« Nous avons actuellement 6 000 projets en cours d’exécution », Philippe Samama - Sfen

« Nous avons actuellement 6 000 projets en cours d’exécution », Philippe Samama

Publié le 17 février 2013 - Mis à jour le 28 septembre 2021

Philippe Samama, Directeur de la Business Unit Base Installée du Groupe AREVA, a été interviewé par Emmanuel Senard et Guillaume Chaud.  

SFEN Jeune Génération : pourriez vous nous présenter votre parcours professionnel et les raisons/circonstances qui vous ont conduit à travailler chez AREVA ?

Philippe Samama : avant de rejoindre le Groupe AREVA, j’ai occupé divers postes de direction chez Saint-Gobain et Valeo, puis j’ai été nommé Président-Directeur Général de la filiale ECL de Péchiney/Alcan. Je suis ensuite entré chez AREVA T&D en tant que Vice-Président de la Ligne de Produit Service d’AREVA T&D où j’ai supervisé les activités d’installation, de maintenance, de réparation et de modernisation d’équipements électriques de haute et moyenne tension. Depuis mai 2010, je dirige la business unit Base Installée au sein du Business Group Réacteurs & Services, qui regroupe notamment les activités autour des réacteurs en opération.

 Le fil rouge qui guide l’ensemble de mon parcours professionnel, c’est un goût prononcé pour l’industrie et la gestion des hommes. J’ai aussi développé au fil du temps une certaine attirance pour les métiers de services.  

Pourriez-vous nous présenter la mission et les principales activités de la business unit Base Installée ?

PS : Combien de collaborateurs travaillent au sein de la BU et comment est-elle organisée (localisation des sites,…) ? La BU Base Installée s’est donnée trois orientations principales : • Accroître la performance et le niveau de sécurité des centrales nucléaires (maintenance, modernisation des installations), • Accroître et optimiser leur durée d’exploitation, • Réduire les coûts d’opérations et de maintenance. 4 700 collaborateurs travaillent au sein de la business unit et sont répartis sur 3 pays principalement (France, Allemagne et États-Unis) mais également sur une vingtaine de sites à travers 9 pays dans le monde (Espagne, Suède, Afrique du sud, Brésil, Chine…).

 Nous proposons une gamme complète de services et de solutions pour les réacteurs en exploitation et gérons à la fois des activités dites récurrentes, à savoir :

• Les services d’ingénierie (études de sûreté…),

• La maintenance et arrêts de tranche,

• Les examens et contrôles non destructifs,

Et également des activités que nous gérons en mode projet :

• La réparation et remplacements de gros composants (ex : générateurs de vapeur),

• L’amélioration des installations,

• La Modernisation des installations de contrôle-commande (I&C) et des systèmes électriques.

La BU Base Installée propose des produits et des services aux différents exploitants nucléaires dans le monde. Quels sont les principaux éléments à retenir pour la BU Base Installée en termes d’offres ou de projets en cours ? Quels sont les projets actuels emblématiques de la BU ?

PS : La business unit Base Installée possède de réelles compétences en matière de gestion de projets, nécessaires car toutes nos prestations sont gérées en mode projet. Pour donner un ordre de grandeur, nous avons actuellement 6 000 projets en cours d’exécution. Leur très grande variété – de quelques dizaines de milliers d’euros pour des études de sûreté de base jusqu’à près d’un milliard d’euros pour certains projets d’achèvement de centrale par exemple – impose un niveau de flexibilité et d’expertise dans nos équipes pour être en mesure de fournir des solutions intégrées, innovantes et adaptées aux attentes de nos clients. A titre d’exemple, on peut citer : l’augmentation de puissance de la centrale de Ringhals en Suède par le remplacement de deux générateurs de vapeur et du pressuriseur ; l’extension de la durée de vie des centrales EDF en France avec le remplacement des générateurs de vapeur, tel que celui en cours à la centrale de Chinon 2 ; la modernisation des installations de contrôle-commande sur le parc 1300 MW d’EDF, la première installation d’un contrôle-commande numérique de sûreté aux États-Unis : autant de projets significatifs qui démontrent l’étendue des compétences techniques et commerciales de la business unit.  

Quels sont vos principaux clients ? EDF en France, à l’international ? Existe-t-il des accords de partenariat avec d’autres acteurs du nucléaire sur certains marchés ?

PS : EDF est notre plus gros client, mais nous réalisons la majorité de notre chiffre d’affaires à l’international. Nous contribuons à l’objectif d’AREVA de développer et proposer des solutions intégrées aux clients opérateurs de centrales dans toutes les technologies : Réacteur à Eau Pressurisée (REP), Réacteur à Eau Bouillante (REB), CANDU, VVER, … . AREVA a ainsi travaillé sur plus de 360 réacteurs dans le monde sur les 440 existants. Aux États-Unis, AREVA a développé un système de partenariat (Alliances) avec de nombreux exploitants. Ce business model y est très répandu et permet de définir un partenariat privilégié. Dans ce schéma, nos équipes sont davantage fidélisées et familières d’un site particulier, ce qui renforce la réactivité et l’efficacité de nos interventions. Le lien direct et permanent ainsi noué nous permet d’apporter les solutions les plus adaptées et les plus pertinentes.

Les accords de partenariat peuvent porter sur des services d’ingénierie, des services liés aux arrêts de tranche ou de modernisation des installations.  En matière de partenariat industriel, la business unit Base Installée a noué en France des partenariats industriels renforcés avec des entreprises comme SPIE, ORYS, Eifel ou Kaefer Wanner.  

