Formation à la française pour le nucléaire chinois
« La sûreté est un bien commun de l’humanité. De ce fait, la coopération internationale a beaucoup de sens » rappelle Jean-Marie Bourgeois-Demersay, directeur de l’Institut franco-chinois de l’énergie nucléaire. Visite guidée de l’IFCEN, sur le campus de Zhuhai de l’université Sun Yat-sen.
Les débuts de la coopération franco-chinoise dans le domaine du nucléaire civil remontent au lancement, dans les années 1980, du projet de la centrale de Daya Bay (Guangdong). Depuis, la Chine a développé son parc nucléaire et prévoit de produire plus d’une cinquantaine de GWe supplémentaires d’ici 2020, soit une augmentation de près de 600 % de sa capacité actuelle. Pour y parvenir, l’Empire du Milieu a besoin de personnels hautement qualifiés. C’est pour répondre à ce besoin que l’IFCEN a vu le jour.
Créer une nouvelle pédagogie
Jean-Marie Bourgeois-Demersay, directeur français de l’IFCEN sur le campus de Zhuhai de l’Université Sun Yat-sen (80 km au sud de Canton), rappelle que « les industriels – AREVA, EDF, Bureau Veritas et le Chinois CGN – sont à l’origine de la création de l’IFCEN ». L’objectif était alors, en 2008, de répondre au besoin exprimé par l’industrie nucléaire chinoise de disposer d’équipes formées « à la française », sur le modèle des écoles d’ingénieurs hexagonales qui s’exporte très bien, notamment dans les pays où l’industrie est en pleine expansion.
Les Chinois ont manifesté leur intérêt pour une formation différente de la leur, qui amène les étudiants à tout démontrer, les place en position de résoudre des problèmes complexes, sans réinventer ce qui existe déjà, et à identifier les bonnes informations. Les futurs ingénieurs apprennent à travailler en équipe et en mode projet, l’idée étant bien de prendre le meilleur des deux modèles d’enseignement français et chinois pour les associer et créer, à long terme, une nouvelle pédagogie.
Un cursus exigeant
Le cursus de l’IFCEN est très sélectif. Les jeunes intègrent l’école après le baccalauréat. Les cinq premiers mois sont consacrés à l’enseignement intensif du français, qu’ils doivent très vite pratiquer de manière à suivre dans la langue de Molière les cours de maths et physique de niveau Maths Sup / Maths Spé. La direction pédagogique du cycle préparatoire (les trois premières années) et du cycle d’ingénieur (les trois dernières années) est française. Mais les équipes pédagogiques et la Direction de l’IFCEN sont franco-chinoises, les deux pays étant représentés dans toutes les disciplines.
La formation complète dure six ans, dont plusieurs stages : un mois à la fin de la 4ème année, deux mois en fin de 5ème année et cinq mois en fin de formation. Ces huit mois d’immersion en entreprise garantissent l’employabilité des diplômés. La qualité des enseignements et des étudiants est telle que la première promotion de l’IFCEN a été intégralement pré-embauchée un an avant la fin de sa formation. Quatre de ces jeunes seront d’ailleurs présents à WNE.
L’enseignement délivré par l’IFCEN se déroule en trois langues (français, chinois et anglais). Si la promotion 2010 comptait 79 étudiants, la promotion 2015 en compte 109, avec un objectif de 110 à 120 étudiants pour les prochaines années. Les premiers diplômés sortiront en juin 2016 pour rejoindre en majorité les énergéticiens chinois ou poursuivre leur formation par une thèse en France.
La qualité de ses formations a valu à l’IFCEN son accréditation par la Commission des titres d’ingénieur en octobre 2015 pour six ans. 400 heures par semestre doivent être consacrées aux cours et aux travaux pratiques, dont 20 % dédiée à des matières non scientifiques (langues étrangères, management, sciences économiques et sociales, gestion de projet…). Le reste du temps est consacré aux travaux personnels et en équipe. Par ailleurs, 20 % des enseignants doivent être issus du monde professionnel (industrie, laboratoires, etc.).
De son côté, le ministère chinois de l’enseignement exige que les étudiants présentent un mémoire de Bachelor à la fin de leur 4e année et un autre de Master à la fin de la 6e année débouchant sur la publication d’un ou deux articles dans des revues scientifiques.
Les partenaires de l’IFCEN
Pour créer l’IFCEN en 2009, un consortium universitaire s’est créé en France, regroupant l’école de Chimie Paris Tech, l’Ecole des Mines de Nantes, l’Ecole de Chimie de Montpellier, l’INSTN et Grenoble INP qui pilote le consortium. Les industriels français sont également en support, finançant à hauteur de 60 % sur 6 ans la partie française du budget de l’IFCEN. Tous les partenaires français de l’IFCEN sont regroupés au sein de l’I2EN – Institut International de l’Energie Nucléaire.
Du côté chinois, le partenaire académique est l’université Sun Yat-sen (SYSU) de Canton, une des meilleures universités chinoises, établie dans la région où se construisent la majorité des centrales nucléaires du pays.
La création de l’IFCEN s’est faite en deux temps : la phase de « formation » d’abord, pilotée par Grenoble INP puis, à partir de 2015 la phase de « recherche et développement », pilotée par le CEA. L’accord de 2009 a été renouvelé en octobre 2015 jusqu’en 2022.
Cette collaboration franco-chinoise intéresse les deux pays, leur permettant de créer un programme d’enseignement de haut niveau aux résultats stratégiques. Pour les entreprises partenaires, l’intérêt est tout aussi important : créer un réseau d’étudiants trilingues, ambassadeurs de la Chine en France et de la France en Chine, qui seront à terme des décideurs de haut niveau dans les programmes nucléaires.