Déchets : le risque limité du stockage géologique
Les opposants au nucléaire se défient principalement de ses déchets.
Le débat public récemment organisé sur Cigéo, le projet conçu par l’Andra pour le stockage géologique de certaines catégories de déchets nucléaires, en a fourni une démonstration supplémentaire.
Ce débat a d’autant plus ravivé les appréhensions que Cigéo est destiné au stockage des déchets les plus virulents, ceux qui dégagent la radioactivité la plus forte et ceux dont la longue durée de vie se mesure parfois en dizaines de milliers d’années et plus. Il est clair que dans l’imaginaire d’une partie du public le mythe a pris corps, au fil du temps, de l’absolue dangerosité de ces résidus dépeints comme un héritage en forme de « bombe à retardement » que nous léguons cyniquement aux générations futures ! Or, cette image repose sur d’évidents malentendus. Il est vrai que les déchets nucléaires sont potentiellement dangereux mais le stockage géologique les prive du chemin par lequel ils pourraient atteindre la biosphère en quantités dommageables – ce qui écarte l’idée d’une menace ad vitam aeternam pesant sur nos descendants. C’est ce qui ressort des développements suivants, lesquels, sans épuiser la totalité du sujet, proposent les repères essentiels permettant d’évaluer l’impact que ces déchets pourraient avoir à long terme sur les populations riveraines et l’environnement.
Distinguer danger et risque
Quand on parle de sécurité et de sûreté, d’impact sur l’environnement et de santé des populations, il est essentiel de distinguer entre danger et risque. Il est évident que s’il n’y a pas de danger, il n’y aura pas de risque mais le danger reste une possibilité alors que le risque résulte de ce que ce danger a une certaine probabilité de se produire en entrainant des conséquences plus ou moins étendues et graves. Plus précisément, un danger est une source potentielle de dommages, de préjudices à l’égard des personnes sous forme d’effets sur la santé, ou à l’égard d’une organisation sous forme de pertes de biens ou d’équipement. Un risque est la probabilité qu’une personne ou une organisation subisse un préjudice afférent au danger.
Plusieurs facteurs influent sur le risque comme le mode et le degré d’exposition à la condition dangereuse et la gravité des effets dans les conditions d’exposition. En revanche, il peut être combattu, minimisé et maîtrisé en trouvant des parades, des protections comme par exemple stocker les produits dangereux dans des locaux dédiés, mettre des bacs de rétention sous les produits liquides, utiliser une ventilation adaptée des locaux pour les produits gazeux, se protéger de l’anoxie, etc.
Cette distinction entre danger et risque est primordiale dans le domaine des déchets nucléaires. Car, in fine, ce qui compte, ce n’est pas la dangerosité du produit en soi, mais c’est la menace réelle qu’une installation fait courir à la population et à l’environnement.
Pour évaluer l’impact d’un site de stockage de déchets nucléaires de haute activité on se sert souvent d’une courbe donnant la radiotoxicité potentielle exprimée en Sievert par tonne de métaux lourds initiaux en fonction du temps de stockage. Or cette utilisation soulève quelques réserves, comme le notait d’ailleurs et Raoul Dautray en 2001, notant qu’ « aucun débat scientifique n’a jamais eu lieu pour juger du bien-fondé relatif de ce critère de « radiotoxicité potentielle » dans les stockages.»
Nous nous contenterons ici de remarquer que la radiotoxicité potentielle est liée au danger potentiel attaché à un stockage mais ne correspond en aucune façon au risque qu’il présente. Pour bien le comprendre on peut prendre un exemple concernant la toxicité des médicaments. L’aspirine et le paracétamol sont des médicaments très courants que l’on délivre partout sans ordonnance. Or leur dose semi-létale est de 14 g par jour. Chaque boîte en contient au moins 8g. Il faut alors imaginer ce qu’est la toxicité potentielle des pharmacies commerciales contenant beaucoup d’autres médicaments souvent plus « dangereux » que les deux considérés ! Mais si ces pharmacies recèlent un danger potentiel, on voit que le risque que ce danger se concrétise est pratiquement nul. Cet exemple montre bien les réserves avec lesquelles il faut accueillir ce type d’approche et de grandeur lié au seul danger potentiel et écartant la prise en compte du véritable risque encouru.
