves pour l’avenir de l’humanité aux yeux des Français, avant celle qui était hier prépondérante : l’épuisement des ressources naturelles [2]. Le regain d’attention des médias sur le sujet fin 2014, un an avant la COP21, y a sans doute contribué. Le changement climatique est un péril grave, et qui est déjà à l’œuvre (93 % le pensent, dont 58 % certainement). Cette idée s’est même renforcée en 2014 et n’est plus l’apanage des électeurs de sensibilité écologiste.

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Tableau 1 : les problèmes les plus préoccupants pour l’avenir de l’humanité
 

Les climato-sceptiques minoritaires en France

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Tableau 2 : les origines du changement climatique selon les Français

 

L’existence du réchauffement est donc de moins en moins contestée et l’origine humaine du phénomène est l’explication majoritaire en France. Fin 2014, 63 % des Français pensaient que l’activité humaine est en cause. « L’effet Copenhague » ou les polémiques connexes ont certes induit une forte évolution de l’opinion entre 2010 et 2011 défavorable à l’origine humaine. Mais cette évolution se résorbe depuis, sans retrouver toutefois les niveaux de 2006. De fait, les climato-sceptiques restent une forte minorité (36 %) [3]. 

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Tableau 3 : Les évocations spontanées de l’effet de serre (regroupements) de 40 et 60 ans.

Des clivages forts sont à l’œuvre. Les Français de droite sont plus sceptiques que ceux de gauche (respectivement 58 % et 69 % pensent que le changement est provoqué par l’activité humaine), les agriculteurs également plus circonspects que les cadres supérieurs et professions libérales (49 % contre 71 %). Et surtout, les plus de 65 ans ne sont que 54 % à croire à l’origine humaine, contre environ 65 % des autres classes d’âge.

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Tableau 4 : les causes de l’effet de serre selon les Français
 
Question. Pour chacune des activités suivantes, dites-moi si d’après ce que vous savez elle contribue beaucoup, assez, peu ou pas du tout à l’effet de serre (Réponse « beaucoup » + « assez)

La compréhension du phénomène n’a pas progressé depuis 15 ans

Depuis l’année 2000, l’ADEME réalise chaque année en juin une enquête par sondage sur les représentations sociales de l’effet de serre et du changement climatique [4].

Les interviewés y ont la possibilité de répondre librement à cette question ouverte : en quoi consiste, selon vous, l’effet de serre ? En quinze ans, la médiatisation des phénomènes climatiques a permis à un plus grand nombre de personnes de saisir le sens même de la question du réchauffement : de 30 % de sans réponse en 2000, on passe à 12 % en 2014. Néanmoins, peu de Français semblent comprendre le mécanisme de l’effet de serre, qui reste attribué à la diminution de la couche d’ozone, à la pollution ou à un « réchauffement » sans cause de l’atmosphère, facteurs d’explication majoritaires et très stables jusqu’à aujourd’hui, les explications fondées sur le CO2 n’ayant pas progressé.

On aurait tort, toutefois, de trop se focaliser sur cette incompréhension du mécanisme de l’effet de serre, car elle n’est ni un obstacle à la prise de conscience du péril climatique, ni un écran à une vision assez réaliste des activités humaines impliquées dans le phénomène. Ainsi, dans l’enquête ADEME où une question est consacrée aux sources du réchauffement, les activités industrielles, les transports et la destruction des forêts apparaissent comme les principaux accusés. Qu’ils le soient au nom de la « pollution » et non du CO2 importe finalement assez peu : le diagnostic final est correct.

Il y a un cas où le flou entourant le CO2 est un handicap : c’est le cas des centrales nucléaires. On voit bien que, si elles sont citées parmi les fautifs, elles le sont à un niveau moindre que l’industrie ou les transports, et surtout moins que les centrales électriques en général (si on compare avec la formulation retenue dans l’enquête jusqu’en 2013 [5]).

Cela signifie-t-il que les Français ont intégré que le nucléaire ne produit pas de CO2 ? Ils sont en réalité très partagés : 45 % pensent qu’il en produit, contre 48 % qu’il n’en produit pas [6]. Néanmoins, même s’il ne s’agit que d’un Français sur deux, ce taux permet sans doute au nucléaire d’être un peu plus épargné. Dans ce contexte de remobilisation de l’opinion sur le changement climatique, le nucléaire peut-il tirer parti du fait qu’il ne produit pas de gaz à effet de serre pour s’attirer de nouveaux soutiens ? Rien n’est moins sûr.

