Décryptage : les bénéfices d’un mix nucléaire-renouvelables à 2050 mis en évidence par les scénarios de RTE - Sfen

Décryptage : les bénéfices d’un mix nucléaire-renouvelables à 2050 mis en évidence par les scénarios de RTE

Publié le 26 octobre 2021 - Mis à jour le 10 novembre 2021
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Les scénarios RTE sur l’atteinte de la neutralité en carbone en 2050 ont mis en évidence la nécessité de maintenir un socle nucléaire solide et surtout de prendre une décision rapide sur le chantier de six nouveaux EPR. Cette option offre des avantages importants en matière d’atteinte des objectifs climatiques et de sécurité d’approvisionnement, en ne présentant aucun risque économique.

Le 25 octobre était une date très attendue dans le monde de l’énergie. Pour alimenter le débat démocratique dans le cadre de l’élection présidentielle de 2022, RTE publiait ses scénarios « Futurs énergétiques 2050 » visant à permettre à la France d’atteindre la neutralité carbone, tout en assurant sa sécurité d’approvisionnement. Ce document a été salué par de nombreuses organisations et par le gouvernement. « Il s’agit du travail le plus approfondi, le plus à jour, depuis que nous sommes engagés dans le combat climatique, depuis la COP21 de 2015 », a jugé la ministre de la Transition écologique Barbara Pompilli.

Le travail est colossal. Une équipe de 40 personnes chez RTE a coordonné un dispositif de concertation unique regroupant des entreprises, des autorités publiques, des ONG, des associations, dont la Sfen. Neuf groupes de travail ont été constitués, une quarantaine de réunions organisées, et la consultation publique a compté 4 000 réponses.

Une demande électrique en forte hausse

Dans leur présentation, le PDG de RTE Xavier Piechaczyk et le directeur de la stratégie Thomas Veyrenc, soulignent la question clé de la consommation. Les 1 600 TWh consommés aujourd’hui en France se composent à 60 % d’énergies fossiles, qu’il s’agit de supprimer du mix tricolore. Pour cela, la consommation d’énergie doit baisser de 40 % en 2050 pour atteindre 930 TWh. Mais dans le même temps, la production d’électricité décarbonée doit croître de 35 % pour répondre aux usages nouveaux comme la mobilité, l’électrolyse ou l’hydrogène. RTE a pour trajectoire de référence une consommation de 645 TWh en 2050, contre moins de 500 en 2019.

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Cette valeur repose sur la stratégie nationale bas carbone (SNBC) actualisée. Ce sont principalement l’hydrogène bas carbone (+50 TWh), les transports (+85 TWh) et l’industrie (+65 TWh) qui tirent la demande à la hausse. Ce sont des besoins significatifs qui mettent l’accent sur la sécurité d’approvisionnement. Dans sa contribution, l’Uniden (Union des industries utilisatrices d’énergie) écrit : « Il est indispensable que ces scénarios n’entraînent pas la France dans des goulots, voire des impasses énergétiques (…). Aucun industriel n’investira dans l’électrification de son procédé sans garantie que l’électricité bas carbone sera durablement disponible et compétitive ».

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Deux autres scénarios seront présentés début 2022. Le premier vise la sobriété avec une consommation de 555 TWh – toujours plus importante que celle d’aujourd’hui. Là où le scénario de référence conserve le mode de vie des Français, cette variante va dans le sens d’une  « inflexion structurelle des modes de vie vers la recherche d’un moindre impact sur l’environnement ». RTE invoque la limitation du chauffage ou de l’eau chaude sanitaire, l’essor du télétravail, le développement de logements collectif. L’autre scénario est celui de la réindustrialisation profonde pour remonter l’industrie à 12-13 % dans le PIB, contre 10 % aujourd’hui. Les besoins électriques atteindront alors 755 TWh.

Six scénarios de neutralité carbone

RTE a développé six scénarios capables de répondre à cette demande, dans un contexte de neutralité carbone. Trois mettent l’accent sur les renouvelables, trois conservent un nucléaire fort. En particulier le scénario N2 engage dès 2035 la construction de paires d’EPR jusqu’à un total de 14 tranches pour atteindre un mix à 36 % nucléaire. Quant au scénario N03, en plus des EPR, il mise sur la construction de SMR, retarde la fermeture des réacteurs prévus dans la PPE et prolonge certains réacteurs au-delà de 60 ans. La part du nucléaire atteint alors 50 % du mix électrique français.

De leur côté, les scénarios 100 % renouvelables ou majoritairement renouvelables demandent une accélération très forte de déploiement des moyens de production éolien et solaire. La France devrait alors se situer à des rythmes plus élevés dans les 30 prochaines années que celui nos voisins les plus dynamiques. Au-delà de la gestion de projet, cela pose la question de l’implantation de ces installations au sein des territoires, plus visibles que ne l’étaient les centrales thermiques ou que le nucléaire aujourd’hui.

