Le nucléaire français dans le système énergétique européen - Sfen

Le nucléaire français dans le système énergétique européen

Publié le 17 avril 2018 - Mis à jour le 28 septembre 2021
capros

A l’occasion de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), huit scénarios viennent compléter les travaux de RTE, en apportant trois dimensions nouvelles : l’Europe, le long terme et le système énergétique dans son ensemble. La SFEN publie son analyse de ces scénarios.

A retenir

  • Le report à 2045 de l’objectif de réduction de la part nucléaire permet de tirer le meilleur parti de la valeur économique du parc nucléaire, en matière de prix de l’électricité et d’investissements.

  • Pour atteindre les objectifs de décarbonation profonde, un recours croissant au vecteur électrique sera nécessaire : 700 TWh en 2050, voir plus de 1,000 TWh en 2070.

  • Le maintien d’un socle nucléaire important (de l’ordre de 35-40 GWe en 2050) sera aussi une d’assurance contre les incertitudes (évolution de la demande électrique, maturité des nouvelles sources d’énergie).

 

 
 

 

L’intégration de trois nouvelles dimensions aux scénarios énergétiques

L’élaboration de la nouvelle PPE intervient dans un double contexte. D’une part, le gouvernement a affirmé, à l’occasion du plan Climat de 2017, la « priorité de l’enjeu climatique », en visant désormais la neutralité des émissions de gaz à effet de serre françaises à l’horizon 2050. D’autre part, les premiers indicateurs de suivi de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) montrent, qu’au lieu de diminuer, les émissions de gaz à effet de serre augmentent.

La SFEN propose de mettre en avant trois dimensions complémentaires aux scénarios RTE, en cohérence avec l’ambition de la France en matière de lutte contre le changement climatique (et non pas sur l’objectif de réduction de la part du nucléaire). Ce travail vise à identifier les trajectoires de long terme les plus efficaces d’un point de vue économique pour atteindre les objectifs de décarbonation des systèmes énergétiques français et européens.

La dimension européenne

Les scénarios étudiés dans le cadre de la PPE ne permettent pas de prendre en compte de façon détaillée les évolutions des systèmes électriques des pays voisins ni de comprendre le rôle du nucléaire français pour décarboner leur production d’électricité. En exportant une électricité bas carbone, flexible et pilotable, la France soutient le développement des énergies renouvelables intermittentes en Europe.

La dimension de long-terme

Les feuilles de route de décarbonation françaises (SNBC) et européennes sont aujourd’hui fixées à l’horizon 2050, et l’Accord de Paris fixe un objectif à 2100. Les décisions relatives au nucléaire se placent dans ces temps longs : la question de l’intérêt climatique et économique de la prolongation du parc nucléaire, puis de son renouvellement à partir de 2030 s’insère dans la nécessité d’un socle nucléaire à l’horizon 2050.

Le système énergétique dans son ensemble

Le Bilan prévisionnel RTE 2017 se focalise sur l’équilibre offre-demande d’électricité en France mais ne permet pas de comprendre la contribution croissante du vecteur électrique aux réductions de gaz à effet de serre au niveau de l’ensemble du système énergétique.


Un alignement avec les objectifs de la Commission européenne

La SFEN a sollicité le cabinet E3-Modeling pour la construction de huit scénarios, variantes des projections EUCO30 réalisées par la Commission européenne dans le cadre du paquet d’Hiver (« Une énergie propre pour tous les Européens »). Ces scénarios respectent donc les objectifs et le cadre fixés au niveau européen.

Ils permettent d’étudier différentes évolutions possibles de la part du nucléaire dans le mix électrique en France.

Ces travaux ont été coordonnés par le Professeur Pantélis Capros de l’Université d’Athènes, créateur du modèle PRIMES, utilisé depuis de nombreuses années par les instances européennes.

Le cadre de référence des scénarios

La SFEN a cherché à étudier les implications des différentes hypothèses sur l’extension de la durée d’exploitation des centrales nucléaires françaises et leur possible renouvellement à moyen et long terme (2030-50). Le report de l’objectif de baisse du nucléaire dans le mix électrique à 50 % en 2025 est considéré comme acté, conformément à l’annonce du gouvernement de novembre 2017.

Les scénarios sont une variante des scénarios européens (EUCO30). Ils satisfont les objectifs fixés par les instances européennes :

  • Réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 (par rapport à 1990), et de 80% en 2050, date à laquelle le système énergétique européen devient profondément décarboné ;
  • Part d’au moins 27 % de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie ;
  • Efforts d’efficacité énergétique portant sur une réduction de 30 % de la consommation finale d’énergie.