Pour évaluer le risque réel d’un stockage profond comme Cigéo, il est donc essentiel – étant connu le danger potentiel des matières stockées – d’examiner dans quelles conditions un individu peut être soumis à la radioactivité de ces déchets.
Celles-ci recouvrent principalement les situations suivantes :
L’irradiation
En début de stockage, les déchets de haute activité sont très irradiants. Après 100 ans, le débit de dose à 1m d’un conteneur standard de déchets vitrifiés nu est encore de 3 Sv/h, ce qui est très élevé[1]. Ce danger d’irradiation disparaît ensuite car le débit de dose décroît vite et devient très faible (après 300 ans il n’est plus que de 17 mSv/an). Le conteneur nu n’en est pas moins très dangereux en début de stockage mais, il est aisé de s’en protéger en le plaçant dans un colis dont les protections abaissent fortement le débit de dose à son contact. Et une fois entouré d’un sur-conteneur en acier de 55 mm d’épaisseur et en place dans son alvéole, le colis devient inoffensif. Stocké à 500 m de profondeur les rayonnements qu’il émet ne peuvent en aucun cas irradier les populations en surface.
L’ingestion
A supposer qu’un individu, après la fermeture du site complétement oublié, fore un puits et aboutisse dans une galerie de l’installation le danger sera alors l’ingestion des déchets présents à l’intérieur des colis eux-mêmes. Mais à supposer que cet individu ait l’idée baroque d’avaler quelques morceaux de ces déchets vitrifiés (!) cette matière inerte transitera peu de temps dans son corps n’entraînant qu’une faible irradiation. Donc même, dans ce cas incongru, il n’y aura aucun impact sur la santé[3] de l’ « explorateur ». L’eau étant un des meilleurs solvants qui soit, un cas d’ingestion beaucoup plus probable et fréquent est l’absorption, via l’eau de boisson, de produits radioactifs solubilisés.
L’absorption d’eau : scénarios normal et dégradé
L’eau selon toutes les études est « l’ennemi déclaré des stockages souterrains ». C’est bien pour cette raison qu’on choisit le plus souvent les sites de stockage dans des environnements peu perméables. Dans le cas de Cigéo, les géologues nous disent que l’eau ne pourra atteindre l’ouvrage que lentement et à un débit faible (de l’eau quasi stagnante). Les études (expériences et comportements des analogues naturels) montrent une longue résistance des différentes barrières : pour la dégradation des sur-conteneurs et conteneurs cela se chiffre en milliers d’années tandis que la durée de vie des colis de verre est de plusieurs centaines de milliers d’années. Et pour traverser la couche d’argile de 130 m, les éléments radioactifs les plus mobiles mettront au moins 50 000 ans. Les calculs basés sur des logiciels adaptés de l’Andra et du CEA tenant compte de tous les facteurs (temps de migration, dilution etc.) majorés par la prise en compte de facteur de sécurité (modèles dits opérationnels) conduisent à des doses négligeables pour le public vivant à proximité et au-dessus du site.
Mais l’Andra, ne s’est pas contentée de ces résultats et elle a étudié des scénarios dégradés pénalisants et pour tout dire improbables. Dans tous les cas de figure, les études montrent que l’impact du stockage resterait inférieur à la limite édictée de 0.25 mSv[4]. Les études faites à l’étranger confirment ces chiffres. L’avantage de ces scénarios, c’est qu’ils sont plus faciles à appréhender que ceux basés sur des processus physiques et chimiques complexes. On s’affranchit ainsi de l’aspect « boîte noire » des gros logiciels puisqu’ils permettent à quelqu’un pourvu d’un minimum de bagage scientifique de vérifier les ordres de grandeurs des conséquences de tels scénarios. Par exemple, supposons qu’une glaciation intervienne sur le site et qu’ensuite la fonte du glacier crée un fort courant d’eau envahissant tout le site. De l’eau pure donc agressive se déversant alors sur notre ouvrage à fort débit, détruira, plus rapidement que dans le cas réaliste, toutes les barrières – argile, béton, acier, argile gonflante, béton, acier – avant d’attaquer le verre. C’est après toutes ces phases que l’eau pourra alors se charger en éléments radioactifs (actinides pour la plus part) et atteindre les concentrations maximales autorisée par la thermochimie. Enfin, pour que cette eau présente un risque, il faut qu’elle soit ingérée. Pour cela, nous supposerons qu’elle se mélangera avec l’eau passée entre les galeries bétonnée dans une nappe en dessous ou à proximité du complexe et que la population qui vit au-dessus y aura accès grâce à un forage. En considérant que l’évènement se produise au bout de seulement 10 000 ans, il est assez facile de déterminer que l’activité de l’eau de cette nappe conduirait alors pour la population qui la boirait exclusivement, à une dose inférieure à 0,12 mSv/an soit non seulement sans danger mais en dessous de la réglementation[5]. Après 100 000 ans (temps plus réaliste pour que se produisent tous ces évènements), la dose ne serait plus que 0,002 mSv/an pour des individus qui boiraient toute l’année l’eau de cette nappe.
