[Décryptage] Coût du nouveau programme nucléaire EPR2 : quelques ordres de grandeur

Le lancement du programme de construction de six réacteurs EPR2 représente un investissement majeur estimé, à date, à 67 milliards d’euros, un montant difficile à appréhender. Pour mieux apprécier cette somme, la Sfen propose une mise en perspective claire en la comparant aux autres grands investissements publics et privés indispensables à la transition énergétique en France.
La proposition de loi sur la « programmation nationale et la simplification normative dans le secteur économique de l’énergie », portée par le sénateur Gremillet, arrive ce lundi 16 juin en discussion à l’Assemblée nationale. Le texte prévoit notamment d’inscrire dans la loi le lancement du programme EPR2. En parallèle, le ministre de l’Énergie, Marc Ferracci, souhaite publier d’ici la fin de l’été le décret définissant la prochaine Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE-3).
Le projet actuel de PPE-3 fixe les objectifs de consommation et de production d’énergie de la France sur les périodes 2025-2030 et 2030-2035. Le document servira de cadre pour engager les investissements privés et publics nécessaires à court, moyen et long terme dans différents secteurs stratégiques tels que dans le bâtiment, transport, l’industrie et l’énergie. Selon l’Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE), les investissements pour le climat ont dépassé les 100 milliards d’euros en 2022, mais devraient être supérieurs de 58 milliards par an sur 2024-2030[1], soit de l’ordre de 5,5% du PIB, pour tenir la trajectoire de décarbonation. Ceci est un vrai défi dans une période où le budget de l’État sera particulièrement contraint : après un redressement des comptes publics de 50 milliards d’euros en 2025, le gouvernement a annoncé un effort budgétaire supplémentaire de 40 milliards d’euros en 2026.
Dans ce contexte, on peut s’attendre à ce que les débats parlementaires portent sur la taille des investissements à réaliser dans les différents secteurs. Pour le grand public, les montants de ces grands programmes ne sont pas toujours faciles à appréhender. Les sciences cognitives montrent que l’esprit humain a du mal à se représenter les très grands nombres : même avec un support visuel, il est par exemple compliqué de percevoir la différence d’échelle entre un million et un milliard. Aussi, ces grands nombres, parce qu’ils n’ont pas de référent direct dans nos interactions quotidiennes, restent abstraits : nous sommes habitués à traiter des informations dans des échelles plus petites, comme les prix de biens que nous achetons. La Sfen a rassemblé ici des exemples pour faire des comparaisons concrètes, et replacer la construction des nouveaux réacteurs dans le contexte plus général de la transition énergétique.
Quelques éléments sur le programme d’investissement de construction de six réacteurs EPR2
La PPE intègre la relance du nucléaire en France, avec plusieurs projets d’investissement important, dont la construction de six EPR2 à Penly, Gravelines et Bugey. Le conseil de politique nucléaire (CPN) du 17 mars 2025 a fait un point d’étape sur la mise en œuvre du programme EPR2. Il a demandé à EDF entre autres de « présenter d’ici la fin de l’année un chiffrage engageant, en coûts et en délais ». On dispose à ce jour d’un chiffrage provisoire de fin 2023, publié par la Cour des comptes[2] dans son rapport du 14 janvier 2025, avec un coût de construction overnight (hors frais intercalaires) de 67,4Md€2020. EDF avait déclaré au Sénat fin 2023 qu’elle poursuivait un travail d’optimisation du calendrier des chantiers et des contrats avec ses fournisseurs3. Le CPN a demandé à EDF « d’amplifier les actions de maîtrise des coûts et du calendrier et de présenter d’ici la fin de l’année un chiffrage engageant, en coûts et en délais ».
Le programme de construction des six réacteurs s’étalant sur 25 ans environ, le besoin d’investissement annuel correspondrait, sur la base du devis provisoire, à un ordre de grandeur de l’ordre de 3,5 milliards d’euros par an.
Le schéma de financement actuellement en discussion, selon le Conseil de politique nucléaire du 17 mars 2025, est celle d’un financement porté par EDF, avec un prêt à taux zéro pour au moins la moitié de l’investissement. Il s’agit donc d’un investissement privé. L’impact au budget de l’État du programme est constitué, pendant la construction, des frais de bonification du prêt.