Les scénarios nucléaires compétitifs afin de limiter les coûts de système

Les scénarios nucléaires présentent par ailleurs un avantage économique lorsque l’ensemble des coûts de système sont pris en compte. Le parc électrique actuel nécessite 45 milliards d’euros d’investissements par an. A l’horizon 2060, les scénarios nucléaires N2 et N03 se chiffrent à respectivement 61 et 59 milliards d’euros. A titre de comparaison, le scénario M23 qui mise sur des grands parcs renouvelables atteint 71 milliards et le scénario M1 avec un renouvelable diffus se chiffre à 80 milliards.

 

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Si les coûts de production de l’électricité sont très proches dans les différents scénarios, ce sont les coûts de système qui correspondent aux besoins de flexibilité et les coûts de transports et de distribution qui augmentent fortement dans les scénarios renouvelables. Dans tous ses scénarios, RTE calcule un « bouquet de flexibilité » pour assurer l’équilibre du réseau. Dans le scénario M0 100 % renouvelable, on atteint 29 GW de centrales thermiques décarbonées et 26 GW de batteries, soit un total de 55 GW, presque l’équivalent du parc nucléaire actuel (environ 61 GW). Même dans le scénario M3 avec des grands parcs de renouvelables, il faut 33 GW de back-up.

A contrario, les scénarios nucléaires N2 et N03 se limitent respectivement à 7 GW et 1 GW de besoins de flexibilité. Barbara Pompili commente : « Les scénarios de RTE mettent en évidence qu’atteindre la neutralité en 2050 sans nucléaire engendrerait des coûts sur la flexibilité. Cela coûterait plus cher sans construire de nouveaux réacteurs ».

« Construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent d’un point de vue économique, a fortiori avec un parc de 40 GW en 2050 », assure Xavier Piechaczyk. Le rapport précise (page 30) que  « cet avantage serait nettement réduit, mais toujours existant, dans le cas où le coût des nouveaux réacteurs nucléaires ne diminuerait pas et demeurerait voisin de celui de l’EPR de Flamanville. Plus loin : l’écart de coût entre les scénarios M23 et N2 est de l’ordre de 10 milliards d’euros par an. (…) L’analyse de RTE montre que l’écart entre les coûts économiques de M23 et N2 demeure orienté dans le même sens dans la très grande majorité des configurations testées, y compris en considérant des cas de figure défavorables pour le coût ou les conditions de financement du nouveau nucléaire ».

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Des coûts d’investissement de 750 à 1 000 milliards d’euros sur 40 ans

Quant à l’investissement total dans les premières paires d’EPR2, il est relativement faible. RTE indique (page 52) : « Si le coût du système dans son ensemble peut être maîtrisé, tous les scénarios nécessitent un investissement très soutenu : sur 40 ans, il faudra investir entre 750 et 1 000 milliards d’euros selon le scénario choisi, pour alimenter le pays en électricité, soit 20 à 25 Mds€/an. Cela revient à doubler le rythme annuel d’investissement par rapport à aujourd’hui ». Le nouveau nucléaire ne représentera qu’une faible part de ces investissements : la construction de trois paires d’EPR a été estimée par EDF à environ 50 milliards d’euros sur 25 ans. Soit 2 milliards d’euros par an, moins de 10 % des investissements annuels.

« Les scénarios où les incertitudes de nature technique sont aujourd’hui les plus faibles sont ceux qui combinent un fort développement des renouvelables avec un parc nucléaire important qui reposerait sur des réacteurs existants ou des technologies qui ont déjà fait l’objet d’une instruction et d’une validation de leurs options de sûreté, type EPR2 », prévient Thomas Veyrenc de RTE.

Trois enseignements à tirer

Ainsi, la décision de construire six EPR2 peut être prise sans regret. Leurs coûts complets seront compétitifs même dans des scénarios dégradés, ils participeront à la sécurité d’approvisionnement et à la décarbonation de l’économie et de l’industrie. Par ailleurs, ce socle permettrait de mobiliser la filière pour, le cas échéant, permettre de prendre la décision d’accélérer le renouvellement dans la décennie 2040 et de viser les 14 EPR des scénarios qui poussent au maximum l’atome dans les scénarios RTE.

Par ailleurs, RTE alerte sur « un impensé du débat français : la fermeture prévisible du parc de seconde génération au cours des prochaines décennies ». Dans le résumé exécutif de RTE, on peut lire (page 12) que les choix de la PPE précédente visant à fermer 12 réacteurs en France devraient être repensés. Les experts évoquent « des objectifs climatiques plus contraignants pour 2030, un paysage de sécurité d’approvisionnement plus fragile avec la tension sur les approvisionnements en hydrocarbures, la montée des prix de l’énergie, et la réduction des marges sur le système électrique européen ».

Enfin, la question des conditions de financement et de l’équité entre renouvelables et nucléaire se pose. Dans le résumé exécutif (page 30), on lit ainsi :  « Des conditions de financement défavorables résultant par exemple d’une absence de soutien public ou un accès plus difficile à des financements européens seraient de nature à augmenter le coût complet de la production nucléaire, avec un effet qui se répercuterait sur le coût total du système électrique ». Un point rappelant une fois de plus l’importance que le nucléaire soit inscrit dans la taxonomie européenne sur les activités vertes.

Ludovic Dupin (Sfen) – Crédit photo ©Shutterstock