La difficile équation CO2/nucléaire

Actuellement, l’énergie nucléaire n’arrive pas à transformer en atout maître l’absence d’émission de gaz à effet de serre. D’une part parce que cet atout ne fait pas consensus, on l’a vu ; d’autre part parce que cette caractéristique n’est pas totalement opérationnelle dans le cadre d’un débat sur le changement climatique (l’ignorance du mécanisme CO2).

Aujourd’hui, la crainte d’un accident nucléaire et le problème des déchets demeurent des menaces plus graves que la production de carbone, quand bien même le changement climatique inquiète. Dans leur majorité, les Français ne veulent pas se passer du nucléaire, ils croient d’ailleurs de moins en moins que cela soit possible. Néanmoins, ils adhèrent à l’idée d’une décroissance du nucléaire de 75 % à 50 % en 2025, ce qui montre bien qu’une large partie de l’opinion n’est pas mûre pour adhérer à l’idée que le nucléaire est une des solutions pour lutter contre le changement climatique.

Une amélioration de la connaissance du public est-elle un levier possible en faveur du nucléaire ? C’est peu probable. Il découle de nos analyses du Baromètre Énergies que les personnes les plus sensibles au réchauffement sont plutôt hostiles au nucléaire et pensent davantage que le nucléaire produit du CO2. À l’inverse, on constate que les pro-nucléaires sont plus sceptiques sur l’origine humaine du réchauffement (Tab. 5).

En fait, il faut bien admettre que pour l’opinion, la question de la production de CO2 n’est pas perçue comme un fait indiscutable. Si c’était le cas, les antinucléaires pourraient reconnaître que le nucléaire ne produit pas de CO2 tout en conservant leurs convictions. 

Dans le tableau 6, on a comparé les pourcentages de réponses « le nucléaire ne produit pas de CO2 » dans quatre catégories d’interviewés, créées par le croisement de deux critères : le fait d’être pour ou contre le nucléaire, et le fait d’avoir des connaissances faibles ou élevées sur l’énergie (mesurées objectivement avec un quiz).

Le constat est clair : on observe qu’à niveau de connaissance égal, y compris lorsque les connaissances sur l’énergie sont élevées, le fait d’être pour ou contre le nucléaire influence les réponses alors qu’il s’agit d’un fait scientifique (17 points d’écart). La connaissance joue également son rôle : à conviction égale, pour ou contre le nucléaire, une meilleure connaissance joue en faveur de la bonne réponse (30 points d’écart en moyenne). Mais les deux variables se cumulent presque parfaitement.

En réalité, une partie des anti-nucléaires perçoit le CO2 comme un argument pro-nucléaire de plus, pas comme une vérité indiscutable. Donc, il faut bien admettre que connaissances et convictions se combinent pour produire des effets qui ne sont pas « chimiquement purs ». Et en aucun cas il n’y a d’effet mécanique entre l’accroissement des connaissances et le changement d’opinion. Si l’argument CO2 n’est avancé que par les défenseurs du nucléaire, alors il devient suspect. 

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Tableau 5 : opinion sur le nucléaire et conviction sur le changement climatique

 

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Tableau 6 : l’influence respective des connaissances et des convictions sur la crédibilité d’un fait scientifique. Pourcentage de réponses «  le nucléaire ne produit pas de CO2« 
 
Lecture : 21 % de ceux qui sont contre le nucléaire et ont peu de connaissances sur l’énergie, pensent que le nucléaire ne produit pas de CO2.

Des Français de moins en moins optimistes sur la lutte contre le changement climatique

Alors même que le péril climatique paraît de plus en plus aigu aux yeux des Français, un certain fatalisme semble s’installer.

Devant l’inaction de la communauté internationale, d’abord. La confrontation avec le changement climatique est perçue de plus en plus inéluctable sans que cela modifie le degré de confiance – dans un sens ou dans l’autre – à l’égard de la capacité de l’humanité à réagir efficacement. Depuis que la question est posée (2006), ce rapport reste du même ordre et n’a pas évolué après Copenhague : environ 40 % sont plutôt confiants, 60 % pas vraiment.

Scepticisme aussi vis-à-vis de leur propre capacité d’action. Depuis trois ans, une majorité de Français (58 %) estime que les gestes individuels que l’on peut faire pour lutter contre l’effet de serre ne sont pas efficaces. Le scepticisme est plus fort chez les personnes de plus 55 ans (62 %) mais il n’est pas absent chez les moins de 35 ans (48 %).

