“La FARN constitue une ligne de défense ultime de la sûreté nucléaire en cas d’accident”, Philippe Renoux - Sfen

“La FARN constitue une ligne de défense ultime de la sûreté nucléaire en cas d’accident”, Philippe Renoux

Publié le 26 octobre 2013 - Mis à jour le 28 septembre 2021

Capable d’intervenir dans les plus brefs délais pour un aléa externes sur une centrale nucléaire, la FARN constitue une réponse importante d’EDF à l’accident de Fukushima. Pour découvrir son organisation, les hommes qui la composent, les moyens dont elle dispose, François Descatoire et Vincent Borel sont allés interroger Philippe Renoux, son Directeur.   

SFEN Jeune Génération : pourriez-vous nous décrire votre parcours professionnel avant d’avoir été nommé Directeur de la Force d’Action Rapide Nucléaire (FARN) ?

 

Philippe Renoux : j’ai commencé mon parcours chez EDF en 1983 au Centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Cruas-Meysse en tant qu’Ingénieur Sûreté Radioprotection (ISR) puis dans les domaines de la Maintenance et des Arrêts de Tranche. En 1995, j’ai intégré l’Unité technique opérationnelle (UTO), une unité nationale chargée notamment de la gestion des Pièces de Rechange du Parc nucléaire.

J’ai ensuite quitté la Division Production Nucléaire (DPN) pour travailler à la direction de l’audit. J’ai retrouvé la DPN quatre ans plus tard en tant que Directeur des Arrêts de Tranche à la centrale nucléaire de Dampierre, poste que j’occupais lorsque l’on m’a proposé d’intégrer le cabinet du PDG d’EDF de l’époque, Pierre Gadonneix, en tant que conseiller en charge de la production, du développement durable et de la recherche. J’ai effectué mon second retour à la DPN comme Directeur adjoint de la centrale nucléaire de Gravelines, dans le nord de la France. Enfin j’ai été sollicité en avril 2011 pour prendre le poste de Directeur du projet Post-Fukushima au sein de la DPN. En parallèle de la direction de ce projet, je suis également directeur de la FARN depuis le 1er janvier 2013.  

Pourriez-vous nous décrire le contexte qui a amené à la création d’une telle organisation ?

PR : Suite à l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi en mars 2011, le Premier Ministre François Fillon a saisi l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) pour que soit établi un état des lieux des installations nucléaires françaises. Au vu des tous premiers éléments de REX de l’accident, le PDG d’EDF annonce, dès avril 2011, la création d’une force d’action rapide nucléaire. Le 5 mai 2011, l’ASN demande à EDF de réaliser des Evaluations Complémentaires de Sûreté (ECS) des centrales nucléaires en exploitation afin de répondre à un certain nombre d’interrogations, dont :

– Les référentiels de sûreté prennent-ils suffisamment bien en compte les risques de séisme et d’inondation ?

– Les installations présentent-elles des effets « falaise » juste au-delà du référentiel, qui pourraient être à l’origine de conséquences inacceptables comme ce fut le cas à Fukushima ?

Le 14 septembre 2011, EDF remet ses Rapports d’Evaluations Complémentaires à la disposition de l’ASN, laquelle, après analyse de ces rapports, annonce en janvier 2012 que les centrales présentaient un niveau de sûreté suffisant pour ne demander l’arrêt d’aucune d’entre elles. Dans ces RECS EDF définit trois grandes orientations d’actions :

– renforcer les protections des CNPE contre les agressions externes : séisme et inondation,

– renforcer les alimentations en eau de refroidissement et électricité des centrales,

– renforcer l’organisation de gestion de crise,

Deux mesures majeures sont proposées par EDF dans les RECS (puis reprises par l’ASN dans ses prescriptions techniques en juin 2012)

– la création d’un « noyau dur » de dispositions matérielles et organisationnelles résistant à des aléas naturels (inondation – séismes) bien au-delà du référentiel visant à, diversifier les appoints en eau et en électricité, mettre en place des dispositifs pour limiter au maximum les rejets en cas d’accident grave (pas de contamination importante et durable des territoires) et consolider la gestion de crise actuelle ;

– la création de la FARN est réaffirmée : au delà du renforcement des équipes locales (permettant de gérer les premiers instants d’un accident) et des centres de gestion de crise locaux, EDF a proposé la création d’une force d’action rapide capable de fournir une aide extérieure à un CNPE touché notamment par un aléa externe : la FARN (Force d’Action Rapide Nucléaire).

