Fermeture de Tihange 1 : entre regret industriel et pari politique
La fermeture de Tihange 1, en pleine recomposition de la politique énergétique belge, a suscité une vague de réactions. Beaucoup dénoncent une décision difficile à comprendre, alors que la filière nucléaire vient tout juste d’être relancée. Retour sur un paradoxe typiquement belge.
Samedi 30 septembre 2025, à 23 h 21 précises, la Belgique a déconnecté du réseau le réacteur Tihange 1 (962 MW). En service depuis 1975, il aura fonctionné cinquante ans. Engie-Electrabel a basculé le site en post-exploitation, sous le contrôle de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN), avant un démantèlement prévu à partir de 2028.
En dix ans, près de 600 millions d’euros ont été investis pour prolonger son exploitation. Pourtant, la fermeture a été confirmée par le gouvernement fédéral : toute prolongation aurait nécessité une révision complète de sûreté et de nouveaux investissements. L’arrêt est intervenu « en toute sûreté », selon l’AFCN. Cette fermeture marque un paradoxe : quelques mois plus tôt, la Belgique avait abrogé la loi de 2003 sur la sortie du nucléaire, rouvrant la voie à une reconstruction partielle de la filière. Une unité emblématique s’éteint donc alors que la relance est amorcée.
“On va dans le mur” : la colère du bourgmestre de Huy
À Huy, la fermeture de Tihange 1 est vécue comme un séisme économique.
Le bourgmestre Christophe Collignon (PS) déplore une décision « difficile à comprendre » et redoute un choc budgétaire pour la commune, privée de près de 10 millions d’euros par an de taxes liées à la centrale.
Sur X (anciennement Twitter), il fustige un manque de vision à long terme : « Ce mercredi minuit, Tihange 1 sera mis à l’arrêt. Une décision lourde de conséquences pour Huy : des fermetures successives entraînant des pertes financières, qui s’ajoutent aux mauvais choix des gouvernements fédéral et wallon qui mettent les pouvoirs locaux en danger… »
— @ Lien vers le tweet de ChristopheHuy, 30 septembre 2025
😡 Ce mercredi minuit, Tihange 1 sera mis à l’arrêt. Une décision lourde de conséquences pour Huy: des fermetures successives entraînant des pertes financières, qui s’ajoutent aux mauvais choix des gouvernements fédéral et wallon qui mettent les pouvoirs locaux en danger… pic.twitter.com/i2BE47SGkR
— Christophe Collignon (@ChristopheHuy) September 30, 2025
Interrogé par Belga, il juge incohérent de « fermer une centrale sûre et rentable alors même que l’on abroge la loi de sortie du nucléaire », avant de conclure : « On va dans le mur ».
“Reconstruire une capacité nucléaire” : la ligne fédérale
Le lendemain, le ministre de l’Énergie Mathieu Bihet (MR) a replacé la fermeture dans une stratégie plus large : reconstruire rapidement une capacité pilotable bas carbone afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement et de maîtriser les prix de l’électricité.
Invité du Café sans filtre (LN24 / LN Radio) le 1ᵉʳ octobre, il a indiqué avoir réuni l’exploitant et les copropriétaires pour évoquer les suites techniques et économiques de l’arrêt.
Selon RTL info, des discussions sont également en cours sur une éventuelle prolongation de Tihange 1, ainsi que de Doel 2.
Le quotidien L’Echo note que cette séquence alimente le débat entre fin définitive et possible nouvel accord nucléaire, Tihange 1 étant au centre des discussions post-arrêt.
“Un non-sens pour la Belgique” : la réaction de l’industrie
Le Belgian Nuclear Forum (BNF) déplore la fermeture de Tihange 1, « une unité dans laquelle 600 millions d’euros ont été investis ces dix dernières années ».
L’organisation y voit « une décision politique prise il y a plusieurs années » qui « n’a plus aucun sens dans le contexte actuel ».
Le BNF souligne la perte immédiate d’environ 1 GW de production pilotable bas-carbone pour le système électrique belge. La filière parle d’une « occasion manquée » : l’arrêt d’un actif amorti, sûr et décarboné complique la maîtrise de la facture et la gestion des pointes hivernales.
“Une incohérence politique majeure”
L’abrogation, en mai 2025, de la loi de 2003 sur la sortie du nucléaire a rouvert la voie à une relance partielle de la filière, au moment même où Tihange 1 s’éteint.
Pour plusieurs acteurs du secteur, cette séquence entretient un paradoxe : discours de relance d’un côté, fermeture d’une unité historique de l’autre. Le gouvernement a d’ailleurs confirmé être en discussion avec l’exploitant sur de possibles prolongations supplémentaires concernant Tihange 1 et Doel 2.
Un tournant belge
L’arrêt de Tihange 1 symbolise le grand écart d’une politique énergétique en pleine recomposition. Un État fédéral qui relance le nucléaire après l’avoir proscrit, un exploitant prudent face aux prolongations, des communes affectées et une opinion toujours partagée. ■