28 semaines plus tard, premières réponses sur le blackout ibérique
Le 28 avril 2025, le système électrique ibérique s’effondre. Cinq mois plus tard, le Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (Entsoe) publie un rapport factuel retraçant les étapes du blackout européen le plus important des 20 dernières années. Une partie des causes formelles ayant déclenché l’incident – déconnexion d’unité de production et de transformateurs – reste encore inexpliquée. Des informations plus précises sur ces points devraient être dévoilées dans un second rapport attendu au 1er trimestre 2026.
3 h 30 avant le blackout – Une matinée comme les autres
Comme les jours précédents, le lundi 28 avril s’annonce banal au niveau du réseau électrique espagnol. À partir de 9 heures, la production commence à grimper, portée par les capacités des parcs photovoltaïques. La puissance solaire disponible sur le réseau monte d’environ 13 GW à 9 heures pour se stabiliser entre 17 et 18 GW à partir de 10 h 15. Pour l’éolien, la capacité disponible varie entre 2,5 et 3,5 GW tout au long de la matinée. La demande électrique, elle, diminue progressivement d’environ 27 GW à 9 heures, à 25 GW en fin de matinée. La forte pénétration des ENR entraîne des prix négatifs dans la péninsule ibérique, débouchant sur une hausse des exportations vers la France dont la capacité passe d’un peu plus de 1 GW en début de matinée pour atteindre 4 à 5 GW à partir de 11 heures.
Ces conditions de marché entraînent une surtension sur les lignes espagnoles de 400 kV. D’abord contenues dans les seuils acceptables (de 390 à 420 kV), à partir de 10 h 30, plusieurs événements de surtensions significatifs apparaissent tout en restant en dessous de la limite critique haute de 435 kV.

30 à 14 minutes avant le blackout – Deux oscillations de fréquence
Dans la demi-heure précédant le black-out, le réseau électrique européen rencontre deux périodes de perturbation de la fréquence. Une première oscillation de 0,63 Hz a lieu entre 12 h 03 et 12 h 08. Elle est principalement localisée dans la péninsule ibérique. La seconde entre 12 h 19 et 12 h 22 est liée à des différences de fréquences entre les aires géographiques est, centre et ouest du réseau électrique européen. Son amplitude est d’environ 0,21 Hz. Dans son rapport, l’Entsoe souligne qu’une plus grande pénétration des moyens de production conventionnels aurait permis de stabiliser plus facilement la fréquence. En effet, le nucléaire, l’hydroélectrique et les centrales thermiques constituent des masses tournantes dont l’inertie permet de stabiliser le réseau. Un service que ne proposent pas les parcs PV et éoliens.
Pour amortir ces oscillations, les opérateurs des gestionnaires de réseau de transport espagnols, portugais et français prennent trois mesures principales : réduction des exportations d’électricité de l’Espagne vers la France, changement du mode de fonctionnement de la liaison courant continu entre les deux pays et couplage de lignes de transport internes dans le sud de l’Espagne. « Bien que ces mesures aient atténué les oscillations, leur nature a conduit à une augmentation de la tension dans le système électrique ibérique », souligne l’Entsoe.

