Le climat a besoin de toute l’aide possible - Sfen

Le climat a besoin de toute l’aide possible

Publié le 19 novembre 2019 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Le président du GIEC Hoesung Lee, au siège de l’AIEA où s’est tenue à l’automne une conférence sur le changement climatique et l’énergie nucléaire, le dit sans détour : « le temps presse et le climat a besoin de toute l’aide possible ».

Du 7 au 11 octobre 2019, se tenait au siège viennois de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) une conférence internationale exceptionnelle sur le thème « le changement climatique et le rôle de l’énergie nucléaire ».

Organisée en collaboration avec l’Agence de l’énergie nucléaire (AEN) de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), cette conférence a rassemblé près de 550 participants, représentant entre autres 79 États membres et 18 organisations internationales.

Parmi elles, le Groupement International des Experts pour le Climat (GIEC) et la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC).

Cornel Feruta, directeur général par intérim de l’AIEA, a ouvert cette conférence en donnant le ton : « le changement climatique est l’un des plus grands défis de notre époque et l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre sera difficile à atteindre sans une augmentation significative de l’utilisation de l’énergie nucléaire ». Aujourd’hui, l’énergie nucléaire est la deuxième source d’électricité bas carbone dans le monde , après l’hydraulique, et la première au sein de l’OCDE.

Une intervention très remarquée

Hoesung Lee est revenu sur les conclusions du rapport spécial SR1.5 publié en 2018. 


Le temps presse. La part du nucléaire dans le futur mix dépendra de la vitesse à laquelle cette technologie peut être déployée


Il a commencé par rappeler que pour contenir le réchauffement en dessous de 1,5°C d’augmentation par rapport au niveau pré-industriel, le monde devrait parvenir à la neutralité carbone en seulement quelques décennies, nécessitant un effort considérable de réduction des émissions.

Pour ce faire un « large portefeuille d’options d’atténuation serait nécessaire, ainsi qu’un très large accroissement de l’investissement dans ces options ». Réduire les émissions dans le secteur énergétique, si dépendant des énergies fossiles depuis plus de cent ans, nécessiterait trois grandes stratégies conjointes : des efforts d’efficacité énergétique, l’électrification des usages et la décarbonation de l’électricité.

Cet état des lieux posé, le président du GIEC en est venu à détailler plus spécifiquement les travaux sur le nucléaire. Sur la base des 21 modèles disponibles, le GIEC a étudié 85 trajectoires permettant de contenir la hausse de la température globale à 1,5°C à l’horizon 2100. Ces trajectoires présupposent un effort important en termes d’efficacité énergétique, ainsi qu’un doublement de la part de l’électricité dans l’énergie totale (de 19 % en 2020 en valeur médiane à 43 % en 2050). À noter : le nucléaire contribue aux efforts de décarbonation de l’électricité dans la très grande majorité des 85 trajectoires.

Les variations entre les différentes trajectoires sont importantes, allant d’une diminution jusqu’à une multiplication de la production nucléaire par dix. Ces variations sont principalement dues aux incertitudes sociétales mais aussi à des différences de prise en compte des futurs développements technologiques possibles : ainsi, moins d’un tiers des 21 modèles utilisés incluent par exemple les Small Modular Reactor (SMR), ou la possibilité pour le nucléaire de générer de la chaleur bas carbone. Et le président du GIEC de rappeler qu’en tout état de cause « le temps presse. La part du nucléaire dans le futur mix dépendra de la vitesse à laquelle la technologie peut être déployée.

De toute évidence, nous ne savons pas et ne pouvons pas savoir quelles technologies seront disponibles au cours des trente prochaines années et quelles en seront les performances ».

Pour le président du GIEC, le nucléaire doit relever deux principaux défis : la compétitivité par rapport aux autres technologies non fossiles, et l’accélération de son rythme de déploiement. Et de conclure devant l’assemblée : « Je vous souhaite de réussir à relever ces défis car le climat a besoin de toute l’aide possible ! ».

Décalage entre les ambitions climatiques et les hausses de CO2

En 2018, malgré la croissance des énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire, les émissions du secteur énergétique ont encore augmenté pour atteindre un nouveau record, selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) de l’OCDE. Comme le souligne son directeur général Fatih Birol, « nous avons une déconnexion entre les ambitions climatiques et ce qui se passe en réalité ».

Et d’enfoncer le clou : « nous devons regarder toutes les technologies propres. Le solaire et l’éolien sont importants. Mais nous pensons que le nucléaire et le captage-stockage de CO2 (CCS) sont aussi importants. Nous ne pouvons avoir le luxe de choisir notre technologie préférée ».

