AREVA Med : la première phase d’essais cliniques s’achèvera bientôt
La radio-immunothérapie, ça ne vous dit rien ? C’est parce que vous n’avez pas encore lu l’interview de Patrick Bourdet, PDG d’AREVA Med et la formidable histoire de cette entreprise rédigée par Ismail Himdi et Sophie Missirian.
Qu’est-ce que la société AREVA Med et comment a-t-elle été fondée ?
Patrick Bourdet : AREVA Med est la filiale médicale du groupe AREVA. Elle concentre ses efforts sur le développement et l’industrialisation des productions de plomb 212 et sur la création de traitements anticancéreux puissants et ciblés qui utilisent les caractéristiques particulières de cet isotope rare.
En 2005, à partir d’idées d’un petit groupe de techniciens de La Hague, le projet d’extraire du plomb 212 grâce au recyclage du combustible usé a été présenté pour les « AREVA Sustainable Development Awards » et a fait partie des 6 projets sélectionnés sur 220. A l’origine, le projet s’appelait TAO (Thorium d’AREVA pour l’Oncologie). En 2009, après quelques années de recherche et développement, nous avons créé la société AREVA Med.
Quelles sont les spécialités d’AREVA Med ? Dans quels cas sont-elles utilisées ?
PB : AREVA Med se concentre sur l’industrialisation des productions de plomb-212 (212Pb) et la création de traitements dits de « radio-immunothérapie alpha » au 212Pb. Le plomb 212 est un radioélément rare qui décroît naturellement en bismuth 212 notamment puis devient un plomb 208 stable.
L’une des désintégrations émet une particule très énergétique appelée particule alpha. Cette particule, est un noyau d’hélium et son énergie vient simplement de sa vitesse. Combinée à sa masse, sa vitesse est assez forte pour endommager l’obstacle qu’elle peut rencontrer, et détruire par exemple une cellule du corps humain.
Chez les patients atteints du cancer, et avec l’aide de nos partenaires, nous développons des techniques permettant de mettre ce 212Pb au contact des cellules cancéreuses pour les détruire, tout en épargnant largement les cellules saines. Pour cela, nos traitements utilisent un vecteur-transporteur (médicalement, un « anticorps ») capable de reconnaître les cellules malades grâce à leurs caractéristiques chimiques (leurs « antigènes »). Pour attacher le plomb 212 à son vecteur-transporteur, nous utilisons de petites pinces moléculaires appelés « chélatants ».
Actuellement en cours de développement, ces traitements au 212Pb sont utilisés en essais cliniques aux Etats-Unis pour combattre certains cancers particulièrement agressifs, tels les cancers des ovaires notamment.
Quel est votre parcours et comment devient-on PDG d’une telle société ?
PB : J’ai véritablement débuté mon parcours professionnel en tant que mécanicien d’essais au département propulsion nucléaire du CEA à Cherbourg. En 1988, j’ai rejoint AREVA (COGEMA alors) à l’usine de retraitement de La Hague où j’ai acquis une solide expérience très opérationnelle de l’exploitation d’installations nucléaires. J’ai ensuite été muté à Vélizy, à la direction commerciale d’AREVA NC, puis je fus nommé chef du projet TAO à sa création en 2006. TAO est devenu AREVA Med, et je fus nommé PDG à la création de la société en 2009.
Que représente AREVA Med aujourd’hui (métiers, collaborateurs, localisation géographique…) ?
PB : AREVA Med est une filiale à 100% d’AREVA et nous avons une filiale à 100% aux USA (Texas), Macrocyclics, le leader mondial de la production des chélatants et ligands pour la médecine nucléaire. Nous employons notamment des docteurs en biologie moléculaire, en chimie, des ingénieurs et techniciens, et nous nous appuyons sur tout un ensemble de compétences historiques du groupe AREVA, communes aux domaines de l’énergie et de la médecine nucléaire. Au sein du groupe AREVA, plus d’une cinquantaine d’emplois sont directement induits par les activités d’AREVA Med qui comptent 25 employés. Nous sommes également soutenus par de nombreuses fonctions support, dans de nombreuses entités et filiales du groupe AREVA.
Les activités et les employés sont répartis entre le siège parisien d’AREVA et le site de production du plomb 212 dans le laboratoire Maurice Tubiana de Bessines, dans le Limousin, notre laboratoire de recherche (ARCoLab) à Razès, près de Bessines, le site de production de chélatants pour la médecine nucléaire au Texas, et un bureau dans le Maryland, près de l’institut national du cancer américain.