Dans le sol
La formule des opposants au stockage géologique, selon lequel « stocker les déchets dans le sol c’est empoisonner la Terre », prospère elle aussi sur une ambigüité. Cette image symbolique d’une planète souillée, très répandue dans le public, est fallacieuse car la radioactivité est la toile de fond naturelle, omniprésente, de tout l’environnement terrestre. La désigner comme un « empoisonnement » est un non-sens, même si elle devient dangereuse au-delà de certaines doses. Comme le soulignent les géologues ou les spécialistes des rayonnements ionisants, « la Terre est une planète radioactive »[6] ou, formulé encore plus directement, « la Terre n’est qu’un immense déchet nucléaire »[7] ! Y rajouter les nôtres ne revient qu’à induire une concentration localisée et temporaire de radioactivité – de surcroit confinée – dans un milieu qui en comporte déjà, à l’état naturel, des quantités considérables. C’est l’omniprésence de cette radioactivité naturelle, perdurant dans les profondeurs, qui explique pour l’essentiel que la Terre est une planète chaude : le flux thermique qui maintient le sous-sol à une température élevée est dû pour environ 70 % à la chaleur dégagée par la désintégration des atomes radioactifs. Stocker des déchets nucléaires dans un tel environnement souterrain n’est certes pas anodin mais n’a rien d’un « empoisonnement ». En quelques centaines d’années – un battement de cil sur l’échelle des temps géologiques – ce surcroit de radioactivité sera en grande partie résorbé avec la disparition des produits de fission puis, à plus long terme, des actinides, tandis que les radioéléments présents à l’état naturel depuis l’aube des temps dans le milieu dureront bien plus longtemps que les déchets de Cigéo et continueront d’alimenter la radioactivité de ce morceau d’écorce terrestre au fil de leurs désintégrations successives, comme ils le font depuis toujours… et sans que personne ne les accuse d’ « empoisonnement ».
Pour en être bien convaincu, regardons les chiffres de l’activité totale des déchets après 40 ans de production des 58 tranches actuelles : les verres (déchets HA) représenteront 200 000 TBq (2 1017 Bq) après 500 ans qui deviennent environ 21 000 TBq après 10 000 ans de refroidissement (de stockage).
Radiotoxicités comparées des déchets et des produits naturels
A titre de comparaison, la terre, le matériau situé entre la surface du sol et l’ouvrage lui-même c’est-à-dire 15 km2 sur une profondeur de 500 m, contient des produits radioactifs (U, Th et leurs descendants, plus le 40K poussières d’étoile que nous a laissées dame nature dans le sol terrestre depuis sa création) correspondant à une activité de 12 500 TBq (sans les descendants de l’uranium et du thorium) soit environ 50 % de l’activité des déchets HA après 10 000 ans.
Mais pour évaluer le danger il faut considérer les « doses efficaces » donc changer d’unité et passer des becquerels aux sieverts. Pour les déchets qui sont vitrifiés, nous l’avons vu plus haut, la fixation dans l’organisme ne peut se faire que par ingestion. En revanche, pour les produits radioactifs naturels présents dans le sol, le plus grand danger est l’inhalation : au-dessus et jusqu’à la surface, le matériau constitutif est, en effet, du « vrac » et il suffit donc en plus des émanations de radon et de thoron d’avoir à l’esprit ces chantiers avec des pelleteuses qui remuent le sol sur plusieurs mètres de profondeur et la poussière associée pour comprendre que l’inhalation ne peut pas ici être négligée.
