L’art : vecteur puissant de la transmission de la mémoire - Sfen

L’art : vecteur puissant de la transmission de la mémoire

Publié le 31 août 2015 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Depuis plus de 20 ans, Cécile Massart, artiste plasticienne en gravure, photographie, infographie, vidéo, sculpture, installations, et création de livres, consacre son œuvre à la recherche d’un mode de transmission de la mémoire des sites de déchets radioactifs. Loin d’un travail d’inquisiteur antinucléaire, Cécile signe un travail complémentaire aux solutions scientifiques et techniques de la filière nucléaire.

C’est en 1992, « en regardant un reportage sur TF1 », que Cécile Massart découvre la problématique de l’identification des déchets radioactifs. « Je découvrais un univers inconnu qui me parlait, car on introduisait dans la notion d’identification des déchets quelque chose de beau. » À l’époque, l’Andra [1] imaginait utiliser des palettes graphiques pour identifier les déchets.

L’artiste belge entreprend alors de visiter les centres de stockage à travers le monde. « Pour rendre compte de la réalité ». Pendant quatre ans, l’accès aux sites français lui sera refusé. Méfiance ou ignorance : « Ils [l’Andra] imaginaient que le travail d’un artiste serait forcément à charge ». Qu’à cela ne tienne, l’ONDRAF et ENRESA, respectivement gestionnaire des déchets en Belgique et en Espagne, ouvrent leurs portes à Cécile. Aujourd’hui, elle apporte une contribution essentielle au travail de prospective de l’Andra sur la question de la mémoire.

Lutter contre le camouflage

À quelques kilomètres de Cordoue, l’Espagne construisait « El Cabril », le centre destiné à gérer les déchets de faible et moyenne activités du pays. En découvrant le site, Cécile s’émerveille face à « cette belle structure en béton ». Mais son enthousiasme est de courte durée lorsqu’on lui annonce que le projet vise à reconstituer la colline « pour que les générations futures ne voient surtout pas qu’il y avait eu un site de déchets radioactifs. J’ai trouvé cela scandaleux. Cela me rappelait l’époque où l’on larguait les déchets au large de Lisbonne ! » Choquée, Cécile décide de « lutter contre le camouflage pour révéler les lieux ».

Révéler les lieux

À l’inverse de l’archéologie – qui part du monument pour comprendre le passé –, en matière de déchets radioactifs, l’objectif est que les générations futures « ne fouillent pas le site. Il faut donc donner à voir à la surface ce qu’il y a dedans. Révéler le sarcophage » résume-t-elle.

Pour révéler ces lieux dans l’espace dans lequel ils se trouvent, Cécile a dans un premier temps travaillé sur les centres de stockage de déchets de moyenne activité (comme ceux exploités par l’Andra dans l’Aube). Elle a alors imaginé développer des sculptures qui permettent d’identifier les sites : « des marqueurs ».

En prenant le contre-pied du camouflage, Cécile propose à l’Andra de faire de ces lieux un espace ouvert au public. « Pour que les riverains visitent le lieu, se l’approprient et pourquoi pas en fassent un lieu qui soit le reflet de chaque génération. » Qu’importe que les installations soient « taguées » ou « vandalisées », il faut « faire de la gestion des déchets un débat ». « Nous sommes heureux d’utiliser l’électricité, nous devons donc aussi assumer les déchets qu’elle génère. Ce sont nos déchets. Parlons-en ! »

Bâtir une mémoire « collective »

En visitant Yucca Mountain (États-Unis), Cécile s’est rendue compte que les centres de stockage pour les déchets hautement radioactifs revêtaient une « autre dimension ». « Comment conserver la mémoire à des horizons de temps aussi lointains ? » s’interroge-t-elle.

Elle réalise rapidement que la solution ne sera pas technique mais émanera de la société avec l’apparition de nouveaux métiers notamment. Sur un site comme celui de Cigéo, Cécile imagine qu’il y aurait des « gardiens » – ingénieurs, philosophes, paysans, etc. – chargés de préserver la mémoire du lieu. « Ensemble, ils formeraient une structure immatérielle », « un groupe nouveau » au sein de la société. « Le problème, reconnaît-elle, quand on travaille sur l’avenir, c’est qu’on travaille sur des mots et des concepts qui n’existent pas encore. Les gardiens porteront certainement un autre nom ! »

Les monuments de la « civilisation nucléaire »

Cécile voit dans les centres de stockage autre chose qu’un bloc de béton, qu’une structure industrielle enfouie, elle voit « des monuments ». Chaque civilisation a voulu laisser (ou a laissé) une empreinte dans l’histoire de l’humanité. Souvent, les monuments ont joué ce rôle. Pour Cécile, Cigéo sera le monument d’argile de la « civilisation nucléaire », le monument, invisible, « de ces hommes et ces femmes qui utilisaient l’atome pour vivre ». Ainsi, comme leurs cousines égyptiennes, les pyramides, les centres de stockage perdureront dans la mémoire de l’humanité. 

 


Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra)

Par la Rédaction