Cigéo et droit des générations futures : le Conseil constitutionnel donne son feu vert

Soulevée par des opposants au nucléaire, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur Cigéo, le projet de stockage géologique des déchets les plus radioactifs, a été tranchée par le Conseil constitutionnel. Les sages considèrent que ce projet est conforme à la constitution et qu’il respecte les droits des générations futures.
Le Conseil Constitutionnel a rendu le 27 octobre 2023 une décision très attendue concernant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui lui avait été transmise en août dernier par le Conseil d’État dans le cadre du recours en annulation du décret de déclaration d’utilité publique (DUP) de Cigéo introduit en septembre 2022 par un certain nombre d’associations et de particuliers. Cette question portait sur la conformité à la Constitution de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.
Que dit le code de l’environnement ?
Rappelons que c’est la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs qui, au terme de 15 années de recherches initiées par la précédente loi du 30 décembre 1991 et leur évaluation par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a défini le « stockage réversible en couche géologique profonde » comme étant la solution à long terme de gestion des déchets radioactifs de haute ou moyenne activité à vie longue (HA et MA-VL). Cette loi avait soumis ce stockage à un « principe de réversibilité », mais sans le définir.
Après un premier échec parlementaire, c’est finalement la loi du 25 juillet 2016, après un débat public tenu en 2013, qui, dans une rédaction modifiée de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement, a donné une définition de la réversibilité comme étant « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation de tranches successives de ce stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ». Le même article précise que la durée minimale de réversibilité, qui doit être fixée par l’autorisation de création de l’installation, elle-même accordée par une loi, ne peut être inférieure à 100 ans, ce qui signifie a contrario qu’au-delà de cette période, la réversibilité ne sera plus possible, le centre de stockage étant définitivement fermé. Le texte fixe également les conditions et modalités de création de l’installation nucléaire de base particulière que constitue ce centre de stockage.
Que réclamaient les requérants ?
Les requérants reprochaient à l’article précité de ne pas garantir la réversibilité du stockage au-delà de la période minimale de 100 ans. Selon eux, cela fait obstacle à la possibilité que les générations futures puissent revenir sur ce choix alors que l’atteinte irrémédiable à l’environnement, et en particulier à la ressource en eau, qui en résulterait pourrait compromettre leur capacité à satisfaire leurs besoins. Ils estimaient que serait ainsi méconnu le droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, protégé par la Charte de l’environnement, ainsi que les principes de solidarité et de fraternité entre les générations, qu’ils demandaient au Conseil Constitutionnel de reconnaître.
Le Conseil ne répond pas directement à la demande des requérants sur la reconnaissance de ces principes. Il se livre uniquement à une analyse de l’article incriminé du code de l’environnement au regard de la Charte de l’environnement, qui, rappelons-le, a valeur constitutionnelle. Mais on peut toutefois en tirer une certaine forme de reconnaissance de l’idée de fraternité intergénérationnelle.
Que dit la Charte et quelles conséquences en tire le Conseil constitutionnel ?
L’article 1er de la Charte dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et le 7ème alinéa de son préambule impose que « afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs besoins ».
Pour le Conseil constitutionnel, il résulte de la combinaison de ces deux dispositions que le législateur peut apporter des limitations à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, mais que celles-ci doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif général et proportionnées à l’objectif poursuivi.
Quelle analyse le Conseil fait-il des dispositions du code de l’environnement encadrant Cigéo ?
En premier lieu, le Conseil considère que si le stockage des déchets HA et MA-VL dans une installation souterraine est susceptible de porter une atteinte grave et durable à l’environnement et à la santé eu égard à la dangerosité de ces déchets, il ressort des travaux préparatoires à la loi que le législateur a entendu, d’une part, que ces déchets soient stockés dans des conditions permettant de protéger l’environnement et la santé et, d’autre part, que la charge de ces déchets ne soit pas reportée sur les seules générations futures.
Au surplus, le Conseil estime qu’il ne lui appartient pas de rechercher si les objectifs du législateur quant à la gestion à long terme de ces déchets auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas, en l’état des connaissances scientifiques et techniques, manifestement inappropriées à ces objectifs.
En second lieu, le Conseil considère que l’article L. 542-10-1 entoure la création et l’exploitation du centre de stockage de différentes garanties propres à assurer le respect des exigences de protection de la santé, de la sécurité et de l’environnement, d’une part, et de limitation des charges supportées par les générations futures, d’autre part, garanties dont il dresse la liste suivante :
- mise en œuvre de la réversibilité par la progressivité de la construction, l’adaptabilité de la conception et la flexibilité d’exploitation du stockage, incluant la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés ;
- création du stockage soumise à une procédure d’autorisation particulière (études préalables menées par un laboratoire souterrain, demande d’autorisation précédée par un débat public, un rapport de la commission nationale d’évaluation et un avis de l’ASN et des collectivités territoriales, puis transmise à l’OPECST qui l’évalue et en rend compte aux commissions compétentes du Parlement) ;
- autorisation de mise en service limitée à une phase pilote ;
- fermeture du stockage, au terme de la période de réversibilité, autorisée par une loi ;
- modalités de participation des citoyens.
Le Conseil constitutionnel en conclut que les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences de la Charte de l’environnement ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
En conclusion
De cette analyse menée au regard du droit constitutionnel, il convient de retenir en pratique que :
1° le principe du stockage en couche géologique profonde de déchets HA et MA-VL est jugé conforme à la Constitution ;
2° les conditions juridiques de la création et de l’exploitation d’une telle installation nucléaire sont considérées, d’une part, comme assurant la protection de la santé des générations actuelles et futures ainsi que de l’environnement sur le très long terme et, d’autre part, comme offrant aux générations futures la garantie d’une liberté de choix, du moins pendant toute la période de réversibilité. ■