1 minute 27 avant le blackout – Premier domino
Une perturbation de l’équilibre offre/demande sur le réseau espagnol démarre la séquence effective menant au blackout selon le rapport l’Entsoe. Sans raison apparente, en 57 secondes, le réseau de distribution enregistre une hausse nette de la charge de 317 MW alors qu’en parallèle 208 MW de production éolienne et solaire sont perdus. La raison de ces événements reste encore inconnue pour l’Entsoe : « Le groupe d’experts n’a pas encore déterminé si l’augmentation de la charge nette est due à la déconnexion de petits générateurs de moins de 1 MW (principalement des installations PV sur toits) ou à une augmentation réelle de charge. » Ce déséquilibre continue de renforcer les effets de surtension du réseau.
30 secondes avant le blackout – Début de la chaîne de défaillance
A 12 h 32 et 57 secondes, un transformateur évacuant l’énergie générée par plusieurs centrales solaires et éoliennes depuis une ligne 220 kV vers une ligne haute tension s’arrête. Situé près de Grenade, cet équipement se déconnecte du réseau pour se protéger d’une surtension. D’après le propriétaire, le côté 220 kV de l’équipement enregistre une tension de 242,9 kV au moment de la mise en sécurité. Du côté de la ligne 440 kV, la tension était de 417,9 kV, donc en-dessous des seuils d’alerte. Au moment de la déconnexion, la capacité injectée dans le réseau haute tension est de 355 MW et le transformateur consomme 165 MVAr (méga volt-ampère réactif). En condition de surtention, les transformateurs rendent des services réseaux en absorbant une partie de l’énergie réactive, ce qui permet de limiter le voltage des lignes haute tension. La perte de cet équipement entraîne donc une hausse de la tension du réseau et une baisse de la fréquence, observables dès la seconde suivante.
11 secondes avant le blackout – Réactions en chaîne
Si la fréquence se stabilise dans les secondes qui suivent la déconnexion du transformateur de Grenade, la tension continue pour sa part de grimper. À 12 h 33 et 16 secondes, un second transformateur, qui injecte 725 MW d’ENR, se déconnecte à Badajoz pour des raisons inconnues, provoquant une nouvelle fois la perte d’un équipement d’évacuation d’énergie réactive. A ce moment, le voltage du réseau haute tension espagnol dépasse par endroits la limite critique de 435 kV. Les mises en sécurité de transformateurs s’enchaînent en l’espace de quelques secondes, entraînant au global une perte de capacité dans le réseau d’environ 2,5 GW. Le réseau est incapable de s’adapter à ces pertes pour absorber l’énergie réactive. Les effets de surtension se propagent au Portugal.

7 secondes avant le blackout – Isolement et effondrement total du réseau
« À ce point, le contrôle du voltage est complètement perdu, avec des cascades de déconnexions entraînant une perte de synchronicité entre la péninsule ibérique et l’Europe continentale », souligne l’Entsoe. Les réseaux espagnol et portugais subissent une forte baisse de fréquence à cause des déconnexions en cascade. Le plan de contre-mesures des GRT ibériques est impuissant et n’arrive pas à contenir l’effondrement du réseau. A 12 h 33 et 21 secondes, l’interconnexion avec le Maroc s’arrête à cause de la baisse de fréquence. Deux secondes plus tard, les lignes à courant alternatif reliant l’Espagne et la France tombent aussi. A 12 h 33 et 24 secondes, la séparation du réseau électrique ibérique est complétée par l’arrêt de la ligne à courant continu vers la France.

12 h 33 et 27 secondes – Blackout
Les près de 60 millions d’habitants de la péninsule ibérique sont privés d’électricité. Les réseaux du Portugal et de l’Espagne sont complètement à l’arrêt. Le processus de restauration s’achèvera respectivement à 00h22 et 4h00, aidé par les interconnexions françaises et marocaines. Côté français, les impacts du blackout se concentrent dans le sud-ouest de l’Hexagone. Une quinzaine d’industriels subissent des interruptions partielles ou totales de leur activité pour protéger leurs équipements. Du côté de la production énergétique, la centrale nucléaire de Golfech et une vingtaine d’autres installations de production sont placées à l’arrêt. « Les coupures de consommation ont été déclenchées automatiquement pour protéger le réseau local et ont été de très courte durée (moins de 20 minutes) », précise RTE. ■
Par Simon PHILIPPE (Sfen)
Sources et graphiques : Factual Report on the Grid Incident in Spain and Portugal on 28 April 2025, publié le 3 octobre 2025 par l’Entsoe
Photo : GUILLAUME PINON / NURPHOTO / NURPHOTO VIA AFP