3 réacteurs à l’arrêt. Le black-out est-il possible en Belgique ? - Sfen

3 réacteurs à l’arrêt. Le black-out est-il possible en Belgique ?

Publié le 8 février 2014 - Mis à jour le 28 septembre 2021

Marielle Rogie, Directrice générale et porte-parole du Forum Nucléaire Belge, décrypte la situation en Belgique, suite à l’arrêt prolongé des réacteurs de Tihange 2 et Doel 3.

 

Pour quelles raisons les réacteurs de Tihange 2 et Doel 3 ont-ils été mis à l’arrêt ?

Marielle Rogie – Le 25 mars dernier, l’opérateur Electrabel a décidé d’anticiper les arrêts de maintenance programmés des réacteurs Doel 3 et Tihange 2, fournissant à eux seuls 15 à 20% de l’électricité en Belgique. En cause : la découverte de résultats non conformes aux attentes lors des tests de ténacité menés sur un matériau similaire irradié au Centre d’Etude de l’Energie Nucléaire de Mol (SCK•CEN, le centre d’études nucléaire belge). La ténacité est le critère définissant la capacité d’un matériau à résister à la propagation d’une fissure. L’expérience menée dans le réacteur de recherche à Mol, à savoir l’irradiation pendant 1 mois, correspondant à 40 années d’exposition aux flux de neutrons dans un réacteur normal, a permis de mesurer un certain nombre de propriétés mécaniques.

Ces tests ont livré des résultats tout à fait cohérents pour les paramètres de résistance à la traction (capacité d’un matériau à se déformer) et à la déchirure ductile (capacité du matériau à résister à la propagation stable de fissure). Par contre, pour le paramètre de la ténacité dans la transition, les résultats sont au-dessus des prédictions théoriques. Les résultats de ces tests sont attendus pour l’automne. L’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire belge doit ensuite se prononcer.

 

Le redémarrage, quelques mois auparavant, a-t-il été dès lors trop rapide ?

MR – Est-ce que cela signifie qu’on a redémarré Doel 3 et Tihange 2 trop tôt ? Non.

Le feu vert donné par l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire belge en mai 2013 se basait sur un dossier de sûreté extrêmement solide, qui avait été examiné de manière approfondie par un panel d’experts, nationaux et internationaux.

Est-ce que cela signifie que les citoyens courent un risque ? Ici aussi, la réponse est non.

Depuis leur redémarrage, l’exploitation des deux réacteurs s’est déroulée sans le moindre incident susceptible de mettre en danger la population. En réalité, la décision de mettre à l’arrêt Doel 3 et Tihange 2 souligne une nouvelle fois la culture de sûreté nucléaire absolue qui prévaut en Belgique. Doel 3 et Tihange 2 ne seront d’ailleurs pas redémarrés tant que des tests additionnels n’auront pas permis de lever l’ensemble des points d’interrogation.

 

Les mécanismes de contrôle sont-ils fiables en Belgique ?

MR – Du point de vue des citoyens, il n’y a aucune raison que la décision d’Electrabel inspire de nouvelles craintes par rapport à l’énergie nucléaire. Au contraire : elle constitue un signal extrêmement rassurant par rapport à la bonne marche du secteur. La mise à l’arrêt de Doel 3 et Tihange 2, dans l’attente de résultats de tests additionnels, fournit la preuve que la sûreté demeure, plus que jamais, la priorité numéro un de tous les acteurs du secteur nucléaire en Belgique. Le savoir-faire du secteur nucléaire belge est d’ailleurs reconnu bien au-delà de nos frontières, puisque notre pays a acquis au fil des ans une position unique et de pointe en matière de technologie nucléaire.

 

Et que s’est-il passé à Doel 4 ?

MR – Pour rappel, le mardi 5 août dernier, la centrale Doel 4 a été mise à l’arrêt automatiquement suivant les procédures de sécurité, suite à une forte perte d’huile de la turbine à vapeur dans la partie non-nucléaire de la centrale. L’origine de la situation s’avèrerait être un sabotage intentionnel. L’opérateur Electrabel a entamé un examen approfondi des dégâts causés à la turbine à vapeur de Doel 4. Après ouverture du corps haute-pression du turbogénérateur, les premiers résultats disponibles aujourd’hui indiquent des dégâts importants au niveau de la turbine de haute pression. Sur la base de cette analyse partielle, il apparaît que l’unité Doel 4 ne serait pas disponible avant décembre 2014.

 

Avec trois des sept réacteurs nucléaires à l’arrêt, y-a-t-il des risques pour la production d’électricité en Belgique ?

