Californie : la fermeture de San Onofre entraîne la hausse des émissions de gaz à effet de serre

Le 7 juin 2013, Southern California Edison (SCE), principal fournisseur d’électricité du Sud de la Californie, a annoncé la mise à l’arrêt définitif des réacteurs 2 et 3 de sa centrale de San Onofre. Les deux réacteurs étaient à l’arrêt depuis janvier 2012. Le réacteur 2, mis en opération en 1982, avait été arrêté le 9 janvier 2012 pour des opérations programmées de maintenance, tandis que le réacteur 3, exploité depuis 1983, avait été arrêté le 31 janvier après la détection par les opérateurs d’une fuite mineure au niveau d’un générateur de vapeur.
La fermeture de la centrale aura d’importantes conséquences, parmi lesquelles la hausse des émissions de gaz à effet de serre (le gaz, énergie carbonée, venant se substituer à l’énergie nucléaire) et l’augmentation de la facture d’électricité des Californiens.
La Californie perd une de ses deux centrales nucléaires
San Onofre, située sur la côte Pacifique entre Los Angeles et San Diego, est composée de deux réacteurs à eau pressurisée de 1 172 MW et 1 178 MW. 78,21% de la centrale appartiennent à SCE qui en est l’opérateur, 20% à San Diego Gas & Electric (SDG&E), et 1,79% à la ville de Riverside. En raison de problèmes de corrosion et d’usure des générateurs de vapeur des deux réacteurs, SCE décide au début des années 2000 de les remplacer, au cours d’arrêts pour rechargement du combustible, par de nouveaux modèles fabriqués par Mitsubishi Heavy Industries.
Ce remplacement intervient début 2010 pour le réacteur 2 et début 2011 pour le réacteur 3. Les travaux sont alors censés permettre l’opération de la centrale jusqu’en 2022, pour une durée d’exploitation totale de 40 ans autorisée par l’autorité de sûreté américaine, la NRC (« Nuclear Regulatory Commission »). La détection d’une fuite entre les circuits primaire et secondaire d’un de ces nouveaux générateurs de vapeur conduit à la mise à l’arrêt du réacteur 3 le 31 janvier 2012, moins d’un an après sa remise en service. Des examens approfondis des générateurs de vapeur des deux réacteurs révèlent ensuite des niveaux d’usure beaucoup plus élevés que prévu au niveau de jonctions entre les tubes, ce qui aurait pu causer par la suite d’autres fuites semblables à celle survenue au niveau du réacteur 3.
Malgré plusieurs mois d’échanges avec la NRC, SCE ne parvient pas à proposer un plan de remplacement acceptable des générateurs de vapeurs fautifs. Finalement, en raison d’incertitudes élevées quant aux coûts des travaux nécessaires, et en raison de l’échec des discussions avec la NRC, l’exploitant décide la mise à l’arrêt définitif de sa centrale le 7 juin 2013. SCE est à présent en pourparlers avec Mitsubishi afin que le constructeur japonais supporte les coûts engendrés par la fermeture de San Onofre, alors qu’une étude de la NRC a montré que l’usure accélérée des générateurs de vapeur était due à une erreur dans les modèles employés par le fabricant pour la conception de son produit.
Les étapes à venir pour la centrale de San Onofre
Pendant ce temps, l’exploitant a débuté le processus de démantèlement de la centrale nucléaire. Pour ce faire, la NRC propose trois stratégies :
- La première option, « DECON » – pour « decontamination » –, consiste en la décontamination ou l’enlèvement des équipements et structures contenant des composants radioactifs, jusqu’à un seuil de radioactivité inférieur au niveau minimum préconisé par le régulateur.
- La seconde stratégie, « SAFSTOR » – pour « safe storage » –, est le maintien sûr de l’installation à l’arrêt pendant une période donnée, souvent plusieurs dizaines d’années. A la fin de cette période, la centrale est démantelée et décontaminée.
- La troisième option, « ENTOMB » – pour « entombment » –, consiste à créer une structure sûre autour de la centrale de façon à englober tous les composants radioactifs. L’installation est alors surveillée jusqu’à ce que la décroissance de ces composants permette d’atteindre un niveau de radioactivité en dessous duquel la NRC n’impose plus de régulation. Depuis 1960, plus de 70 installations nucléaires ont été arrêtées de façon permanente aux Etats-Unis, et aucun exploitant n’a jamais choisi l’option ENTOMB.

Les centrales nucléaires en cours de démantèlement aux Etats-Unis en juin 2013. Source : NRC.[/caption] Southern California Edison a, quant à elle, choisi l’option SAFSTOR pour démanteler les réacteurs 2 et 3 de San Onofre, tandis que le réacteur 1, arrêté définitivement en 1992, est soumis à une solution hybride entre les deux premières stratégies : la plupart des activités de démantèlement de ce réacteur sont terminées, excepté pour la cuve qui restera entreposée sur site tant que sa radioactivité n’aura pas atteint un niveau inférieur aux régulations de la NRC. Dans les réacteurs 2 et 3, le déchargement du combustible usé vers la piscine d’entreposage a déjà commencé. Le combustible sera ensuite transféré, sur place, vers une installation provisoire de stockage à sec. S’en suivra une période d’entreposage qui durera jusqu’à ce que le niveau de radioactivité soit descendu en deçà d’un certain seuil, et que le « fonds de démantèlement » soit complété.