De plus, dans le cadre des engagements pris lors de l’Accord de Paris (COP 21), des scénarios allant jusqu’à 2070 ont été élaborés, et donnent un aperçu du très long terme de trajectoires de décarbonation profonde.

NB : le modèle PRIMES ne prend pas en compte des possibles gains sur les coûts de construction du « nouveau » nucléaire, estimés par la SFEN à 30 %[1]. On peut donc estimer que le ratio pris en compte dans ces scénarios est conservateur.

 

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Les principaux résultats de l’étude


Les scénarios étudiés montrent tous à la fois une forte croissance des renouvelables et la nécessité d’un socle nucléaire à l’horizon 2050 et au-delà


Dans tous les scénarios, les énergies renouvelables augmentent très fortement, représentant entre 34 et 68 % du mix électrique français en 2050. Dans le scénario FNS_50_2045 la capacité installée de renouvelables atteint 150 GW en France avec une production de 385 TWh, en plus de la production hydraulique (68 TWh).

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Cependant, les scénarios n’identifient pas de technologies de stockage permettant de se passer des technologies pilotables pour assurer le back-up. Le nucléaire continue donc de contribuer très fortement à l’équilibrage des réseaux en France et en Europe, sans émettre de CO2 additionnel. Des études récentes[2] ont ainsi montré que la flexibilité du nucléaire pourrait permettre d’intégrer d’ici 2030 jusqu’à 30 % de production française à partir de sources intermittentes. 

A l’horizon 2050, le socle nucléaire français pourrait représenter 35-40 GW de capacité installée, correspondant à un ratio de production de 35-40 %. Les scénarios mettent ainsi en avant la nécessité d’un renouvellement partiel du parc nucléaire : dans le scénario FNS_50_2045, près de 20 GWe de nouvelles capacités nucléaires sont construites en France sur la période 2030-50, avec huit EPR durant la décennie 2030-40, puis six EPR entre 2040-50.

Les scénarios montrent aussi le maintien d’un socle nucléaire de plus de 70 GW répartis dans douze autres pays d’Europe[3]. En 2050, l’évolution des capacités nucléaires hors France passeront de 57 GW (actuellement) à 72 GW en 2050. A cet horizon, la part de la France dans la capacité nucléaire européenne sera de 34 % (contre 52 % aujourd’hui).


La comparaison du scénario FNS_50_2045 par rapport au scénario FNS_50_2030 montre la grande valeur économique de l’exploitation dans la durée du parc nucléaire français


La valeur économique de ce socle électrique se retrouve à plusieurs niveaux. Par exemple en comparant les scénarios 50 % nucléaire en 2045 (vs. 2030), les prix de l’électricité seraient 10 €/MWh plus bas et les investissements dans le parc et les réseaux seraient réduis de 20 milliards d’euros.

Ce résultat est notamment lié au coût de production très compétitif (32€/MWh) du parc nucléaire existant, les travaux de rénovation du programme Grand carénage étant plus économiques que la construction de nouvelles capacités de production quelles qu’elles soient.

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Les scénarios prévoient également un doublement des exportations électriques françaises, bénéfique tant pour décarboner le mix de nos voisins que pour la balance commerciale. Avec pour base le scénario FNS_50_2030, l’étude montre que les réductions d’émissions d’une tonne de CO2 coûteraient en moyenne 1,9 € de moins dans le scénario FNS_50_2045, sur la période 2021-2050.

La SFEN estime par ailleurs qu’un gain supplémentaire de 18 milliards d’Euros d’ici 2050 est possible si l’on intègre les perspectives de réduction du coût de construction des nouveaux projets nucléaires (lesquelles ne sont pas intégrées dans le modèle PRIMES) [4]. Sur la base des données de la SFEN, et compte tenu des perspectives de renouvellement du parc dans les différents scénarios entre 2020 et 2050, les investissements dans le nouveau nucléaire seraient impactés comme suit :

  • Scénarios FNS_50_2030 à FNS_50_2045 : réduction de 18,4 milliards d’Euros en passant de 89 à 70 milliards d’Euros ;
  • Scénario FNS_HIGH_ELEC : réduction de 30,7 milliards d’Euros en passant de 148,5 à 117,8 milliards d’Euros
  • Scénario FNS_CONST_NU : réduction de 45 milliards d’Euros en passant de 215 à 170 milliards d’Euros ;


Les scénarios montrent le rôle important de l’électricité pour décarboner le système énergétique, avec un fort regain de la demande d’électricité sur le moyen/long terme


Tous les scénarios montrent une augmentation de la part de l’électricité dans le mix énergétique total au-delà de 40% à l’horizon 2050 compte tenu de l’importance de ce vecteur pour la décarbonation. Paradoxalement, la consommation d’électricité augmente, alors que la consommation énergétique totale diminue très fortement du fait des progrès d’efficacité énergétique en parallèle.