MR – La situation aujourd’hui en Belgique est délicate. La composition du parc de production est fortement influencée tant par le paquet Climat et Énergie, que par les décisions politiques nationales. Les objectifs 2020 ont été à la base de l’essor des énergies renouvelables, fortement stimulées par la mise en place de mécanismes de soutien. En raison de la part croissante de production issue de sources d’énergie renouvelable, les centrales traditionnelles au gaz comptent de moins en moins d’heures de fonctionnement et leur rentabilité est compromise. Conjugués à un vieillissement du parc de production existant, ces éléments conduisent aujourd’hui à la fermeture effective de plusieurs centrales au gaz et à l’annonce de nouvelles fermetures à venir.

Si l’on ajoute encore la sortie du nucléaire dont le calendrier a été fixé par le gouvernement belge, cette évolution pose un véritable défi en matière de sécurité d’approvisionnement, renforcé par les mises à l’arrêt imprévu des réacteurs nucléaires de Doel 3, Tihange 2 et Doel 4.

 

Quand peut-on parler de risque de pénurie ?

MR – La Belgique va être structurellement dépendante de ses importations pendant tout l’hiver.

Si une vague de froid survient sur une grande partie de l’Europe, le besoin en électricité va augmenter partout. La disponibilité de la production au-delà de nos frontières va diminuer.

La France a, par exemple, de grands besoins électriques et risque de ne plus être un pays exportateur de son énergie (principalement nucléaire). De plus, quand les températures sont très basses, il y a peu de vent et la production éolienne est donc également limitée. La production photovoltaïque est également limitée en hiver.

Quand la Belgique ne peut pas assurer ses besoins de consommation, on parle alors de pénurie.

 

 

Que va-t-on faire face à cette situation ?

MR – Le gestionnaire du réseau de transport, les gestionnaires de réseau de distribution et le centre de crise établissent un plan de pénurie et des mesures pour l’accompagner.

Des actions sont également entreprises vers les producteurs, pour qu’ils adaptent le planning d’entretien de leurs unités, de même que vers les gestionnaires de réseau frontaliers. L’action ultime pour éviter l’effondrement du réseau est le plan de délestage. Dans ce cadre, le gestionnaire du réseau de transport a, entre autres, remis aux instances publiques compétentes et aux gestionnaires de distribution une liste des postes haute tension qui seront délestés. Il appartient aux autorités compétentes et aux gestionnaires de réseaux de distribution d’informer les communes.

 

Que spécifie le plan de pénurie ?

MR – En cas de situation de pénurie, c’est aux autorités que revient la décision de limiter la consommation d’électricité. Le délestage (ou la coupure contrôlée de l’électricité dans une zone délimitée) est la solution utilisée en dernier recours. Des mesures de sensibilisations, potentiellement assorties de mesures d’interdiction, sont d’abord prises pour rétablir l’équilibre sur le réseau.

 

Pourquoi a-t-on recours au délestage ?

MR – Le délestage sélectif permet de réduire la consommation de manière drastique au moment critique (par exemple à la pointe de consommation hivernale, entre 18 h et 20 h), en privant d’électricité une partie des consommateurs. Ceci afin de maintenir sur le territoire belge l’équilibre production/consommation, face à une quantité d’électricité disponible trop faible pour couvrir l’ensemble des besoins.

Le but ultime ? Éviter un déséquilibre majeur qui conduirait à l’effondrement du réseau belge et européen (« black-out »).

 

Cette situation arrive au moment où les négociations politiques sont en cours pour former un nouveau gouvernement fédéral belge. Qu’en est-il de l’énergie nucléaire dans la future politique énergétique de la Belgique ?

MR – L’énergie nucléaire occupe une place très importante dans le mix énergétique de la Belgique. Elle offre, avec les énergies renouvelables, une solution aux défis climatiques et énergétiques de notre pays.

L’énergie nucléaire est en effet essentielle pour la stabilité du coût de production de l’électricité, la compétitivité, la sécurité d’approvisionnement et la réponse aux besoins en électricité décarbonée de la Belgique. Il faut savoir qu’une loi de sortie progressive du nucléaire a été votée en Belgique. Mais on voit pourtant, encore et toujours, le rôle important que joue le nucléaire au sein du mix énergétique belge.

 

Si le gouvernement voulait revenir sur cette loi et réexaminer la prolongation de durée d’exploitation des centrales nucléaires, que faudrait-il faire ?

MR – La décision de poursuivre l’exploitation des réacteurs nucléaires belges est principalement un choix politique. Au plan technique, toutes les pièces d’un réacteur peuvent en principe être remplacées. La plupart le sont d’ailleurs régulièrement, soit pour des raisons de sûreté, soit par suite d’exigences techniques.

Les réévaluations de la sûreté (« stress tests ») exécutées en Europe ont montré que les installations nucléaires belges peuvent faire face aux conditions extrêmes envisagées. La poursuite de l’exploitation des réacteurs est donc techniquement faisable moyennant différents aménagements et de nouveaux investissements de l’exploitant.

Il va de soi qu’une telle prolongation doit être soumise à l’approbation des autorités (Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire belge).

Publié par Isabelle Jouette (SFEN)