États-Unis : l’avant-garde du nouveau nucléaire
Aux États-Unis, l’énergie nucléaire fournit 20 % de l’électricité et 60 % de l’électricité bas carbone. Consciente que l’atome est l’un des principaux vecteurs de décarbonisation du pays et un atout pour son développement économique, la Maison Blanche met à disposition des moyens financiers et opérationnels pour soutenir une industrie en pleine mutation.
Outre-Atlantique, le nucléaire change de visage. Sans aller jusqu’à parler d’« ubérisation » du secteur, le modèle traditionnel est bousculé par l’émergence d’une quarantaine de start-up. Composées d’une poignée de salariés, ces entreprises innovent et proposent de nouveaux modèles de réacteurs. Toutefois, dans un secteur où les développements technologiques exigent la mise en œuvre de moyens importants, notamment pour réaliser les démonstrations de sûreté, leur taille ne leur permet pas de concrétiser seules les projets qu’elles imaginent.
C’est pour accompagner ce foisonnement et faire en sorte que les projets sur le papier prennent vie, que l’Administration Obama a mis en place un large panel de nouveaux outils dont le programme GAIN (Gateway for Accelerated Innovation on Nuclear).
De plus en plus de start-up
Aux États-Unis, l’innovation nucléaire se transforme et n’est désormais plus l’apanage des laboratoires nationaux ni des grands industriels. De nouveaux acteurs apparaissent qui proposent un modèle économique basé sur les levées de fonds (fund raising). Fraîchement diplômés d’universités prestigieuses, les jeunes ingénieurs du nucléaire ne rêvent plus de travailler pour les acteurs historiques du secteur, mais ont pour ambition de monter leur entreprise. Une grande majorité d’entre eux souhaite développer des innovations qui permettront de faire du nucléaire une technologie au service de la lutte contre le changement climatique.
Un nombre croissant de start-up vient grossir les rangs de l’industrie, portant à 48 le nombre de sociétés développant de nouveaux concepts. Ces jeunes entreprises imaginent des réacteurs de petite taille pour produire de l’énergie qui, pour certains, pourront aussi consommer les déchets nucléaires existants. Cependant, toutes ne disposent pas des moyens colossaux de Terra Power, start-up financée par Bill Gates, et se heurtent à des difficultés : les démonstrations de sûreté et le passage à la phase industrielle.
L’industrie nucléaire n’est pas accessible au tout-venant. Pour innover, les entreprises doivent, à un moment donné, pouvoir s’appuyer sur des moyens logistiques importants, des infrastructures de recherche conséquentes (maquettes, prototypes, etc.) et une expertise scientifique pointue sur un spectre relativement large (experts en matériaux, thermo-hydraulique, etc.). Tout ceci a un coût. C’est seulement l’ensemble de ces éléments qui peut en particulier permettre de consolider les concepts et réaliser les démonstrations de sûreté exigées par l’Autorité de sûreté, la NRC (Nuclear Regulatory Commission).
« GAIN », un portail pour soutenir l’innovation
Des moyens adaptés aux besoins des nouvelles entreprises
Pour accompagner ce changement profond du modèle de l’innovation dans le nucléaire, le gouvernement fédéral a donc mis en place un portail dédié : GAIN. Cette plateforme, exploitée à partir de l’Idaho National Lab, doit fournir à ces nouvelles entreprises, et en particulier les start-up, le support technique (personnes, installations, matériel et données), réglementaire et financier nécessaire pour mettre leurs innovations sur les rails de la commercialisation. GAIN fournira un guichet unique à la communauté nucléaire.
Ce programme permettra de :
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développer un « banc d’essai » (accès aux outils de modélisation et de simulation) pour aider les entreprises à réduire les coûts liés à l’élaboration d’un premier prototype ;
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accéder à la base de données Nuclear Energy Infrastructure Database (NEID) pour permettre aux entrepreneurs d’identifier les ressources et le soutien à la mise en œuvre de leurs technologies ;
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aider à comprendre et à naviguer dans le processus réglementaire d’autorisation des nouvelles technologies de réacteur. Dans le cadre de cet effort, le DoE organise des ateliers de formation.
