Le nucléaire français dans le système énergétique européen
A l’occasion de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), huit scénarios viennent compléter les travaux de RTE, en apportant trois dimensions nouvelles : l’Europe, le long terme et le système énergétique dans son ensemble. La SFEN publie son analyse de ces scénarios.
A retenir
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Le report à 2045 de l’objectif de réduction de la part nucléaire permet de tirer le meilleur parti de la valeur économique du parc nucléaire, en matière de prix de l’électricité et d’investissements.
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Pour atteindre les objectifs de décarbonation profonde, un recours croissant au vecteur électrique sera nécessaire : 700 TWh en 2050, voir plus de 1,000 TWh en 2070.
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Le maintien d’un socle nucléaire important (de l’ordre de 35-40 GWe en 2050) sera aussi une d’assurance contre les incertitudes (évolution de la demande électrique, maturité des nouvelles sources d’énergie).
L’intégration de trois nouvelles dimensions aux scénarios énergétiques
L’élaboration de la nouvelle PPE intervient dans un double contexte. D’une part, le gouvernement a affirmé, à l’occasion du plan Climat de 2017, la « priorité de l’enjeu climatique », en visant désormais la neutralité des émissions de gaz à effet de serre françaises à l’horizon 2050. D’autre part, les premiers indicateurs de suivi de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) montrent, qu’au lieu de diminuer, les émissions de gaz à effet de serre augmentent.
La SFEN propose de mettre en avant trois dimensions complémentaires aux scénarios RTE, en cohérence avec l’ambition de la France en matière de lutte contre le changement climatique (et non pas sur l’objectif de réduction de la part du nucléaire). Ce travail vise à identifier les trajectoires de long terme les plus efficaces d’un point de vue économique pour atteindre les objectifs de décarbonation des systèmes énergétiques français et européens.
La dimension européenne
Les scénarios étudiés dans le cadre de la PPE ne permettent pas de prendre en compte de façon détaillée les évolutions des systèmes électriques des pays voisins ni de comprendre le rôle du nucléaire français pour décarboner leur production d’électricité. En exportant une électricité bas carbone, flexible et pilotable, la France soutient le développement des énergies renouvelables intermittentes en Europe.
La dimension de long-terme
Les feuilles de route de décarbonation françaises (SNBC) et européennes sont aujourd’hui fixées à l’horizon 2050, et l’Accord de Paris fixe un objectif à 2100. Les décisions relatives au nucléaire se placent dans ces temps longs : la question de l’intérêt climatique et économique de la prolongation du parc nucléaire, puis de son renouvellement à partir de 2030 s’insère dans la nécessité d’un socle nucléaire à l’horizon 2050.
Le système énergétique dans son ensemble
Le Bilan prévisionnel RTE 2017 se focalise sur l’équilibre offre-demande d’électricité en France mais ne permet pas de comprendre la contribution croissante du vecteur électrique aux réductions de gaz à effet de serre au niveau de l’ensemble du système énergétique.
Un alignement avec les objectifs de la Commission européenne
La SFEN a sollicité le cabinet E3-Modeling pour la construction de huit scénarios, variantes des projections EUCO30 réalisées par la Commission européenne dans le cadre du paquet d’Hiver (« Une énergie propre pour tous les Européens »). Ces scénarios respectent donc les objectifs et le cadre fixés au niveau européen.
Ils permettent d’étudier différentes évolutions possibles de la part du nucléaire dans le mix électrique en France.
Ces travaux ont été coordonnés par le Professeur Pantélis Capros de l’Université d’Athènes, créateur du modèle PRIMES, utilisé depuis de nombreuses années par les instances européennes.
Le cadre de référence des scénarios
La SFEN a cherché à étudier les implications des différentes hypothèses sur l’extension de la durée d’exploitation des centrales nucléaires françaises et leur possible renouvellement à moyen et long terme (2030-50). Le report de l’objectif de baisse du nucléaire dans le mix électrique à 50 % en 2025 est considéré comme acté, conformément à l’annonce du gouvernement de novembre 2017.
Les scénarios sont une variante des scénarios européens (EUCO30). Ils satisfont les objectifs fixés par les instances européennes :
- Réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 (par rapport à 1990), et de 80% en 2050, date à laquelle le système énergétique européen devient profondément décarboné ;
- Part d’au moins 27 % de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie ;
- Efforts d’efficacité énergétique portant sur une réduction de 30 % de la consommation finale d’énergie.
De plus, dans le cadre des engagements pris lors de l’Accord de Paris (COP 21), des scénarios allant jusqu’à 2070 ont été élaborés, et donnent un aperçu du très long terme de trajectoires de décarbonation profonde.
NB : le modèle PRIMES ne prend pas en compte des possibles gains sur les coûts de construction du « nouveau » nucléaire, estimés par la SFEN à 30 %[1]. On peut donc estimer que le ratio pris en compte dans ces scénarios est conservateur.
Les principaux résultats de l’étude
Dans tous les scénarios, les énergies renouvelables augmentent très fortement, représentant entre 34 et 68 % du mix électrique français en 2050. Dans le scénario FNS_50_2045 la capacité installée de renouvelables atteint 150 GW en France avec une production de 385 TWh, en plus de la production hydraulique (68 TWh).
La valeur économique de ce socle électrique se retrouve à plusieurs niveaux. Par exemple en comparant les scénarios 50 % nucléaire en 2045 (vs. 2030), les prix de l’électricité seraient 10 €/MWh plus bas et les investissements dans le parc et les réseaux seraient réduis de 20 milliards d’euros.
Ce résultat est notamment lié au coût de production très compétitif (32€/MWh) du parc nucléaire existant, les travaux de rénovation du programme Grand carénage étant plus économiques que la construction de nouvelles capacités de production quelles qu’elles soient.
Tous les scénarios montrent une augmentation de la part de l’électricité dans le mix énergétique total au-delà de 40% à l’horizon 2050 compte tenu de l’importance de ce vecteur pour la décarbonation. Paradoxalement, la consommation d’électricité augmente, alors que la consommation énergétique totale diminue très fortement du fait des progrès d’efficacité énergétique en parallèle.
Le coût du nucléaire de troisième génération repose sur deux facteurs : le coût d’investissement et le coût du financement. La SFEN estime que des gains importants sont possibles par rapport aux premiers chantiers : de l’ordre de 30 % sur le coût de construction, grâce à des effets de série et d’apprentissage, et jusqu’à 50 % sur les coûts financiers, notamment via la conception des contrats.
Plusieurs travaux récents montrent que le parc nucléaire dispose de plusieurs leviers pour répondre à l’augmentation des besoins de flexibilité dans les prochaines années, liée à la pénétration croissante des énergies renouvelables dans le mix. Voir dossier RGN (2017, numéro 1), « Transition Energétique : Nucléaire et renouvelables, complémentaires pour réussir ».
Bulgarie, Finlande, France, Hongrie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède, République tchèque.
Les coûts de production du nouveau nucléaire français – SFEN, mars 2018