La FARN s’inscrit donc pleinement dans le programme des actions définies par EDF à la suite de l’accident de Fukushima.

Quelles sont les missions de la FARN et comment cette Force d’Action s’inscrit-elle dans l’organisation de crise déjà en place ?

PR : La FARN s’inscrit dans l’organisation de crise nationale d’EDF et en partage donc les objectifs, en particulier celui de maîtriser la situation afin de limiter au maximum les rejets dans l’environnement.

Pour cela, la mission de la FARN est d’apporter en moins de 24h des moyens humains, matériels et logistiques supplémentaires à un site en situation d’accident, même en cas de destruction importante des infrastructures. Par exemple la FARN peut intervenir en cas de destruction des routes d’accès au site, qui peut rendre difficile, voire impossible, l’arrivée des équipes d’astreinte propres à la centrale.

Quels seront les moyens humains de la FARN ? Combien d’équipes seront créées, de qui seront-elles composées et où seront-elles basées ?

PR : La FARN est composée d’un état-major, basé à Levallois-Perret (92), qui grée, en cas d’intervention, l’équipe de reconnaissance, la première à arriver sur les lieux en cas de crise. La FARN est aussi composée de 4 services régionaux qui envoient, en cas de mobilisation les « colonnes » d’intervention. Ils sont basés sur les centrales nucléaires de Bugey, Civaux, Dampierre et Paluel.

Chaque colonne est composée de 14 personnes qui sont des professionnels du nucléaire : 1 chef de colonne, 6 personnes spécialisées dans la conduite de l’installation, 5 personnes dédiées aux interventions et 2 personnes chargées de la logistique. Chaque colonne est dotée de matériels et d’une logistique adaptés aux situations que la FARN peut rencontrer.

Evidemment, au quotidien, le rôle d’un agent de la FARN n’est pas d’intervenir, mais d’être en permanence prêt à intervenir. Pour gérer cette situation d’attente permanente d’un éventuel accident, les personnels de la FARN consacrent 20 semaines par an à des entraînements spécifiques liés à leur mission au sein de la FARN et sont le reste du temps au service de leur centrale d’attachement.

Quels seront les différents moyens techniques dont disposera la FARN pour répondre à une situation de crise ?

PR : La FARN sera dotée de moyens terrestres importants : véhicules 4×4, poids lourds à haute motricité avec une grue de manutention, poids lourds à haute motricité munis d’un plateau et poids lourds à motricité renforcée avec une remorque transportant un chariot automoteur 4×4.

Au delà des moyens terrestres, la FARN est dotée également de moyens fluviaux (barges), et disposera, par convention, de moyens aériens (hélicoptères) pour intervenir sur le site accidenté.

Ces moyens de transport servent à acheminer vers le site des moyens d’approvisionnement en eau (pompes, filtres, tuyaux, etc.) et en électricité (groupes électrogènes). La FARN est capable d’intervenir de manière autonome en termes de ressources humaines et énergétiques.

Quelles sont les grandes étapes d’une intervention de la FARN ? En particulier, qui, dans l’organisation de crise, entérine l’intervention de la FARN ?

PR : En cas d’accident sur un site, c’est au directeur de la centrale d’estimer si le matériel et les effectifs dont il dispose permettront de gérer la crise. S’il les estime insuffisants, il contacte alors le Directeur de Crise National (PCDN) qui décide de l’intervention de la FARN et demande alors sa mobilisation : c’est le « T zéro » de la FARN.

Les quatre colonnes et l’équipe de reconnaissance convergent alors tous vers le site touché. Un hélicoptère de reconnaissance permet de faire un premier état des lieux de l’installation et des moyens d’intervention disponibles (Etat global du CNPE, dont bâtiments ? Etat de la source froide ? Accessibilité du site ? Etat des « plugs » de connexion des moyens de secours ?….).

Très rapidement, la FARN grée une « base arrière » à une vingtaine de kilomètres du site touché après autorisation du préfet. Cette base (située sur un aérodrome ou un gymnase par exemple) a pour fonction de gérer les flux de matériels et de personnes à destination du CNPE accidenté.

La FARN apporte alors son soutien humain, matériel et logistique pour gérer la crise le plus efficacement possible. Les deux principaux jalons d’intervention sont les suivants :

– 12h après le « T zéro » : les premiers agents FARN d’intervention arrivent sur le site impacté.

– 24h après le « T zéro » : le matériel nécessaire à la gestion de l’accident est opérationnel.