La radiotoxicité potentielle des produits naturels se trouvant entre la surface et les barrières ouvragées de l’installation affiche une activité à 100 milliards de Sv en inhalation. Cette dernière évaluation est à comparer à la radiotoxicité elle aussi potentielle (en ingestion) des déchets HA qui est de 50 milliards de Sv après 500 ans de stockage (et seulement 9 milliards de Sv après 1000 ans) !
La radiotoxicité de ce qui constitue la barrière finale naturelle de l’ouvrage, la couche rocheuse, sera donc après seulement 500 ans, supérieure à celle des déchets contenus dans Cigéo ! Là nous semble-t-il la comparaison est bien plus éclairante que celle consistant à se comparer à l’uranium naturel.
Mais pour évaluer et comparer les risques, il faut noter :
D’une part que les produits radioactifs contenus dans le sol « en vrac » susceptibles de se transformer en poussière, laissant passer les descendants gazeux comme le radon et le thoron, contribuent à l’irradiation naturelle des êtres vivants de la biosphère. On peut remarquer que, malgré l’énorme radiotoxicité potentielle de ce volume de terre, la dose efficace délivrée aux hommes résidant toute l’année au-dessus reste très limitée (de 0,7 à 1,7 mSv/an en France). En effet, malgré l’absence de conditionnement, seule la couche superficielle contribue à la dose marquant bien la différence qui peut exister entre le danger potentiel et le risque réel. On peut déjà conclure que la dose délivrée par Cigéo à la population ne pourra être qu’inférieure à celle délivrée par cette couche, barrière naturelle mais aussi radioactive.
D’autre part, le risque présenté par les déchets de haute activité, bloqués sous forme solide, dans une gangue de verre, soigneusement conditionnés et isolés de la biosphère par la roche d’accueil de 500 m d’épaisseur dont une couche d’argile de 130 mètres, sera nul du moins tant que l’eau n’aura pas commencé à dissoudre les verres soit pendant, a minima, plusieurs dizaines de milliers d’années. Et à partir du moment où l’eau commencera à dissoudre les verres, les calculs sophistiqués comme les évaluations très pénalisantes conduisent à des doses minimes, en dessous de la règlementation concernant la population donc sans aucun impact sur la santé des individus et sans aucune nuisance pour l’environnement. Sans risque donc !
En guise de conclusion
Les déchets nucléaires sont potentiellement dangereux mais leur mode de conditionnement et de stockage réduit très fortement le risque qu’ils représentent, le rangeant dans la catégorie des risques acceptables. Même en prenant en compte les éventuels dysfonctionnements du système et les défaillances externes d’origine naturelle ou humaine l’impact de ces déchets devrait rester très limité, nettement inférieur, selon l’Andra, à la radioactivité naturelle et à la limite de 0,25 mSv/an imposée par les autorités publiques. Les évaluations et commentaires proposés dans cet article illustrent ces conclusions et montrent que loin d’être des « bombes à retardement », les déchets nucléaires correctement conditionnés et stockés ne devraient imposer à nos descendants aucune nuisance inacceptable.
[1] C’est-à-dire qu’il faut moins de 2h à 1 m pour que le colis délivre la dose létale.
[2] Il sera juste légèrement irradié pendant le transit par les émetteurs b et g que contiennent encore les verres.
[3] Autre qu’une perforation de l’intestin par le verre bien sûr s’il n’a pas pris de précaution.
[4] Cette limite est un niveau de débit de dose extrêmement bas puisqu’elle correspond au quart de la limite règlementaire de l’exposition du public elle-même extrêmement basse. Rappelons que l’exposition naturelle en France varie de 2,4 à 5,5 mSv.
[5] Un scénario catastrophe du type Tchernobyl, Bhopal ou Minamata est donc complétement à écarter (d’ailleurs les opposants au nucléaire n’ont rien proposé de pire, sur le plan technique, que les scénarios « dégradés » envisagés par les concepteurs). Il n’existe donc pas de scénario d’accident grave pour les déchets conditionnés et stockés selon les options techniques prévues pour Cigéo.
[6] De : « La radioactivité c’est naturel », Jacques Pradel et Nicole Colas-Linhart, communication au colloque GRRT, mai 2009
[7] De : « Nucléaire et environnement », Jean Danguy, Edition par l’auteur, 1994
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