Le nouveau cadre juridique du recours à la sous-traitance dans les installations nucléaires
Jusqu’à la loi TECV [1] de 2015, la réglementation relative au recours à des prestataires et à la sous-traitance dans les INB était limitée : l’arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux INB (dit « arrêté INB ») comportait pour la première fois des dispositions dans ce domaine, et précisait notamment les capacités techniques dont l’exploitant doit disposer, en détaillant celles pour lesquelles il ne peut prendre en compte que ses moyens propres, celles pour lesquelles il peut aussi intégrer les compétences de ses filiales et des sociétés dont il a le contrôle, et enfin celles pour lesquelles il peut également s’appuyer sur des tiers avec lesquels il a conclu des accords (art. 2.1.1). Mais l’arrêté n’interdisait ni ne limitait ce recours dès lors que l’exploitant disposait des compétences minimales requises par l’exercice de ses responsabilités.
La loi TECV marque une évolution profonde en prévoyant, dans l’article L. 593-6- 1 (nouveau) du Code de l’environnement, qu’un décret en Conseil d’État « peut encadrer ou limiter le recours à des prestataires et à la sous-traitance » pour la réalisation de certaines activités, en raison de leur importance pour la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1 du même code (à savoir : la sécurité, la santé et la salubrité publiques ainsi que la protection de la nature et de l’environnement).
Un cadre restreint et contraignant
Le décret du 28 juin 2016 [2], pris (notamment) en application de l’article L. 593-6-1, modifie le décret du 2 novembre 2007 [3] (dit décret procédures) [4] et fixe un certain nombre de règles.
Liberté encadrée pour le recours à des prestataires et à la sous-traitance
L’exploitant peut recourir à ceux-ci en vue de la réalisation d’activités importantes pour la protection des intérêts précités (AIP) [5], mais uniquement dans les conditions prévues par le décret et sous réserve de conserver la capacité d’assurer la maîtrise de ces activités et de l’exploitation de son installation.
Interdiction d’externalisation de certaines activités
En tant que titulaire de l’autorisation de création de l’INB, l’exploitant doit assurer effectivement l’exploitation de son installation ; il ne peut confier à un prestataire ou sous-traitant la responsabilité opérationnelle ou le contrôle de l’exploitation de cette installation, y compris en ce qui concerne le traitement des accidents, des incidents et des écarts, ainsi que la préparation aux situations d’urgence et leur gestion.
Limitation de la « profondeur » d’externalisation
Pour garantir la maîtrise de la réalisation des AIP, l’exploitant doit, de façon générale, limiter autant que possible le nombre des niveaux de sous-traitance ; en complément de ce principe général, la réalisation de prestations de services ou de travaux importants pour la protection des intérêts, que l’INB soit en fonctionnement ou en démantèlement, ne peut être confiée à des sous-traitants de rang supérieur à deux (ce qui fait trois niveaux en comprenant le prestataire.
À noter que cette limitation a été adoptée de façon conventionnelle dès 2013 par les grands exploitants nucléaires au titre du « cahier des charges social » (ou un document équivalent) élaboré dans le cadre du CSFN [6].
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Encadrement des critères de choix des prestataires
L’exploitant doit évaluer les offres de prestation de services ou de travaux en tenant compte de critères accordant la priorité à la protection des intérêts précités ; il doit s’assurer préalablement que les entreprises auxquelles il envisage de faire appel disposent de la capacité technique de réalisation des interventions et maîtrisent les risques associés.
Encadrement des relations entre l’exploitant et ses prestataires (et leurs sous-traitants)
L’exploitant doit assurer lui-même la surveillance des AIP réalisées par un prestataire ou un sous-traitant, notamment par la mise en place d’un système de transmission des informations en vue d’un retour d’expérience ; il doit leur notifier le document formalisant sa politique en matière de protection des intérêts précités ; les contrats avec les prestataires et les sous-traitants (quel que soit leur rang) doivent préciser les obligations nécessaires à l’application des dispositions (législatives et réglementaires) concernant l’installation au titre du régime des INB, qui sont à la charge de chacune des parties.
Dérogations
Le décret prévoit des possibilités de déroger à certaines de ces règles dans des cas particuliers : d’une part, l’ASN peut accorder à l’exploitant, par une décision motivée, une dérogation à l’interdiction d’externalisation de certaines activités ou à la limitation du nombre de niveaux de sous-traitance. La dérogation ne peut être accordée que si elle « permet d’assurer une meilleure protection des intérêts » précités. L’absence de réponse de l’ASN à l’expiration d’un délai de 6 mois vaut rejet de la demande.
D’autre part, l’exploitant peut autoriser un intervenant extérieur à recourir à un sous-traitant de rang supérieur à deux « en cas d’événement imprévisible affectant les conditions de réalisation de l’activité ou nécessitant des opérations ponctuelles ». L’exploitant doit en informer préalablement l’ASN, en indiquant les motifs de sa décision.
Modalités d’application
Afin de faciliter la compréhension et l’application des nouvelles dispositions précitées, le groupe de travail « Questions juridiques » du Comité d’orientation sur les facteurs sociaux, organisationnels et humains (COFSOH), mis en place par l’ASN, a élaboré un document intitulé « Réflexions sur les questions posées par l’encadrement juridique du recours à des prestataires et à la sous-traitance dans les INB ».
Outre les éclairages qu’il apporte sur des dispositions dont la rédaction n’est pas aisément accessible, ce document attire l’attention sur un point très important : la nécessité pour l’exploitant de justifier auprès de l’ASN ce qu’il fait (ou ne fait pas) en cas de recours à des prestataires et à la sous-traitance compte tenu des contraintes fixées par la réglementation. Et cela vaut aussi bien pour des contraintes précises, comme la limitation à deux rangs de sous-traitance, que pour celle plus générale de limitation « autant que possible » du nombre de niveaux de sous-traitance, quelles que soient les activités concernées : cette formulation, aussi floue soit-elle, ne dispense pas l’exploitant d’avoir à s’expliquer sur la décision qu’il a prise.
Conclusion
Si les nouvelles dispositions préservent le droit pour un exploitant d’INB de recourir à des prestataires et à la sous-traitance, ce recours est non seulement très encadré mais également très limité. On en comprend l’objectif, qui consiste à réduire les risques sur la sûreté de l’installation, compte tenu de l’intervention de plusieurs personnes physiques et morales, mais les contraintes imposées paraissent très excessives et interpellent sur les restrictions apportées à la liberté d’entreprendre.
La définition donnée à la sous-traitance par la loi du 31 décembre 1975 réserve la dénomination de « sous-traitant » à une personne, physique ou morale, à laquelle un entrepreneur confie la réalisation de tout ou partie d’un contrat ou d’un marché public qu’il a lui-même conclu avec un donneur ou maître d’ouvrage.
L’article L. 593-2 du code de l’environnement qualifie d’INB :
Crédit photo : Thierry Mouret
Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Décret n° 2016-846 du 28 juin 2016 relatif à la modification, à l’arrêt définitif et au démantèlement des installations nucléaires de base ainsi qu’à la sous-traitance.
Décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 relatif aux installations nucléaires de base et au contrôle, en matière de sûreté nucléaire, du transport de substances radioactives, pris en application de la loi dite TSN (loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire).
Les dispositions concernant la sous-traitance issues du décret du 28 juin 2016 constituent les articles 63-1 à 63-5 du décret procédures.
Selon l’article 2.5.2 de l’arrêté INB, l’exploitant doit identifier les « activités importantes pour la protection » (AIP) ainsi que les « exigences définies » afférentes et en tenir la liste à jour.
Comité stratégique de la filière nucléaire.