La centrale sera ensuite démantelée dans son intégralité. La constitution d’un fonds de démantèlement, spécifiquement dédié aux installations ayant été contaminées pendant le fonctionnement de la centrale, est imposée aux exploitants par la NRC. La California Public Utility Commission (CPUC, agence régulatrice des entreprises privées gérant les biens publics comme l’eau et l’électricité) est en charge de sa supervision en Californie, et avait autorisé SCE à créer et gérer le fonds durant les années de fonctionnement de San Onofre. L’argent qui l’alimente provient des consommateurs et est placé sur des actifs dédiés. Le coût de démantèlement des réacteurs 2 et 3 de San Onofre est estimé à 4,1 milliards de dollars (2,97 milliards d’euros). La part de SCE est de 3 milliards de dollars (2,17 milliards d’euros), dont 2,7 milliards avaient déjà été collectés le 31 mars dernier. Les autres exploitants de la centrale avaient collecté 927 millions de dollars (671 millions d’euros) fin 2012. SCE a maintenant deux ans pour faire parvenir à la NRC un plan présentant une stratégie détaillée des opérations de démantèlement, incluant le planning, les coûts, et les éventuels impacts sur l’environnement.
La participation du public est un aspect important du processus. Dans ce but, SCE a créé un « panel d’engagement de la communauté ». Lors de sa première réunion fin mars dernier, le panel s’est penché sur la façon optimale de planifier les opérations pour un démantèlement complet d’ici 15 à 20 ans, tandis que la NRC impose que celui-ci ne dépasse pas 60 ans.
Hausse des émissions de gaz à effet de serre et de la facture d’électricité : les conséquences de la fermeture de San Onofre
Avec la fermeture de San Onofre, la Californie perd 2,2 GW de production d’électricité bas-carbone. Un coup dur pour le Golden State qui s’était engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) (cf. l’Assembly Bill 32 entérinée par le gouverneur Schwarzenegger en 2006). Alors que ces émissions avaient baissé de façon continue de 2008 à 2011, le California Air Resources Board (CARB) qui mesure la qualité de l’air a annoncé une hausse de 35% des émissions provenant des centrales électriques de l’Etat en 2012. Une augmentation « principalement due à la hausse des émissions provenant de centrales au gaz naturel » d’après le CARB, suite à la fermeture de San Onofre et à une croissance de 2,9% de la consommation d’électricité sur fond de reprise économique.
Autre problème de taille, outre les émissions de GES, la fermeture de la centrale a également eu un impact important sur les prix de l’électricité en Californie. Au premier semestre 2013, l’Agence d’Information sur l’Energie américaine annonçait ainsi une hausse des prix de 59% sur le marché de l’Etat, essentiellement attribuée à l’arrêt des deux réacteurs. Cet événement relance naturellement les débats sur l’avenir du mix énergétique californien. Selon une décision rendue par la CPUC au mois de mars dernier, Southern California Edison et San Diego Gas & Electric doivent développer 1,5 GW d’électricité supplémentaire d’ici à 2022 afin de pallier la fermeture de la centrale. Ceux-ci doivent inclure un minimum de 575 MW provenant de « sources privilégiées » non fossiles telles qu’énergies renouvelables, amélioration de l’efficacité énergétique, gestion de la demande et stockage d’énergie (au moins 25 MW pour SDG&E).
Bien qu’aucune technologie particulière ne soit imposée aux fournisseurs pour les 825 MW restants, ils ont l’obligation de choisir l’alternative la moins chère. Etant donné les prix historiquement bas du gaz naturel aux Etats-Unis, ce sont donc de nouvelles centrales à gaz qui seront construites par SCE et SDG&E. De quoi faire bondir à la fois associations écologistes et entrepreneurs de cleantech, qui auraient préféré que San Onofre soit uniquement remplacée par des sources privilégiées, tant pour des raisons de santé publique que d’émissions de GES. Certains suggèrent même que le solaire décentralisé associé à des technologies d’onduleurs hybrides pourraient assurer un fonctionnement du réseau plus efficace que des centrales traditionnelles. Une position que ne partage pas la CPUC, qui craint les risques accrus d’une pénétration massive de ces nouvelles technologies vertes pour la qualité et la fiabilité du réseau.
Le moratoire sur la construction de nouvelles centrales nucléaires en Californie aura empêché que les débats portent sur l’éventualité du remplacement de San Onofre par de nouveaux réacteurs. Une solution qui aurait pourtant eu le mérite d’aller dans le sens des engagements de l’Assembly Bill 32 sur les émissions de GES, tout en évitant les risques liés à la multiplication de sources intermittentes. Diablo Canyon reste ainsi la seule centrale nucléaire de l’Etat encore en opération.