Allemagne : l’avenir de l’Energiewende dans l’accord de coalition du nouveau gouvernement
Environ trois mois après les élections en Allemagne, l´accord de coalition entre les partis CDU/CSU (Parti démocrate-chrétien allemand/Parti social-chrétien en Bavière) et SPD (Parti social-démocrate allemand) a été signé le 16 décembre 2013. Il contient 185 pages, le chapitre 1.4 en consacre 13 au « Tournant Energétique », l’Energiewende.
En dehors de la mise en place des corridors contraignants de développement des EnR le chapitre répète largement des objectifs déjà fixés (par exemple: les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de la consommation d´énergie) et se limite souvent à des déclarations d’intentions. Toutefois une réforme profonde des subventions des EnR est annoncée pour le printemps 2014.
La suite du Tournant Energétique en Allemagne sera grandement influencée par les acteurs gouvernementaux. Les deux portefeuilles concernés ont été confiés au SPD : Sigmar Gabriel, Ministre de l’Economie maintenant aussi responsable pour l’Energie et Barbara Hendricks, la Ministre à l’Environnement. M. Gabriel a évoqué Rainer Baake pour le poste de Secrétaire d´Etat pour l´énergie, militant Vert déjà connu comme un acteur important de la sortie progressive du nucléaire sous le chancelier Gerhard Schröder (SPD) au début des années 2000.
La sortie du nucléaire confirmée avec un renforcement des charges financières
La sortie accélérée du nucléaire d´ici 2022 est maintenue, néanmoins l’Allemagne veut « participer activement en Europe à l’amélioration de la sûreté des centrales ». Le gouvernement attend de plus que les exploitants de centrales nucléaires assument financièrement la sûreté de l’exploitation et post-exploitation des réacteurs, leur démantèlement ainsi qu’un traitement social des employés.
L´accord de coalition prévoit aussi que les exploitants payent la facture pour la nouvelle recherche d’un site de stockage final des déchets hautement radioactifs. Pour mémoire, le dôme de sel de Gorleben reste certes une option mais n’est plus le site de référence. Coûts estimés d´une nouvelle sélection de site : 2 milliards d’euro, en sus des frais d´exploration de Gorleben de 1,6 milliards d’euros déjà payés. Cela sans prévoir d’allègement de taxes comme celle sur le combustible nucléaire, décidée en 2010 et qui pèse lourd sur les coûts de production des centrales nucléaires.
Renouvelables : vers une réforme des subventions ?
Il est prévu de fixer par la loi la part des EnR dans la consommation brute d´électricité dans un corridor de 40 à 45 % d´ici 2025 (leur part dans la consommation brute d´électricité en 2013 était d’environ 25 %) et de 55 à 60 % d´ici 2035. Entre autres les objectifs en matière d’éolien offshore sont revus à la baisse (6,5 GW d’ici à 2020 contre 10 GW auparavant).
L’évolution des EnR fera l’objet d’un contrôle annuel (monitoring), notamment sur l’aspect économique. Sur la base de ces corridors, le gouvernement souhaite atteindre avec les Länders une planification synchronisée pour le développement des énergies renouvelables. Jusqu´à présent de nombreuses mesures étaient visiblement divergentes et le développement des EnR plutôt incontrôlé.
La coalition a reconnu le problème des hausses de prix. Le prix de l’électricité pour les ménages et l´industrie a fortement augmenté ces dernières années : les ménages allemands payent le double du prix payé par les ménages en France. La cause majeure de l´augmentation est la surcharge EnR. De plus les exploitants du réseau comme TSO ont annoncé en octobre 2013 que la surcharge passerait à 62,4 euros par MWh pour 2014, soit 10 euros de plus qu’en 2013. Un ménage allemand payera donc environ 4 fois plus pour les subventions aux EnR qu´un ménage français.
L´accord de coalition prévoit donc de repenser d’ici avril 2014 tout le système de soutien aux renouvelables (reforme EEG). Les droits acquis des installations existantes ainsi que la priorité des EnR dans le réseau sont maintenus. Certains mécanismes de compensation seront révisés. Pour les installations nouvelles on souhaite réduire, pour certaines technologies, le tarif garanti de rachat (par exemple pour l´éolien terrestre notamment pour les sites performants). De plus un projet-pilote prévoira le recours à l´appel d´offre pour déterminer le niveau des subventions aux nouvelles installations. Mise en œuvre prévue après les prochaines élections de 2018.
Les dégrèvements accordés à des industries grandes consommatrices d’énergie seront maintenus (compétitivité des industries concernées). Mais la Commission européenne ayant ouvert une enquête au chef d’ « aides illégales d’État », le programme prévoit un réexamen de la répartition inégale de la surcharge ENR pour une meilleure conformité européenne. Affaire à suivre.