Comparer les ordres de grandeur des coûts d’investissement du programme avec d’autres investissements publics ou privés de la transition, et même les dépenses de l’État en général, est une approche utile pour alimenter le débat public. La Sfen a rassemblé ici des exemples pour faire des comparaisons concrètes. Pour donner une idée, le tableau suivant donne quelques ordres de grandeur des dépenses budgétaires comprenant des investissements et des dépenses de fonctionnements annuelles “régaliennes” de l’année 2024 :
Dépenses régaliennes | Montant | Part du PIB en % |
---|---|---|
Les retraites [3] | 388,4 milliards | 13,8 |
La sécurité sociale [4] | 640 milliards | 21,9 |
Les dépenses intérieures d’éducation [5] | 180,1 milliards | 6,8 |
Quels sont les ordres de grandeur des investissements nécessaires pour la transition énergétique au cours des 15 à 30 prochaines années ?
La transition énergétique nécessitera des investissements très élevés, mais nécessaires, car bien inférieurs au coût de l’inaction. Le scénario retardé de l’ADEME évalue les risques à une perte de près de -1,5 point de PIB en 2030 et de -5 points de PIB en 2050 [6] .
Parmi ces secteurs, le système énergétique, et plus précisément le système électrique, jouera un rôle essentiel. Les investissements totaux dans le système électrique français en vue d’atteindre la neutralité carbone sont estimés par RTE (Futurs énergétiques 2050) de l’ordre de 750 à 1000 milliards d’euros sur l’ensemble de la période 2020-2060, soit 20 à 25 milliards d’euros par an en moyenne.
Ces investissements se reflètent notamment dans les projets suivants déjà annoncés :
Projet | Coût estimé en euros | Acteurs engagés | Source de financement |
---|---|---|---|
Modernisation du réseau électrique français et adaptation à la production renouvelable (2022-2040) | 100 milliards d’euros dont 37 milliards pour le raccordement de l’éolien en mer | RTE | Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), composante de la facture d’électricité des consommateurs |
Modernisation du réseau public de distribution d’électricité et création d’une nouvelle capacité d’accueil pour les énergies renouvelables (2022-2040) | 96 milliards d’euros (dont 53 milliards liés à la transition énergétique et 10 milliards liés au raccordement des ENR) | Enedis | TURPE |
Quels sont les ordres de grandeurs en dépenses annuelles ?
Pour mieux appréhender ces investissements annuels des EPR2, il est pertinent de les comparer avec d’autres investissements annuels des différents acteurs économiques.
- Économie française : facture énergétique annuelle
La France a importé ces dernières années de 50 à 110 milliards par an d’énergies fossiles, avec une grande variabilité des prix à la situation des marchés internationaux [9] :
Énergies fossiles | Dépense en 2021 (€2022) | Dépense en 2022 |
---|---|---|
Facture gazière | 14 milliards € | 47 milliards € |
Importation nette en pétrole brut | 15 milliards € | 31 milliards € |
Importation nette en produits raffinés et biocarburants | 10 milliards € | 27 milliards € |
- Investissement privés et publics dans les énergies renouvelables et de récupération
En 2021, les entreprises, les ménages et les administrations publiques ont investi 14,4 milliards d’euros dans les énergies renouvelables et de récupération (hors éolien en mer) [10].
Les principales dépenses se répartissent de la manière suivante :
Énergies renouvelables et de récupération | Dépenses d’investissements (en euros) |
---|---|
Pompes à chaleur | 6,5 milliards € |
Solaire photovoltaïque | 2,8 milliards € |
Éolien terrestre | 1,8 milliard € |
Hydraulique | 720 millions € |
. Dépenses annuelles au budget de l’État
Chaque année, l’État engage des dépenses dans le secteur de l’énergie.
Dispositif | Montant |
---|---|
MaPrimeRénov’ | 4 milliards € en 2021 et 2022 |
Dispositif de soutien aux énergies renouvelables | • 4,6 milliards € en 2025 • 9 milliards €/an vers 2027–2029 (scénario de prix haut) • 12 milliards €/an début 2030 (scénario de prix bas) |
Aide à l’achat de véhicules électriques | 700 millions € pour 2025 |
Bouclier tarifaire électricité et gaz | 10,5 milliards € en 2022 |
Quels sont les ordres de grandeur des grands programmes d’équipement ?
Une première démarche peut consister à comparer les 67M€ du programme EPR2 avec d’autres grands programmes financés par le gouvernement ces dernières années. Ces chiffres seront aussi des coûts overnigts (hors frais financiers).
