Le casse-tête financier de la fin du nucléaire allemand
Dans six ans, l’Allemagne devra être « sortie du nucléaire ». Derrière le volontarisme politique, le coût de cette décision précipitée reste encore difficile à calculer. Une commission réunie par le gouvernement l’évalue à 49 milliards d’euros. La loi prévoit que cette facture soit supportée par les électriciens nucléaires, pourtant grandement fragilisés par la chute des prix du marché de l’électricité européen.
Il y a quelques mois, le cabinet Warth & Klein Grant Thornton, mandaté par le Ministère de l’Economie et de l’Energie, avait audité les provisions des quatre électriciens – RWE, EON, Vattenfall, EnBW – pour financer les opérations de démantèlement des centrales nucléaires et de gestion des déchets. Le cabinet avait alors conclu que les provisions étaient suffisantes.
Suite à ce premier travail, le gouvernement a créé la commission « KFK» pour évaluer les résultats de l’audit et les options de financement de la sortie du nucléaire. Le 27 avril dernier, la commission rendait ses recommandations : placer une partie des réserves déjà constituées par les électriciens dans un fonds public pour financer la gestion des déchets nucléaires, en échange de quoi le gouvernement aurait pour mission d’entreposer et de stocker les déchets nucléaires.
La sortie du nucléaire coûtera 49 milliards d’euros
La commission KFK évalue le coût total de la sortie du nucléaire à 48,8 Mds€ (montant qui ne comprend ni le remplacement de la production nucléaire par de nouveaux centres de production d’électricité ni la réorganisation du réseau électrique). Selon la Loi Atomique (Atomgesetz), il appartient aux exploitants de supporter les coûts de la sortie du nucléaire. Les provisions présentées dans les bilans des énergéticiens fin 2014 s’élevaient à 38,3 Mds€, couvrant presque 80 % du coût final.
Ces provisions serviront à couvrir les coûts pour :
- la mise à l’arrêt et le démantèlement des 23 réacteurs nucléaires (8 réacteurs sont encore en exploitation) ;
- le conditionnement et le transport des assemblages irradiés et des déchets radioactifs ;
- le stockage intermédiaire des déchets radioactifs ;
- le stockage définitif des déchets à faible et moyenne activité dans le puits de Conrad, une ancienne mine de fer ;
- le stockage définitif des déchets à haute activité et à vie longue, y compris le coût de la nouvelle recherche d’un site de stockage final, décidée en 2013.
Soucieux que le contribuable ne soit pas la variable d’ajustement permettant de financer la sortie du nucléaire et compte-tenu de la situation financière difficile des énergéticiens, la commission propose un partage des responsabilités financières : les exploitants seront financièrement responsables du démantèlement de leurs centrales nucléaires, du conditionnement et du transport des assemblages irradiés et des déchets radioactifs.
Création d’un fonds public pour la gestion des déchets radioactifs
S’inspirant des expériences suisse et suédoise, la commission propose la création d’un fonds public pour la gestion des déchets radioactifs et préconise que les exploitants y contribuent à hauteur de 23,3 Mds€. Une partie des provisions des exploitants (17,2 Mds€) serait immédiatement transférée dans ce fonds public et une prime de risque de 35 % (6,1 Mds€) sur cette provision au plus tard en 2022. En échange du paiement, la commission propose que les entreprises ne soient plus chargées de l’entreposage et du stockage définitif des déchets nucléaires dans leurs dimensions juridiques et financières. C’est le gouvernement qui prendra en charge l´entreposage et le stockage définitif des déchets nucléaires.
Dans l’esprit de la commission, ce compromis doit être complété par un abandon des plaintes des énergéticiens contre la prise en charge du coût de la nouvelle recherche d’un site de stockage final pour les déchets les plus radioactifs (HAVL).
En outre, la commission propose de supprimer le choix entre démantèlement « immédiat » et « différé » pour ne garder que le démantèlement immédiat (en France aussi, l’ASN préconise cette stratégie).
Une facture trop élevée pour les énergéticiens
Les énergéticiens se sont immédiatement opposés aux conclusions de la commission. Selon eux, l’instauration d’une prime de risque de 6,1 Mds€, en plus d’être infondée, aurait des conséquences financières désastreuses, surtout dans le contexte actuel où la chute des prix de gros de l’électricité (de l’ordre 20 €/MWh) fragilise les énergéticiens européens. Ils comptent maintenant sur des négociations avec le gouvernement pour obtenir un accord équilibré.
En toile de fond de ces négociations, le bras de fer continue… RWE, E.ON et Vattenfall dénoncent la validité juridique du 13ème amendement de la Loi Atomique et ont saisi la Cour constitutionnelle allemande en ce sens. Le jugement est attendu dans plusieurs mois. Si les juges donnaient raison aux électriciens, ces derniers pourraient exiger de l’Etat allemand entre dix et quinze milliards d’euros d’indemnités.
De son côté, le Parlement, saisi par le gouvernement, travaille sur une loi dont l’objectif est de s’assurer que les opérateurs nucléaires resteront les seuls à financer le démantèlement de leurs installations, même en cas de changement de propriétaire ou de scission d’entreprise. Cette mesure – qui n’est pas encore effective – a dissuadé E. ON de filialiser, dans une entité appelé UNIPER, ses activités nucléaires ainsi que les coûts liés à leur démantèlement. De plus, le gouvernement a l’intention de légiférer sur la création du fonds public avant la fin de l’année.
Il y a donc urgence à trouver un accord, sans mettre les énergéticiens en danger de faillite ni reporter le coût de la sortie du nucléaire sur les contribuables. La balle est désormais dans le camp des opérateurs électriques. S’ils acceptent les recommandations de la commission KFK, un projet de loi pourrait être engagé début 2017, avec la création du fonds dans la foulée.
Crédit photo : EDF