Premier défi à relever, le coût du nucléaire

S’agissant des coûts, Zhenmin Liu, Secrétaire général adjoint du département des affaires économiques et sociales de l’ONU, a insisté sur la prise en charge des coûts liés à l’investissement pour la construction de centrales nucléaires qui « nécessitera l’engagement des gouvernements et l’acceptation du public ». Poursuivant sur cette ligne, Cédric Lewandowski, vice-président exécutif en charge du parc nucléaire du groupe EDF a rappelé que « les politiques publiques doivent rapidement offrir la visibilité nécessaire à l’énergie nucléaire pour jouer son rôle dans la protection du climat et la promotion de la croissance économique et industrielle. […]. Les coûts dans le nucléaire diminuent lorsqu’il existe une continuité de politique industrielle, lorsque l’expertise de premier ordre est maintenue au sein de l’écosystème industriel, et lorsque les effets en série et la normalisation entraînent une réduction des coûts. Ceci est crucial pour le nucléaire. C’est en fait crucial pour toutes les technologies dont nous aurons besoin pour la transition énergétique ».

En effet, le retour d’expérience sur les 58 réacteurs REP français construits dans les années 1980-1990-2000, à un rythme régulier et constant, montrent une réduction de 15 % du coût total de construction quand ces réacteurs sont a minima construits par paire, de 30 % par lots de trois paires.

Second défi, le passage à grande échelle

Concernant la capacité de l’énergie nucléaire à se développer à grande échelle, un pays le met d’ores et déjà en œuvre : la Chine. Jun Gu, président de China National Nuclear Corporation (CNNC) note que « le monde est entré dans l’âge des énergies propres avec une faible dépendance aux énergies fossiles ».


Nous devons innover et faire sauter les verrous autour de cette énergie bas carbone dont nous avons besoin pour contribuer aux efforts globaux en faveur de la transition énergétique et du climat


En Chine, le nucléaire est une énergie sûre, pilotable, qui remplace progressivement les centrales à charbon et vient en appui aux énergies renouvelables. Plus encore, demain, « le nucléaire fera partie intégrante du mix énergétique de la Chine ».

Pour mémoire, Jun Gu rappelle que « la Chine, à fin juin 2019, est le pays numéro 1 mondial des capacités installées éoliennes, solaires et hydroélectriques, et… le numéro 1 des constructions nucléaires ». Sur les 454 réacteurs nucléaires en exploitation dans le monde (dans 31 pays), la Chine compte aujourd’hui 47 réacteurs nucléaires en exploitation.

« Nous sommes pleinement convaincus que nous pourrons bientôt construire 6 à 8 nouvelles unités de génération III par an », complète le Président de CNNC. « Nous avons pleinement confiance en cette énergie, sûre et efficace. Nous devons innover et faire sauter les verrous autour de cette énergie bas carbone dont nous avons besoin pour contribuer aux efforts globaux en faveur de la transition énergétique et du climat ».

Le nucléaire pour décarboner l’électricité et les autres secteurs

Stefano Monti, secrétaire scientifique adjoint de la conférence et responsable du développement technologique de l’énergie nucléaire à l’AIEA, fort des priorités exprimées par ses hôtes, a conclu la conférence en des termes clairs. « Pour atteindre les objectifs ambitieux en matière de changement climatique, le monde aura besoin de toutes les formes d’énergie propre, y compris leur intégration dans des systèmes hybrides nucléaire et renouvelables produisant de l’électricité bas carbone et de la chaleur ».

Cette électricité pourra en outre être utilisée « pour des applications non électriques pouvant décarboner d’autres secteurs, tels que l’industrie et les transports », a-t-il ajouté, avant de conclure que « cette conférence est aussi une excellente occasion d’étudier plus avant de tels systèmes ».

 

A retenir
« Le monde est en train de perdre la bataille climatique : trois ans après la COP21, les émissions de CO2 continuent d’augmenter. En décembre 2015, à l’occasion de l’accord de Paris, 195 pays se sont engagés à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter à 2 °C, voire 1,5 °C, la hausse de température du globe d’ici 2100. Dans son dernier rapport d’octobre 2018, le GIEC indique que si les émissions continuent à leur rythme actuel, le réchauffement provoqué par l’homme pourrait atteindre les 1,5 °C plus tôt que prévu, entre 2030 et 2050 ».
 


Valérie Faudon & Cécile Crampon, SFEN – Crédit photo © Bernhard Staehli/Shutterstock