Projet | Coût | Domaine |
---|---|---|
Plan France 2030 (dépenses engagées sur la période 2021–2030) |
54 milliards € | Investissements dans les technologies de rupture pour positionner la France dans l’industrie de demain |
Plan France Très Haut Débit (dépenses engagées sur la période 2020–2025) |
20 milliards € | Améliorer la couverture numérique des territoires |
La France a également réalisé d’importants investissements dans de grands projets d’infrastructure :
- Dans les transports
Projet | Coût | Objectifs |
---|---|---|
Grand Paris Express (2012–2026) |
36,1 milliards € | Moderniser et étendre les infrastructures pour améliorer la mobilité autour de Paris. |
LGV Bordeaux–Toulouse (2024–2031, mise en service prévue en 2032) |
14,3 milliards € | Accélération des déplacements entre villes du Sud-Ouest. |
-
- Dans le militaire
Projet | Coût | Objectifs |
---|---|---|
Programme Rafale (1980 – aujourd’hui) |
46,4 milliards € (prix 2014) | Fourniture de 286 avions avec équipements de mission, stock de rechange initial, moyens de maintenance et deux centres de simulation. |
Un coût à prendre avec sérieux, mais à remettre dans un contexte
Le coût estimé à 67 milliards d’euros (en 2020) pour le programme des six EPR2, bien qu’encore susceptible d’évoluer, doit être considéré avec le plus grand sérieux. Il représente un engagement financier majeur, tant pour la filière nucléaire que pour EDF et, au-delà, pour la collectivité nationale. Toutefois, ce montant mérite aussi d’être mis en perspective. À l’échelle des investissements requis pour mener à bien la transition énergétique, il s’inscrit dans un ordre de grandeur comparable à celui d’autres infrastructures stratégiques, et reste relativement modeste au regard des bénéfices durables qu’il apportera : maintien d’une électricité décarbonée, renforcement de la souveraineté énergétique une sécurisation de l’approvisionnement à long terme ainsi que des bénéfices économiques durables, en favorisant l’investissement, l’emploi local et la compétitivité industrielle.
Une telle somme appelle toutefois une rigueur de gestion exemplaire. La réussite du projet repose sur une maîtrise industrielle renforcée, priorité affirmée par le Conseil de politique nucléaire et défendue avec détermination par le nouveau PDG d’EDF, Bernard Fontana, devant les parlementaires. Il en va non seulement de la bonne utilisation de chaque euro investi, mais aussi de la crédibilité industrielle du nucléaire français, en France comme en Europe. ■
Par Floriane Jacq (Sfen), avec Valérie Faudon et Ludovic Dupin
Image : Centrale de Penly où seront construits deux EPR2 – @EDF
[1] Edition-2023-du-Panorama-des-financements-climat_au1912.pdf
[2] Précisions de la Sfen sur le rapport de la Cour des comptes au sujet de la filière EPR
[3] Retraites : un déficit de 30 milliards d’euros en 2045, Cour des comptes | vie-publique.fr
[4] PLFSS 2024 loi de financement de la sécurité sociale | vie-publique.fr
[5] L’éducation nationale en chiffres, édition 2024 | Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
[6] Les risques climatiques et leurs coûts pour la France : pour préserver l’économie, l’urgence d’agir dès a présent – Agence de la transition écologique
[7] Un plan de 100 milliards d’euros pour moderniser le réseau RTE
[8] Energies renouvelables : Enedis a raccordé un record de 200 000 installations de production au réseau de distribution d’électricité en 2023, soit 4,2 GW | Enedis
[9] Bilan énergétique de la France en 2022
[10] Dépenses d’investissement dans les énergies renouvelables | Chiffres clés des énergies renouvelables 2024
[11] fs-2024-rapport-france_relance_vol_ii_6_maprimerenov.pdf
[12] Consultation du public sur le projet de troisième édition de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) | Consultations publiques
[13] Aides à l’acquisition de véhicules peu polluants : les dispositifs évoluent | ministère de l’Économie des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
[14] Bouclier tarifaire sur l’électricité et le gaz lors de la crise 2021 – 2025 | Connaissances des énergies
[15] France 2030 : un plan d’investissement pour la France | ministère de l’Économie des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
[16] Le plan France Très Haut Débit (PFTHD) | Arcep
[17] Transports en Île-de-France : le Grand Paris Express | Ministère du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation Ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques Ministère du Logement et de la Rénovation urbaine
[18] Transports en Île-de-France : le Grand Paris Express | Ministère du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation Ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques Ministère du Logement et de la Rénovation urbaine
[19] Projet de loi de finances pour 2015 : Défense : équipement des forces – Sénat