Envisage-t-on des soutiens mutuels entre EDF et d’autres exploitants français ou mondiaux en cas de difficultés sur leurs installations ?

PR : La FARN a été dimensionnée pour intervenir sur les installations d’EDF. Toutefois, il n’est pas exclu que la FARN apporte un soutien (notamment matériel) en cas d’accident sur d’autres installations sans toutefois dégrader sa capacité d’intervention sur un CNPE d’EDF SA.

Quand la Force sera-t-elle opérationnelle ?

PR : La FARN est opérationnelle (« projetable » d’après le vocable de l’ASN) depuis le 1er janvier 2013. Toutefois, elle n’est en capacité d’intervenir que sur un réacteur à la fois, sans encore garantir l’ensemble des délais, alors que chaque centrale française comprend entre 2 et 6 réacteurs au même endroit.

Les prescriptions techniques de l’ASN nous demandent de respecter les jalons suivants :

– Fin 2014 : la FARN sera en mesure d’intervenir sur quatre réacteurs d’une même centrale.

– Fin 2015 : la FARN sera opérationnelle pour intervenir sur la totalité des réacteurs de n’importe quelle centrale.

Quel est le cadre réglementaire vis-à-vis de la dosimétrie des agents de la FARN, et quelle organisation sera mise en place afin de respecter ce cadre ?

PR : Le cadre réglementaire applicable aux agents de la FARN est le même que pour tous les salariés travaillant sur un site nucléaire, c’est-à-dire une dose annuelle qui doit être inférieure à 20mSv. Le code du travail indique que cette limite peut être augmentée à 100mSv par intervention en cas d’urgence radiologique, et à 300mSv si des vies humaines sont engagées. A titre de comparaison, un scanner abdominal entraîne une exposition à une dose d’environ 15mSv.

Toutefois la FARN peut avoir à faire face à des situations très perturbées. Elle est engagée dans une démarche ALARA (« as low as reasonably achievable ») dont le principe est de mettre en place toutes les dispositions raisonnablement possibles pour réduire l’exposition à la radioactivité des individus. Dans cette démarche, chaque colonne compte dans ses rangs un radioprotectionniste qui a aussi en charge de prévenir les risques « sécurité » de leur intervention.

De plus, les médecins du travail sont associés à cette démarche ; ils sont consultés pendant l’ensemble du gréement de la FARN, et accompagneront les activités opérationnelles en cas d’intervention.

Quels sont les profils recrutés par la FARN et quel est le processus de formation prévu ?

PR : Les personnels de la FARN sont essentiellement des personnes expérimentées dans le domaine du nucléaire, mais la FARN est également ouverte aux nouveaux embauchés et aux jeunes qui sont motivés.

Un agent de la FARN doit faire preuve de solidarité et aimer le travail en équipe : la cohésion des colonnes est un aspect essentiel lors d’une intervention. Il doit avoir également de bonnes compétences techniques, être adaptable face à la diversité des situations qu’il peut rencontrer et bien sûr aimer le travail sur le terrain.

En ce qui concerne le cursus de formation, un agent qui intègre la FARN suit au cours des 4 premiers mois une formation initiale qui lui permet de prendre l’astreinte. Au cours des 6 mois suivants, ce socle de base est complété pour achever la formation de l’équipier.

A l’issue de sa formation initiale, et au cours des 20 semaines annuelles pendant lesquelles il est dédié à la FARN, il suit régulièrement des formations de maintien de capacités et réalise des exercices dans le cadre des tests de validation de sa colonne.

Un dernier mot pour faire naître des vocations ?

PR: La FARN est un projet formidable en lequel la DPN croit beaucoup, et dans lequel elle a mis les moyens de ses ambitions. C’est une idée nouvelle pour le nucléaire : la FARN constitue une ligne de défense ultime de la sûreté nucléaire en cas d’accident.

Elle démontre la solidarité nationale d’EDF pour le CNPE accidenté et constitue un renfort national professionnel polyvalent capable d’aider des collègues en difficulté.

Ce projet véhicule des valeurs importantes : la solidarité et une rigueur totale, qui sont partagées par tout le personnel de la FARN et sont la base de la culture d’exploitant nucléaire.

Enfin, la FARN est en création. Elle évolue chaque semaine et c’est passionnant. Elle suscite beaucoup d’attentes de la part de tout le personnel d’EDF, de l’ASN et du public.

Par François Descatoire et Vincent Borel