Déchets radioactifs : quels enseignements en 2015 ?
L’Andra a publié dans le courant de l’été la version 2015 de l’inventaire national des matières et déchets radioactifs. Comme dans l’édition précédente, l’agence a réalisé un exercice de prospective évaluant l’évolution des volumes de déchets selon deux scénarios : la prolongation et le non-renouvellement de la production d’électricité nucléaire. Passage en revue des principaux enseignements avec Michèle Tallec, chef du service inventaire et planification à la direction de la maitrise des risques de l’Andra.
A quoi sert l’inventaire national des matières et déchets radioactifs ?
Michèle Tallec – L’inventaire national des matières et déchets radioactifs est une mission de service public qui a été confiée par le législateur à l’Andra en 1991. A cette époque, l’Agence devait réaliser un inventaire des stocks et localiser les déchets sur tout le territoire français.
Le premier inventaire s’appelait « L’Observatoire », il a été publié en 1992. Jusqu’au début des années 2000, L’Observatoire a été publié tous les ans.
Au début des années 2000, un certain nombre d’acteurs, dont la Commission nationale d’évaluation relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs (CNE), se sont émus qu’on ne connaissait pas les quantités à venir des déchets.
Une étude a donc été commandée au président de l’Andra de l’époque, Yves Le Bars, pour réaliser un inventaire plus complet. Ce dernier a fait des propositions, qui ont ensuite été entérinées par le gouvernement. Ce nouvel inventaire, qui est paru pour la première fois en 2004, a été validé par la loi de 2006. C’est désormais le format de l’inventaire que l’Andra publie tous les trois ans.
Que trouve-t-on dans l’inventaire ?
MT – D’abord, il s’agit d’un inventaire des déchets et des matières.
Ensuite, on trouve deux types d’informations : des informations sur les stocks, pour l’édition 2015, il s’agit des stocks à fin 2013, et des prévisions, pour les déchets il s’agit de prévisions à fin 2020, à fin 2030 et à la fin de l’exploitation des installations.
L’inventaire prend en compte les activités de démantèlement de toutes les installations qui ont leur décret d’autorisation de création aujourd’hui. Autrement dit, les déchets de l’EPR de Flamanville ou du réacteur à fusion ITER, qui n’ont ni l’un ni l’autre démarré, sont d’ores et déjà intégrés dans les prévisions.
Pour les matières, c’est un peu différent, les prévisions se font simplement à fin 2020 et fin 2030.
L’inventaire que l’Andra publie tous les trois ans, comporte l’intégralité de ces informations.
Par contre, tous les ans les producteurs de déchets sont tenus de déclarer les stocks. Ces stocks, l’Andra en fait des bilans aussi. Jusqu’à présent, l’information qui en était faite était uniquement diffusée au travers des réunions du groupe de travailsur le PNGMDR (Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs réalisé par l’ASN), et cela n’avait pas une grande diffusion.
L’Andra a donc décidé de mettre en place cette année, un inventaire en ligne : www.inventaire.andra.fr. Ce site a vocation à venir remplacer l’édition papier et rendre disponible au plus grand nombre une information mise à jour annuellement.
Quels sont les points à retenir de l’édition 2015 ?
MT – Le premier constat que l’on peut faire, c’est qu’il n’y a pas de surprise ! Que ce soit en termes de stock à fin 2013 ou de prévisions à terminaison des installations à fin 2020/2030, les chiffres correspondent aux projections.
Deuxième point, l’inventaire confirme que l’Andra a une solution industrielle exploitée et opérationnelle pour 90 % des déchets produits chaque année. Dit autrement, 90 % des déchets produits sont de très faible activité ou de faible ou moyenne activité à vie courte.
Troisième point, la plus grande partie des déchets qui vont être produits d’ici la fin de l’exploitation des installations sont des déchets de démantèlement : plus de la moitié des déchets produits d’ici 2030 sont des déchets de très faible activité (TFA).
Les déchets vont-ils « tripler » ?
MT – Les prévisions évaluent à 4,3 millions de m3 de déchets à terminaison des installations. Il s’agit donc d’un horizon lointain : on intègre les déchets du démantèlement de l’EPR de Flamanville ! Un démantèlement qui n’est pas prévu avant la fin du siècle…
Les déchets vont donc tripler. Mais, la part la plus importante de ces déchets viendra du démantèlement. Et pour l’essentiel, il s’agit de déchets TFA et dans une moindre mesure des déchets de faible et de moyenne activité à vie courte.
Si l’on regarde les déchets de haute activité ou de moyenne activité à vie longue, ils vont augmenter de manière plus faible.
Comment réduire le volume de déchets ?
MT – L’Andra réfléchit avec les producteurs de déchets à un certain nombre de possibilités. La première réflexion vise à réduire le volume de déchets à la source en mettant en place des solutions adaptées comme par exemple la décontamination pour le démantèlement.
Des solutions de densification et compactage des déchets sont mises en place pour épargner la ressource rare que sont les centres de stockage.
En parallèle, l’Andra réfléchit à optimiser le taux d’occupation du centre de stockage des déchets TFA – qui arriverait à saturation à horizon 2025. Nous avons beaucoup travaillé notamment sur l’optimisation de la géométrie des alvéoles pour pouvoir mettre plus de déchets sur une même surface. Pourtant, cela ne nous dispensera pas de construire un nouveau centre…
Enfin, l’Andra a lancé un appel à projets innovants pour trouver des technologies de réduction ou de recyclage des déchets. Une douzaine de projets a été retenu et bénéficiera d’un financement par le biais des investissements d’avenir.
Que doit-on retenir de l’inventaire prospectif ?
MT – Il y a quelques années, l’Andra a souhaité faire des évaluations de déchets sur la base des scénarios prospectifs.
Le comité de pilotage, qui associe toutes les parties prenantes, l’Etat, les autorités de sûreté, les producteurs de déchets, et la société civile (ANCCLI, associations environnementales, etc.), a souhaité que l’Andra se limite à deux scénarios de politique énergétique.
Le premier est la poursuite de la production électronucléaire avec un plafonnement à 63,2 GWe (cf. loi sur la transition énergétique).
Dans le second scénario, les installations ne sont pas renouvelées lorsque celles-ci arrivent au terme de leur exploitation.
Pour le premier scénario, on suppose une durée de fonctionnement de 50 ans en moyenne, et dans le second, on a pris 40 ans d’exploitation en moyenne.
Premier enseignement : la production de déchets de très faible activité et de moyenne activité à vie courte n’est pas très dépendante des scénarios. (NDLR : la production de déchets de faible activité à vie longue est indépendante de ces scénarios puisqu’il s’agit essentiellement de déchets de graphite des réacteurs de 1ere génération).
Deuxième enseignement : les conséquences porteront surtout sur les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. L’impact portera d’avantage sur la « nature » des déchets à stocker que sur le « volume ». Car, ne pas renouveler le parc nucléaire veut dire qu’il faudra arrêter de retraiter le combustible usé et donc le stocker, ce qui n’est pas le cas dans le scénario de poursuite du nucléaire. Cela a donc des conséquences sur le projet Cigéo notamment en terme de conception industrielle du centre de stockage.
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