« Durée de vie » d’une centrale nucléaire, de quoi parle-t-on ?
Régulièrement, l’expression « durée de vie » est utilisée pour évoquer le temps pendant lequel une centrale peut fonctionner. Cependant, au regard des spécificités propres au domaine nucléaire, il convient davantage de parler de « durée d’exploitation » ou de « durée de fonctionnement ». Explications.
L’autorité de sûreté délivre aux industriels une « licence » pour autoriser ou non l’exploitation de l’installation
La durée pendant laquelle une centrale fonctionnera est en premier lieu une question d’autorisation d’exploitation, la « licence ». Celle-ci est donnée à l’exploitant par l’autorité de sûreté nucléaire locale pour une durée limitée. Les conditions d’obtention de cette « licence » sont fixées par la réglementation en vigueur au moment du démarrage : il faut en particulier montrer que jusqu’au terme accordé par la licence, le fonctionnement sera assuré avec un niveau de sûreté suffisamment élevé. En France, le fonctionnement des réacteurs nucléaires est autorisé sans limite de durée.
Cependant, la réglementation demande que, tous les 10 ans, soient réexaminées les conditions de sûreté dans lesquelles la centrale est exploitée. Pour permettre la poursuite de l’exploitation, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) requiert alors à l’exploitant qu’il apporte la démonstration que centrale fonctionnera de manière sûre, selon un référentiel de règles de sûreté remis à jour, jusqu’au prochain réexamen. Dans les pays soumis au processus de licence de durée limitée, le principe est semblable, et, par exemple aux Etats-Unis, lorsque la durée de fonctionnement autorisée par la licence initiale est atteinte, il est possible, sous réserve d’une démonstration similaire dans son principe, de renouveler la licence pour une nouvelle période.
Comment les industriels gèrent-ils le vieillissement de leur installation ?
Un réacteur nucléaire n’est pas à l’abri de phénomènes conduisant à une dégradation de ses composants, liée à l’âge. Ces phénomènes, de « vieillissement » peuvent dans certains cas augmenter le risque d’une défaillance affectant la sûreté de la centrale. Ils doivent donc faire l’objet d’une gestion particulière. Tout d’abord la connaissance des phénomènes de vieillissement induisant ces dégradations s’est considérablement améliorée et affinée depuis l’époque de la conception des centrales. Chaque phénomène de vieillissement est étudié en laboratoire, et est « surveillé » sur les composants en service. Ces expériences sont capitalisées et permettent des prévisions plus fines de l’évolution futures des dégradations, parce qu’elles sont basées sur ce qui est mesuré réellement. Ensuite, pour la plupart des composants, lorsqu’une dégradation avérée évolue, l’exploitant peut recourir à différentes parades : adapter le mode de fonctionnement et de pilotage du réacteur pour réduire les causes du vieillissement, réparer ou remplacer le composant se dégradant.
Ainsi, même de très gros composants, tels que les générateurs de vapeurs (pesant plusieurs centaines de tonnes chacun) ont pu être remplacés suite à la découverte dans les années 1980 d’un phénomène de corrosion affectant les tubes de ces appareils. Ce phénomène était inconnu lors de la conception et de la fabrication. Dans ce cas, le remplacement s’effectue avec un matériau de tube insensible à la corrosion. L’équipement ainsi remplacé repart donc neuf, et débarrassé de la « maladie » qui pouvait en limiter la « durée de vie ».
Une licence au-delà de 40 ans d’exploitation ?
Amélioration des connaissances sur les mécanismes de dégradation, bonnes pratiques de gestion du vieillissement, passant par une surveillance de la dégradation, et un programme de maintenance adapté, sont les outils permettant d’envisager une poursuite de la durée d’exploitation, au delà de la durée initialement envisagée à la conception, en toute sûreté. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis par exemple, 75 % des réacteurs actuellement en service, qui avaient une licence pour 40 ans d’exploitation, ont vu leur licence prolongée jusqu’à 60 ans. Dans plusieurs cas en Europe, les réacteurs les plus anciens ont vu leur autorisation d’exploitation être prolongée au delà de la durée de conception, et en France, EDF et l’ASN envisagent également de faire fonctionner les réacteurs nucléaires au delà de 40 ans.
Article écrit par Pierre Joly, président de la section technique « Science et technologie des matériaux, CND, chimie »