La sécurisation du réseau, un projet flou
L´importance du développement des réseaux THT et du réseau de distribution (les installations d´EnR alimentent prioritairement le réseau de distribution) est à nouveau soulignée. Il s’agit notamment de relier les capacités éoliennes du Nord aux besoins de consommation du Sud. Or, sur les 1 834 km de nouvelles lignes-doubles THT décidés par la loi sur le Développement des Réseaux en 2009 seuls 320 Km sont réalisés. Le planning initial prévoyait qu´une grande partie des projets serait achevée 2015. Une cause majeure étant la résistance des riverains aux nouvelles constructions, on espère surmonter cette difficulté par la possibilité d´une participation financière attractive des riverains au développement du réseau.
Afin d’améliorer la stabilité du réseau l’électricité renouvelable devra être produite en meilleure adéquation aux besoins. Un point nouveau est l’obligation faite aux installations nouvelles de participer au réglage de puissance dans l’intérêt de la stabilité du réseau. L’excédent de production d’EnR pourrait – dans la mesure où cela réduirait les coûts de développement du réseau et éviterait des prix négatifs sur la bourse – être restreint sans application du tarif garanti de rachat, dans la limite de 5 % de la production annuelle.
De plus la dégression des subventions encouragera les producteurs commercialisant directement leur énergie renouvelable sans passer par les exploitants réseaux. Pour les nouvelles installations EnR supérieures à 5 MW la commercialisation directe de l´électricité produite deviendra obligatoire et sera élargie à toutes les nouvelles installations d’ici 2017. NB : jusqu´à maintenant les exploitants réseaux achètent le courant aux producteurs EnR à des prix garantis sur 20 ans. Les exploitants du réseau revendent ce courant sur le marché de gros au prix du marché. La commercialisation directe – déjà décrite dans la loi sur les énergies renouvelables de 2012 – ouvre aux producteurs d’ EnR en outre la possibilité avec relativement peu de risque grâce aux primes pour la commercialisation directe de gagner, dans certaines configurations, plus qu´avec le tarif d´achat garanti.
Le gouvernement examinera l’éventualité d’une obligation pour les « grands producteurs » d’ EnR de contribuer à la sécurité du réseau en garantissant, sous leur propre responsabilité, la charge de base de manière permanente à proportion de leur puissance maximale. Sous forme par exemple de contrats avec des exploitants d’accumulateurs de courant, des fournisseurs d‘ ENR réglables (biomasse, hydroélectrique), des centrales fossiles ou des entreprises acceptant un délestage. Un projet-pilote est prévu.
La poursuite de l’expansion des énergies renouvelables exige d’importantes capacités de réaction rapide pour compenser les variations météorologiques. Les centrales conventionnelles doivent dans l’avenir neutraliser les variations et garantir la qualité du réseau, ceci avec une totale flexibilité. En affirmant que « les centrales conventionnelles [au charbon et au gaz] sont indispensables pour le moment », le gouvernement veut éviter que les opérateurs ne ferment leurs centrales fossiles, ce que les producteurs de gaz ont commencé à faire, pour cause de rentabilité insuffisante provoquée par la croissance des EnR.
L´accord de coalition constate le besoin d´un mécanisme assurant le maintien des capacités nécessaires des centrales conventionnelles sur le marché. Mais le programme ne contient pas de solutions concrètes, d’application ou de calendrier. L’Agence des réseaux (Bundesnetzagentur) est chargée d’examiner la situation. Malgré l’augmentation depuis 2012 des émissions de CO2 dues au remplacement du nucléaire notamment par le charbon et la lignite dans la production d’électricité, les objectifs de réduction des émissions de GES restent inchangés et doivent diminuer d’au moins 40 % d´ici 2020 par rapport à 1990. NB: l´accord de coalition est muet sur la capture et le stockage du CO2.
Pour l´instant ce programme – qui reprend largement les précédents projets et objectifs – ne satisfait véritablement aucun acteur du marché. Les producteurs d’EnR craignent pour l’avenir de leur branche, les industriels gros consommateurs d’énergie pour leur régime de faveur, les exploitants des centrales conventionnelles pour leur rentabilité déjà insuffisante, les consommateurs pour des prix qui s’emballent. Concernant la réforme de la surcharge EnR, il faudra attendre le printemps 2014 pour plus de détails mais compte tenu du maintien des droits acquis pour les installations existantes et du coût déjà très élevé de la surcharge EnR, le contrat de coalition ne dessine pas vraiment de chemin pour sortir de la spirale de hausse des coûts.
Intéressant : selon le programme de coalition on souhaite maintenant chercher le dialogue non seulement avec les acteurs en Allemagne (création d´un « Forum Tournant Energétique ») mais aussi une concertation au niveau européen notamment sur la réduction des gaz à effets de serre, le développement du réseau transfrontalier et une meilleure intégration des EnR dans le cadre européen. Cet accord de coalition n´est pas une loi mais un programme : sa mise en œuvre sera donc largement tributaire de la réalité voire du réalisme politique mais aussi des ministres responsables…