Décryptage du rapport de Greenpeace sur le risque d’inondations des EPR2 de Gravelines

Greenpeace a publié un rapport mettant en doute la sûreté de la centrale nucléaire de Gravelines face aux risques liés au changement climatique. L’industrie nucléaire a déjà pris des mesures robustes pour les anticiper. EDF exploite déjà six réacteurs sur le site et le projet de deux futurs EPR2 sur le site, anticipe les défis à long terme. Ce sujet, largement étudié, a déjà toute sa place dans le débat public.
Greenpeace a publié, jeudi 3 octobre, un rapport intitulé “La centrale nucléaire de Gravelines, un château de sable en bord de mer”. Sans surprise, de la part d’une organisation qui milite pour la sortie du nucléaire, il recommande de ne pas construire de nouveaux réacteurs nucléaires à Gravelines (Nord). Le projet d’EDF de construire deux EPR2 fait l’objet, depuis le 17 septembre, d’un débat public piloté par la Commission nationale du débat public (CNDP). Ces nouveaux réacteurs permettront la sécurité d’approvisionnement électrique et la décarbonation de l’industrie dans la région à long terme.
L’adaptation au changement climatique : une priorité
L’une des principales critiques du rapport de Greenpeace porte sur le manque d’anticipation et de prise en compte des risques liés au changement climatique, et particulièrement les risques inondation pour les installations en bord de mer. Pourtant les industriels, comme les autorités de sûreté, ont démontré que cet enjeu est aujourd’hui une priorité, comme c’est le cas (ou devrait l’être) pour toutes les filières énergétiques. Le rapport de RTE « Futurs énergétiques 2050 » rappelle que les vagues de chaleur, les inondations et les tempêtes affecteront l’ensemble du système énergétique, rendant impératif que chaque filière de production, comme la transmission et la distribution d’électricité, se prépare à faire face à ces défis.
Le site de Gravelines (six réacteurs) a bénéficié d’aménagements spécifiques et des travaux encore plus poussés sont prévus pour les EPR2. L’ASN a déjà énoncé que l’adaptation au changement climatique serait l’une des deux priorités de l’instruction pour la prolongation d’exploitation des réacteurs au-delà de 50 ans, voire 60 ans. Le rapport de Greenpeace reconnaît d’ailleurs ces travaux sans en remettre en question le sérieux.
La Sfen, dans sa RGN de 2021, intitulée « Aléas climatiques : prévoir et se protéger« , aborde plusieurs aspects de l’adaptation des installations nucléaires. Ce dossier traite des phénomènes tels que les inondations, les vagues de chaleur, les grands vents, et aborde les mesures mises en place pour protéger les installations face aux événements météorologiques extrêmes, susceptibles d’être plus fréquents avec le changement climatique. Outre le dimensionnement initial, qui intègre aujourd’hui toutes les connaissances accumulées en un demi-siècle sur les phénomènes naturels et le changement climatique, la pratique de l’industrie nucléaire est de réévaluer tous les dix ans les spécificités pour chacun de ses sites et d’adapter les installations. Pour la Sfen, cela est un gage d’humilité et de sérieux sur un sujet de l’adaptation climatique où, par principe, nos sociétés industrielles apprendront aussi au fur et à mesure.
Le rapport de Greenpeace mentionne le programme Adapt, un grand projet d’adaptation au changement climatique mené par EDF sur ses installations. Comme le rappelle la Cour des comptes dans un rapport dédié, « la particularité du projet Adapt réside dans son approche “site par site” et sa vision systémique. Pour chaque site, le projet déroule une méthodologie en sélectionnant des scénarios climatiques (haut, bas, médian) et en réalisant des projections climatiques, hydrologiques et thermiques adaptées à chacun ». Pour appuyer Adapt, l’entreprise dispose, au sein de ses équipes de recherche et développement d’une expertise historique en matière de météorologie, d’hydrologie, d’hydraulique et de changement climatique. L’expertise sur le climat, développée dès la publication du premier rapport du Giec, en 1990, est partagée par les domaines nucléaire et hydroélectrique. Elle bénéficie de coopérations avec des experts externes. De plus, lorsqu’il s’agit de valider les hypothèses de dimensionnement ou les études des réexamens périodiques de sûreté, une analyse indépendante est menée par l’IRSN et l’ASN.