Pouvez-nous nous parler des contraintes liées au nucléaire dans le milieu médical ?
PB : Les contraintes pour AREVA Med sont celles de toute entreprise produisant des radio- pharmaceutiques. Nous cumulons donc les contraintes réglementaires liées aux activités nucléaires et celles inhérentes aux activités médicales. Assez logiquement les obligations relatives à la qualité de nos productions vont au-delà de celles que nous connaissons dans l’industrie nucléaire..
A titre anecdotique, le dossier transmis à la Food and Drug Administration pour obtenir l’accord de débuter les essais cliniques sur les patients aux Etats-Unis, pesait plus de 35kg !
Comment AREVA Med produit-elle son Plomb-212 ?
PB : Avec ses partenaires internes, AREVA Med a initialement développé et breveté des procédés innovants d’extraction du plomb à partir du nitrate d’uranyle, une substance chimique issue du retraitement des combustibles nucléaires à La Hague. Nous avons aussi développé des procédés innovants permettant d’extraire notre plomb de gisement de sels naturels de thorium provenant d’anciennes activités minières du groupe AREVA. C’est cette seconde option qui est mise en œuvre dans le laboratoire Maurice Tubiana.
Par des changements d’échelle successifs, nous avons progressivement créé les outils nécessaires à la production des quelques nanogrammes (un nanogramme = un milliardième de gramme) de plomb 212 dont nous avons besoin pour traiter nos patients.
Quels sont les projets en cours et prochains grands événements pour AREVA Med ?
PB : Au quotidien, AREVA Med couvre tout un ensemble d’activités allant de la production du plomb 212, à la préparation et à l’administration des traitements aux patients dans la cadre d’essais cliniques débutés aux Etats-Unis en 2012. Nous allons poursuivre ces activités fondamentales dans les prochaines années, et conclure notre première phase d’essais cliniques sur certains cancers de la cavité abdominale mi-2014.
A court et moyen terme, en parallèle de l’accroissement des productions de plomb 212 dans notre laboratoire Maurice Tubiana, nous allons ouvrir de nouveaux sites cliniques pour préparer les prochaines étapes de développement de nos médicaments. Nous poursuivrons aussi nos collaborations avec nos partenaires académiques et industriels tant en France qu’aux USA (Inserm, National Cancer Institute américain, Laboratoire Roche…). En fonction des résultats des programmes scientifiques en cours, nous élargirons le nombre des essais cliniques, et commençons déjà à réfléchir au design d’une nouvelle unité de production de plomb 212 de grande capacité qui serait construite à Caen si les promesses thérapeutiques sont tenues.
Y a-t-il des interactions entre AREVA Med et les autres activités d’AREVA ?
PB : Les interactions entre AREVA Med et d’autres filiales du groupe sont très nombreuses. Elles sont notamment très régulières avec les équipes d’ingénierie E&P, avec AREVA TA (Technicatome) et avec Transnucléaire (TNi), la branche logistique du groupe AREVA. Les équipes de Canberra, l’un des leaders des mesures nucléaires, nous aident aussi, de même que de nombreuses personnes des fonctions support. L’intelligence collective des personnels du groupe AREVA est le meilleur atout d’AREVA Med.
Quelle est la place des jeunes dans l’industrie nucléaire médicale ?
PB : Il m’est difficile de répondre à cette question dans le contexte actuel mais, avec l’arrivée à maturité de nouvelles technologies numériques, biotechnologiques, biomédicales ou dans les sciences du nucléaire, l’industrie nucléaire médicale entre dans un cycle très dynamique, malgré les défis importants restant encore à relever. Dans les domaines d’activités passionnants que sont la médecine nucléaire et l’industrie radio-pharmaceutique, et dans ce contexte dynamique, nul doute que les jeunes joueront un rôle déterminant dans le développement de nouvelles technologies et thérapies au service des patients.
Un dernier mot sur les valeurs d’AREVA Med ?
PB : L’humilité, la simplicité et la détermination sont des valeurs essentielles pour nous. Comment pourrait-il en être autrement tant les sujets sur lesquels AREVA Med agit sont multiples, complexes, exigeants. Nous nous efforçons donc de faire simplement les choses et de trouver ensemble des solutions aux multiples problèmes que nous rencontrons. Le sujet sur lequel nous travaillons est évidemment mobilisateur, parfois difficile aussi au plan humain, alors nous nous efforçons aussi de conserver vivante la notion de plaisir, essentielle elle aussi pour avancer le plus vite possible.