La Chine semble être une des clefs du développement du nucléaire dans les prochaines années, en tout cas en matière de nouvelles constructions. Ce raisonnement est-il vrai pour le marché de la base installée ? Quelle est la stratégie de la business unit Base Installée vis-à-vis de ce marché essentiel ?

PS : La Chine possède une flotte de réacteurs relativement jeune, l’âge moyen étant de 8 ans. En 2020, seulement 10 réacteurs auront connu plus de 10 années d’exploitation. La Chine est donc un marché porteur en matière de services à moyen terme. Il est néanmoins important pour le Groupe AREVA et la BU Base Installée de se positionner dès maintenant sur ce marché stratégique. Nous proposons ainsi dans le cadre de notre programme Safety Alliance des solutions permettant aux électriciens chinois d’améliorer la sûreté de leurs installations, à l’image des diesels de secours que nous allons installer prochainement dans la centrale de Tianwan. Enfin, le développement d’alliances stratégiques et industrielles avec des acteurs locaux est indispensable pour pénétrer cet immense marché et proposer des solutions collant aux besoins de nos clients.  

Quelles sont les principales actions et solutions techniques post-Fukushima mises en place et proposées par la BU Base Installée, au travers du programme Safety Alliance, pour faire encore progresser la sûreté de la base installée, ie les réacteurs de 2ème génération ?

PS : Nos solutions d’amélioration de la Sûreté s’articulent sur trois axes : résistance aux risques externes, fiabilité de la chaîne de refroidissement et prévention des conséquences sur l’environnement. Sur ce dernier point, la protection de l’environnement, du personnel sur site et des populations environnantes est une priorité absolue, renforcée à la suite des évènements liés à Fukushima. Parmi ces solutions, citons notamment les études d’ingénierie sur les risques sismiques et inondations, les formations et procédures de conduite post-accidentelle en cas d’accident grave, le développement et l’installation des produits techniques tels que les systèmes d’éventage de l’enceinte de confinement ou les recombineurs d’hydrogène auto-catalytiques passifs, le déploiement de diesels ultimes de secours supplémentaires…  

AREVA maîtrise historiquement les designs de type REP. Quelle est actuellement la stratégie d’AREVA, et en particulier de la BU Base Installée, en ce qui concerne le développement (Innovation, R&D, part de marché visée …) des autres types de réacteurs (REB, CANDU, VVER) et des compétences associées ?

PS : C’est vrai qu’historiquement, nous avons mis l’accent sur la technologie REP, mais notre stratégie est aujourd’hui d’offrir également des solutions et des services sur les autres technologies : REB, CANDU, VVER. Ainsi, nous avons installé des systèmes de contrôle-commande en Chine sur des réacteurs de technologie VVER, ou encore des systèmes d’éventage de l’enceinte de confinement sur la centrale de Cernadova en Roumanie, de technologie CANDU. Ce dernier projet illustre notre capacité à mobiliser des équipes internes : la fourniture et l’installation ont été prises en charge par nos équipes allemandes alors que la gestion de projet a été exécutée par une équipe canadienne. Cette diversification est un axe de développement majeur, l’objectif in fine étant d’intervenir sur la majorité des réacteurs en exploitation dans le monde.  

A quel stade de la réflexion se trouve le groupe AREVA en ce qui concerne le développement de nouveaux projets (Nouvelles Constructions, KERENA, ASTRID) ?

PS : Le développement du nucléaire est par nature un projet stratégique pour chaque pays concerné et fonction de sa politique énergétique. Un pays qui souhaite développer l’énergie nucléaire civil doit composer avec ses propres contraintes en termes de demande énergétique, d’aménagement du territoire, de qualité des infrastructures, de dimensionnement des réseaux électriques, de compétences industrielles, etc… AREVA doit donc adapter son portefeuille de produits pour répondre aux besoins spécifiques des clients. Nous estimons ainsi que le développement d’autres réacteurs que l’EPR™ aux travers des designs ATMEA1, KERENA et de Génération IV est essentiel pour répondre aux attentes diverses du marché. Sur la génération IV, nous continuons d’investir, car nous nous refusons de laisser le leadership sur ce sujet à la Chine, la Russie ou à l’Inde. C’est le projet ASTRID.  

Un dernier mot pour la jeune génération intéressée par une carrière dans le nucléaire ?

PS : Vu d’Europe, l’avenir du nucléaire peut paraître un petit peu chahuté, mais c’est une vision locale. Dans d’autres régions du monde, le nucléaire aura vocation à se développer de façon très active : par exemple, en 2025, 60% des nouvelles constructions se feront en Asie. En Europe même, certains pays ont lancé des programmes de construction de nouvelles centrales (Royaume-Uni, Finlande, France, Suède, …). Tout ceci offre de magnifiques opportunités aux ingénieurs français pour participer au développement du modèle énergétique équilibré de demain. Après l’émotion naturelle compréhensible suscitée par l’évènement à Fukushima, mais qui tend à s’amenuiser, l’opinion publique revient à des considérations plus rationnelles et pragmatiques quand elle considère la place du nucléaire dans le mix énergétique.

La question des émissions de gaz à effet de serre reviendra nécessairement de façon prépondérante sur le devant de la scène et le nucléaire ressortira alors comme une composante indispensable d’un mix énergétique équilibré et acceptée comme tel. Ainsi, le nucléaire reste promis à un bel avenir et l’industrie française qui abrite de très nombreuses compétences dans ce domaine doit continuer à y tenir sa place.

Par Emmanuel Senard et Guillaume Chaud