Marges de sûreté et mesures prises à Gravelines
La centrale de Gravelines bénéficie de protections renforcées pour faire face aux risques climatiques, notamment aux inondations causées par une montée du niveau de la mer. À la suite des Évaluations complémentaires de sûreté (ECS) réalisées après l’accident de Fukushima, des investissements significatifs ont été réalisés entre 2020 et 2022 pour adapter le site aux événements climatiques extrêmes. Ces mesures incluent le renforcement de la protection périphérique anti-inondation, conçue pour résister à des phénomènes d’une ampleur bien supérieure à ceux observés jusqu’à présent.
En outre, une source froide diversifiée, indépendante de la source naturelle principale (la mer), a été mise en place pour assurer une redondance en cas de défaillance. La hauteur de la plateforme retenue pour les réacteurs EPR2 à 11 mètres NGF (Nivellement Général de la France) offre une protection accrue contre les inondations « extrêmes ».
Dans son rapport, Greenpeace demande une publication « qui analyserait les risques de submersion pour les nouveaux réacteurs en bord de mer, jusqu’à la fin de leur (les EPR2) démantèlement à l’horizon 2130-2150 ». Il est impossible de connaitre avec certitude la situation du changement climatique à de tels horizons de temps. Dimensionner une installation à partir d’hypothèse au-delà du siècle pourrait donner lieu à des mesures inadaptées, voire contre-productives.
EDF a déjà pris des marges de sécurité importantes qui dépassent les scénarios les plus catastrophiques concernant le réchauffement climatique et la montée des eaux, avec des hypothèses de réchauffement jusqu’à 8°C. Les hypothèses d’EDF prennent en compte niveau marin le plus haut, à savoir une marée de coefficient 120. Y est ajoutée une surcote liée à des événements millénaux et une évaluation de l’évolution du niveau marin comme prédit par divers modèles en prenant les hypothèses le plus pénalisantes. Ces marges permettent de s’adapter à l’évolution des risques environnementaux.
La menace de la fonte des calottes glaciaires, également évoquée par Greenpeace, serait progressive et non brutale. Cette montée des eaux est anticipée, et des mesures pourraient être prises bien en amont pour maintenir la sûreté des installations. Dans le pire des cas, il serait toujours possible de décharger le combustible et d’arrêter les réacteurs avant que la sûreté ne soit compromise. Par ailleurs, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) aura toujours le pouvoir de fermer une centrale si elle estime que celle-ci ne respecte plus les normes de sûreté.
Scénarios et dispositions à l’étude pour les futurs EPR2
Le rapport de Greenpeace affirme que la protection repose uniquement “sur la robustesse et le bon dimensionnement des murs et des digues qui l’entourent« . Cela montre une méconnaissance du fonctionnement de la sûreté nucléaire, dont l’un des principaux concepts est la défense en profondeur. Introduite dans le domaine de la sûreté nucléaire au début des années 1970, la défense en profondeur repose sur plusieurs couches de protection au sein des installations nucléaires.
Ces niveaux incluent non seulement des caractéristiques techniques intrinsèques à l’installation, mais aussi des dispositifs matériels, des mesures organisationnelles, ainsi que des procédures prédéfinies. L’objectif est de prévenir les accidents et, en cas d’échec de cette prévention, de limiter les conséquences potentielles. Initialement structurée en trois niveaux lors de la conception des réacteurs actuellement en exploitation, la défense en profondeur comprend aujourd’hui cinq niveaux comme définis par l’IRSN : la prévention des anomalies de fonctionnement, la maitrise des accidents, la limitation des conséquences des accidents graves, et enfin la limitation des conséquences radiologiques en cas de rejets : des mesures d’urgence, telles que l’évacuation et la distribution de comprimés d’iodure de potassium, sont prévues pour protéger les populations.