 

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Ce plus grand recours au vecteur électrique est bénéfique sur le plan économique. Par exemple, le scénario FNS_HIGH_ELEC permet des économies de 90 milliards d’Euros dans la décarbonation du mix énergétique total de la France par rapport au scénario FNS_50_2030. Ce résultat est notamment lié à l’existence d’effet d’échelles au niveau du mix électrique (notamment du côté des réseaux).

On notera à ce titre que la prévision de la demande électrique est difficile à modéliser. Le scénario FNS_HIGH_ELEC montre qu’avec une faible croissance de la demande, le besoin de nucléaire dépasserait même la taille du parc actuel après 2030, ce qui commande une attitude prudente.

Au-delà de 2050 (FNS__EUCO_2070 et FNS_ FS_2070), l’exigence de décarbonation profonde tire la demande électrique à la hausse, avec un potentiel « rebond » du nucléaire en France et en Europe avec une croissance de la production nucléaire en Europe de près de 220 TWh entre 2050 et 2070. Cette croissante forte est liée à l’électrification des transports, à la production d’hydrogène par électrolyse, et encore accentuée jusqu’en 2070 par le développement des biocarburants synthétiques. On observerait alors une saturation des possibilités de réponse de l’éolien et du solaire à un certain niveau de demande, du fait de la raréfaction des sites favorables. D’où la croissance plus forte de la production nucléaire entre 2050 et 2070.

Conclusion

Pour penser la dynamique du mix électrique dans le cadre de la future PPE, il est primordial d’intégrer les perspectives d’évolution de la demande électrique à long terme compte tenu de la priorité donnée en France aux objectifs de décarbonation profonde. Ceci a des effets structurels sur le parc nucléaire existant, compte tenu de la longue durée d’exploitation des réacteurs, et sur l’intérêt de son renouvellement dès 2030 afin de maintenir un socle nucléaire de l’ordre de 35-40 GWe en 2050.

Des scénarios de long et très long terme permettent également d’examiner les résultats sur les durées longues des parcs, d’apprécier les évolutions et ruptures possibles de variables externes (exemple de la demande électrique, des coûts des nouvelles technologies…), de les anticiper et d’illustrer les choix au regard des incertitudes futures. C’est la démarche recherchée par la SFEN au travers d’un jeu de scénario qui permet d’éclairer ces incertitudes.

Le nucléaire, par sa robustesse, sa prévisibilité (notamment dans le coût de production) et sa flexibilité de conduite est l’un des outils qui permet une meilleure maitrise de ces temps longs.

En Europe, le retour d’expérience des premiers réacteurs de troisième génération dont les EPR devrait encourager plus d’Etats membres à réinvestir dans des capacités nouvelles. Le maintien du nucléaire en Europe hors France (+70 GWe à installer d’ici 2050) représente ainsi une opportunité pour l’industrie nucléaire française. Dans les visions de l’Europe pour le milieu du siècle, les scénarios les plus robustes reposent sur une forte mobilisation du nucléaire et une augmentation du parc européen. C’est bien dans les pays où l’industrie sera la plus performante, avec une main d’œuvre qualifiée et des standards de sûreté élevés et opérationnels qu’il faut en priorité positionner ces développements : la France doit y avoir sa place.

 

 


Le coût du nucléaire de troisième génération repose sur deux facteurs : le coût d’investissement et le coût du financement. La SFEN estime que des gains importants sont possibles par rapport aux premiers chantiers : de l’ordre de 30 % sur le coût de construction, grâce à des effets de série et d’apprentissage, et jusqu’à 50 % sur les coûts financiers, notamment via la conception des contrats.

Plusieurs travaux récents montrent que le parc nucléaire dispose de plusieurs leviers pour répondre à l’augmentation des besoins de flexibilité dans les prochaines années, liée à la pénétration croissante des énergies renouvelables dans le mix. Voir dossier RGN (2017, numéro 1), « Transition Energétique : Nucléaire et renouvelables, complémentaires pour réussir ».

Bulgarie, Finlande, France, Hongrie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède, République tchèque.

Les coûts de production du nouveau nucléaire français – SFEN, mars 2018


Par Michel Berthélemy, Didier Beutier, Jacques David, Jean-Guy Devezeaux de Lavergne, Valérie Faudon