Dans l’enquête ADEME, on propose aux interviewés de choisir leur solution préférée entre quatre, pour lutter contre l’effet se serre. Peu de Français (11 %) croient que le progrès technique permettra de trouver des solutions pour lutter contre l’effet de serre, sans doute à cause de l’ampleur disproportionnée du phénomène. Sont aussi minoritaires les fatalistes qui pensent qu’il n’y a rien à faire, qui sont certes deux fois plus nombreux qu’en 2006, mais qui ne dépassent guère 12 %.

L’idée que c’est aux États de réguler le réchauffement climatique à l’échelle mondiale n’a jamais séduit plus de 25 % des Français depuis 2006 (19 % en 2014), Copenhague n’ayant d’ailleurs pas particulièrement joué sur cette opinion.

C’est bien la modification des modes de vie qui apparaît comme l’option la plus crédible. Elle est partagée par 57 % des Français et progresse de nouveau depuis 2012.

On aurait tort toutefois de prendre pour argent comptant la posture majoritaire du changement de mode de vie. Pour essayer d’entrer dans le concret des comportements et déjouer les déclarations d’intention sans valeur, l’enquête ADEME a tenté de distinguer entre des actions qui pourraient réduire les émissions de gaz à effet de serre, que le public a déjà adopté ou pourrait adopter plus ou moins facilement, et des inflexions de comportement plus difficiles, souvent pour des raisons d’impossibilité pratique. 

Tableau 7 : le jugement des Français sur l’efficacité des gestes individuels

Question : d’après vous, les gestes que chacun peut faire à titre individuel pour lutter contre l’effet de serre (changement climatique) sont-ils :

 

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À l’examen des réponses, on constate que les réticences sont plus fortes lorsque les comportements prescrits :

  • ont un coût pour le consommateur (les taxes, notamment, sont très mal acceptées) ;
  • ont une justification environnementale floue : la limitation de la consommation de viande apparaît sans doute comme une bonne pratique pour la santé (déjà pratiquée par 46 %), mais le lien avec le climat est ténu ; la résistance est donc plus élevée ;
  • se heurtent à des impossibilités pratiques : ainsi c’est dans le domaine des transports que les réticences sont les plus fortes : prendre les transports en commun ou utiliser le vélo plutôt que la voiture, voire faire du covoiturage, est difficile ou irréaliste pour un Français sur deux ; chez les utilisateurs quotidiens de la voiture, 75 % n’envisagent pas de l’abandonner. 

Finalement, la confrontation entre les intentions et les comportements est assez cruelle : les actions les moins contraignantes sont évidemment plébiscitées, mais dès que l’on aborde la question des transports, levier le plus important de la lutte contre le CO2, ou la fiscalité écologique, les réticences sont fortes. La question de l’habitat pavillonnaire, testé dans l’enquête et que les interviewés ne veulent abandonner à aucun prix, est sans doute le meilleur exemple d’un changement de mode de vie qu’en réalité peu de Français sont prêts à assumer.


Voir par exemple « Les ménages français face à l’efficacité énergétique de leur logement en 2013 », enquête TNS-Sofres pour l’ADEME auprès de 10 000 ménages, réalisée en janvier 2014. 

Baromètre Image des énergies, enquête réalisée pour EDF par CSA auprès d’un échantillon national de 2 020 personnes âgées de 18 ans et plus, entre le 4 et le 20 décembre 2014. 

Avec une formulation légèrement différente, l’enquête TNS-Sofres de 2013 pour le ministère de l’Écologie conclut à la même proportion de climato-sceptiques : 35 %. Voir Chiffres et statistiques n°440, Commissariat général au développement durable, août 2013.

De 2000 à 2014 quinze enquêtes ont été réalisées. Jusqu’en 2013, elles ont été réalisées par téléphone auprès de 1 000 Français ; la dernière vague de 2014 a été réalisée online par Opinion-Way auprès d’un panel de 1548 internautes âgés de 15 ans et plus, du 20 juin au 7 juillet 2014, avec les critères habituels de représentativité (sexe, âge, PCS, catégorie d’agglomération et région).

La formulation de cet item a changé en 2014 : l’Ademe a ajouté « au gaz, au charbon ou au fuel », ce qui a provoqué une augmentation artificielle de cet item (ces combustibles ont une image de polluants) et empêche toute comparaison avec les années précédentes.

Baromètre Image des énergies 2014, op.cit..

Par Didier Witkowski, Directeur Études et Veille, EDF.