Dans le cas des futurs EPR2, l’objectif de sûreté réside dans la volonté de maintenir une plateforme sèche (où le réacteur est situé). D’où son élévation à 11 mètres NGF (Nivellement général de la France). Même si de l’eau parvenait sur la plateforme entre alors le concept de défense en profondeur qui vont protéger l’installation, en particulier l’étanchéité très poussée du bâtiment réacteur et des organes de secours (comme les Diesel de secours). Et si cela ne suffit pas, il est encore possible de faire intervenir la Force d’action rapide nucléaire (Farn), en mesure de reprendre le contrôle d’une installation en quelques heures.
Un retour d’expérience
Le rapport de Greenpeace demande : « Combien de temps la sûreté de la centrale de Gravelines pourra-t-elle être assurée si celle-ci venait à être entourée d’eau et se retrouvait isolée comme une île ? ». En bord de mer du Nord, de Manche ou d’Atlantique, si une telle situation se produisait, elle ne serait d’ailleurs que temporaire, car elle suppose la conjonction d’une marée haute de très fort coefficient et d’une très violente dépression, phénomènes par essence temporaires.
Le rapport indique : « L’isolement de la centrale de Gravelines, ceinturée par l’eau, affecterait l’ensemble de l’infrastructure. Cette situation engendrerait un fonctionnement en mode dégradé, posant des défis d’accès au site pour les travailleurs, notamment pour le renouvellement des équipes. Des fonctions vitales seraient mises en péril, comme l’évacuation de l’électricité produite par la centrale, son alimentation électrique, et le fonctionnement des pompes pour le refroidissement des réacteurs ». L’évacuation de l’électricité, même si elle est souhaitable pour l’alimentation électrique de la région, n’est pas une fonction vitale du réacteur. Elle n’est d’ailleurs pas « classée de sûreté ». L’objet est bien dans un tel cas de protéger les fonctions de sûreté, dont le refroidissement des réacteurs, en assurant la protection de la plateforme ou des bâtiments contre la montée des eaux.
Lorsqu’une centrale est coupée du réseau, par exemple à cause de dommages aux infrastructures de transport électrique, elle peut fonctionner en mode « îlotage ». C’est ce qui s’est produit lors de la tempête Ciaran en 2023. Le réseau électrique dans le Cotentin a été endommagé privant ainsi la centrale de Flamanville de sa ligne d’évacuation. L’opération d’îlotage de la centrale a été réussie sans difficulté par EDF qui a abaissé rapidement la puissance du cœur à environ 25 % de sa valeur nominale. Environ 5 % de cette puissance a servi à faire fonctionner les équipements essentiels de la centrale.
Bien que cette situation soit à prendre au sérieux, c’est une configuration à laquelle l’industrie nucléaire a déjà dû faire face, notamment aux États-Unis. Par exemple, la centrale de Waterford 3 en Louisiane a été fermée de manière préventive avant le passage de l’ouragan Katrina qui rendait son accès difficile. Elle fut ensuite la première centrale à redémarrer et à produire de l’électricité après l’ouragan, démontrant ainsi la capacité du secteur nucléaire à gérer des conditions extrêmes tout en garantissant la sûreté. La même situation s’est produite au Nebraska sur la centrale de Fort-Calhoun, qui a été protégée et mise en sûreté suite à une montée des eaux du Missouri qui a inondé toute la région, le réacteur devenant au sens propre un « ilot nucléaire ».
La nécessité d’échanges avec le public en amont du projet
Greenpeace déplore ne pas avoir accès à un document relatif à l’étude de vulnérabilité. Ce document sera présenté dans le cadre d’une consultation publique lors de la Demande d’autorisation de création (DAC) auprès de l’ASN en 2026. Greenpeace souhaite anticiper un débat dont l’objectif principal est justement de tirer les enseignements des échanges avec le public en cours. Il est important de rappeler que la CNDP (Commission nationale du débat public) souhaite que le débat public ait lieu aussi tôt que possible dans le développement d’un projet. Cela permet de prendre en compte les contributions et les préoccupations des citoyens dès les premières étapes, afin d’influencer la conception et les orientations du projet de manière plus significative. C’est même un prérequis inscrit dans la loi pour les grands projets, et un droit constitutionnel (article 7 de la charte de l’environnement). ■