Le soutien financier du DoE
Le DoE continuera à soutenir la recherche dans le secteur de l’énergie nucléaire. La loi de finances américaine pour 2016, signée par le président Obama le 18 décembre, attribue 986 millions de dollars (902 millions d’euros) aux programmes nucléaires. Il s’agit là d’une augmentation de 80 M $ par rapport à l’année précédente, soit près de 9 %. Sur cette somme, plus de 400 M $ iront à la recherche, dont 203 M $ sur le cycle du combustible, 141 M $ sur les réacteurs et 62,5 M $ sur les Small Modular Reactors, réacteurs modulaires de petite puissance.
Le DoE contribue également à l’accompagnement du déploiement de nouveaux réacteurs avec 12,5 milliards de garantie de prêt pour les projets nucléaires.
Enfin, le DoE prévoit 2 millions de dollars sous forme de bons d’échange (voucher) pour assister les entrepreneurs dans l’obtention des savoir-faire nucléaires, à partir du réseau des laboratoires nationaux.
Le soutien à l’industrie nucléaire américaine traduit la volonté du gouvernement de s’imposer comme un leader sur le marché mondial. Dans un contexte où la compétitivité du nucléaire américain est souvent mise à mal par l’utilisation croissante des gaz non conventionnels, mais où l’industrie nucléaire américaine représente 40 à 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires et près de 180 000 emplois, le gouvernement a parfaitement pris conscience de la nécessité de soutenir l’innovation dans le domaine. Ceci contribuera d’abord à rendre plus compétitive l’exploitation des 99 réacteurs en fonctionnement et de les préserver, puis favorisera l’éclosion de nouvelles technologies (dont les petits réacteurs modulaires), moins coûteuses et donc susceptibles d’être plus facilement déployables sur le continent américain.
Cap sur les petits réacteurs modulaires
À la différence des centrales nucléaires en exploitation dont la puissance égale ou dépasse 1 000 mégawatts, les SMR ont une puissance comprise entre 50 et 300 MW. Autre singularité par rapport aux centrales « classiques », la majorité des composants utilisés dans ces réacteurs sont plus petits et plus compacts, et peuvent donc être fabriqués en usine pour ensuite être transportés vers le site d’installation pour y être assemblés.
Pour le Secrétaire d’État à l’Énergie, Ernest Moniz, les bénéfices des SMR sont nombreux. Ils disposent par exemple « d’excellentes caractéristiques de sécurité ». Les concepts en développement incluent des améliorations en matière de sûreté et de non–prolifération qui pourront bénéficier à l’ensemble de la communauté internationale. Par ailleurs, la plupart des SMR pourront résister à des agressions externes comme les événements naturels extrêmes ou les attaques terroristes, affirme le secrétaire d’État. Certains concepts prévoient même d’étendre la période d’exploitation de plus de dix ans sans qu’il ne soit nécessaire de recharger le combustible du réacteur, réduisant ainsi les risques associés à la manipulation des matières nucléaires.
En étant fabriqués à partir de modules et de petits composants, les SMR nécessitent un capital de départ moindre que pour une centrale de plus grande puissance. Le talon d’Achille du nucléaire – disent les détracteurs de cette industrie – serait que les projets nucléaires sont trop capitalistiques et leur temps d’amortissement trop long. Les petits réacteurs modulaires requièrent moins de temps et donc moins d’argent pour être construits, et permettent donc aux investisseurs de percevoir plus rapidement les fruits de leurs investissements. Vers un changement de modèle économique ? C’est ce qu’espère Ernest Moniz : « Si nous avons une voie viable à la construction de SMR, l’ensemble de la structure de financement peut changer et rendre le nucléaire beaucoup plus abordable ».
Last but not least, couplés aux énergies renouvelables intermittentes, les SMR pourraient aider à équilibrer le réseau électrique et assurer la sécurité d’approvisionnement des pays qui les utilisent.
« Dans l’industrie nucléaire, les choses mettent du temps à changer » souligne Ernest Moniz. « La maturité industrielle et commerciale des SMR n’arrivera pas avant le milieu des années 2020. Si nous pouvons démontrer que le premier réacteur modulaire est viable dans la première partie de la prochaine décennie, alors ce que nous espérons est que cela fera partie du processus de planification dans le milieu de la prochaine décennie pour nos services publics », conclut-il. M. Moniz rappelle également que « vers 2030, nous entrerons dans la prolongation d’exploitation au-delà de 60 ans pour les réacteurs américains. Et c’est un moment particulièrement important pour les énergéticiens qui pourront alors s’engager dans un nouveau cycle nucléaire. » Selon lui, les SMR pourraient « changer la donne ».