La Suisse remet le nucléaire dans ses options énergétiques - Sfen

La Suisse remet le nucléaire dans ses options énergétiques

Publié le 28 octobre 2024 - Mis à jour le 29 octobre 2024

Vers un retour du nucléaire en Suisse ? Albert Rösti, ministre en charge de l’énergie, a déclaré vouloir revenir sur la loi interdisant la construction de nouvelles centrales  Nucléaires. En ligne de mire, la sécurisation de l’approvisionnement en électricité et l’atteinte des objectifs climatiques.

La Suisse est un petit pays de 8,7 millions d’habitants forte d’une production électrique de 66 TWh (2023)1. Grâce à des ressources hydrauliques importantes et à plusieurs installations nucléaires, la production d’électricité y est très largement décarbonée. En 2023, l’hydraulique a représenté 55 % de la production et les centrales nucléaires 35 %. L’exploitation des quatre réacteurs nucléaires du pays n’est aujourd’hui soumise à aucune limite temporelle tant que le niveau de sûreté des installations est garanti. Néanmoins, l’article 12a de la loi sur l’énergie nucléaire interdit depuis 2018 la construction de nouvelles unités, induisant de fait une sortie du nucléaire à terme. Mais dans le même temps, l’objectif de neutralité carbone en 2050 ferme la porte aux énergies fossiles.

L’hypothèque Fukushima

Dans les années 2000, ce sont cinq réacteurs nucléaires répartis sur quatre centrales qui assuraient alors près de 40 % de la production électrique du pays tandis que les industriels se préparaient au renouvellement de leurs installations. La construction de trois réacteurs à eau légère d’une puissance allant jusqu’à 1 600 MWe était même envisagée. Les sites de Beznau, Mühleberg et Niederamt étaient considérés comme « adéquats » par l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN). Mais cette ambition a été balayée en 2011 après l’accident nucléaire de Fukushima. Sous l’impulsion des Verts, un référendum a même été organisé en 2016 pour appliquer une limite de durée d’exploitation à 45 ans. Rejeté par 54 % des votants (45,38 % de participation), ce projet, s’il avait été validé, aurait réduit la capacité nucléaire à 1,2 GW d’électricité nucléaire en 2024, contre 2,9 GW effectivement.

Toutefois, en 2017, le référendum sur la « Stratégie énergétique 2050 » a introduit entre autres choses l’interdiction de nouvelles constructions. Il a été validé par 58,2 % des votants2 avec un taux de participation de 42,3 % lors de la votation. Attention cependant, l’objet de la votation comprenait un ensemble de mesures en faveur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, que ce soit chez les particuliers ou les industriels. Ainsi, le résultat ne peut-il être traduit stricto sensu comme un rejet populaire du nucléaire. Dans ce contexte d’incertitude politique et régulatoire, l’exploitant BKW FMR a procédé à la fermeture du petit réacteur à eau bouillante de Mühleberg (372 MWe) en 2019. Aujourd’hui, la Suisse se retrouve donc avec quatre réacteurs à la durée d’exploitation illimitée, mais sans possibilité de renouveler son parc.

Sécurité d’approvisionnement et climat 

« De l’électricité pour tous en tout temps (stop au blackout) » : tel est le slogan de l’initiative populaire déposée en début d’année 2024. Forte de 129 000 signatures, elle demande d’ajouter à la loi que « l’approvisionnement en électricité doit être garanti en tout temps » et la notion de « responsabilité ». L’initiative propose également l’autorisation de « toute forme de production d’électricité respectueuse du climat ». Fin août 2024, l’exécutif a présenté un projet d’acte (un projet de loi) étroitement lié à l’initiative, mais ne le reprenant pas en tout point pour diverses raisons, juridiques notamment. Le Conseil fédéral explique par exemple que l’autorisation de construction de nouvelles centrales nucléaires ne nécessite pas de modifier la constitution et qu’une modification de la loi suffirait. Mais ce faisant, le gouvernement clarifie sa position et ouvre officiellement la porte au nucléaire.

« La Suisse vise l’objectif zéro émission nette d’ici 2050, ce qui implique le remplacement intégral des énergies fossiles par de l’électricité respectueuse du climat. Les besoins en électricité vont donc augmenter, en lien aussi avec la croissance démographique, juge le Conseil. L’option initialement prévue de remplacer l’électricité manquante par des centrales à gaz n’est plus viable aujourd’hui en raison de l’objectif zéro émission nette », expose-t-il3, en ajoutant des considérations géopolitiques : « La situation tendue de l’approvisionnement énergétique en Europe depuis 2022 signifie que l’électricité manquante ne peut pas être remplacée par des importations en quantité appropriée à tout moment, comme on le supposait jusqu’alors ».

Retour à la notion de « neutralité technologique »

Le gouvernement marque ainsi un changement de doctrine dans le domaine énergétique avec un retour de la notion de neutralité technologique. Il entend « planifier de manière responsable la sécurité de l’approvisionnement en électricité » et juge l’interdiction de construire de nouvelles unités comme contraire au principe « d’ouverture aux différentes technologies ». Albert Rösti, ministre de l’Environnement, des Transports, de l’Énergie et de la Communication, est même allé encore plus loin en mentionnant dans la presse le site de Mühleberg, dans le canton de Berne, comme éligible pour un futur projet nucléaire. Il s’agit de l’un des trois sites déjà identifiés et considérés comme adéquats dans les années 2000 pour accueillir un nouveau réacteur.

Le Forum nucléaire suisse a salué la décision prise par le Conseil fédéral. Néanmoins, dans le cadre du débat démocratique, elle exhorte à aller plus loin que la simple levée de l’interdiction de nouvelles centrales nucléaires. « Le régime d’autorisation des centrales nucléaires doit être simplifié. La procédure d’autorisation en plusieurs étapes actuellement en vigueur pour la construction d’une centrale nucléaire est source d’insécurité juridique et de surcoûts élevés », prévient l’organisation dans son communiqué. La stabilité du cadre légal, le maintien de la chaîne d’approvisionnement et l’investissement dans la recherche et la formation ont également été avancés comme autant d’éléments déterminants pour le lancement de nouveaux réacteurs.

Démocratie directe

Le Département fédéral de l’Environnement, des Transports, de l’Énergie et de la Communication soumettra au Conseil fédéral une modification correspondante de la loi sur l’énergie nucléaire d’ici à la fin de l’année 2024. La consultation devrait durer jusqu’à fin mars 2025 et le Parlement débattra ensuite de l’initiative et du contre-projet. Il faut noter que dans le cas où les auteurs de l’initiative jugeraient que le contre-projet répond suffisamment à leurs demandes, ceux-ci pourraient retirer leur initiative. En conséquence, le Parlement se prononcerait uniquement sur le projet de loi proposé par l’exécutif, sa décision étant ensuite soumise au référendum facultatif. Si l’initiative était maintenue, elle ferait, là encore, l’objet d’une votation populaire. Dans tous les cas, la décision passera par un mécanisme de démocratie directe.

 


1. Association des entreprises électriques suisses.
2. www.lemonde.fr/europe/article/2017/05/21/les-suisses-appeles-a-se-prononcer-sur-l-abandon-progressif-du-nucleaire_5131268_3214.html
3. www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques/communiques-conseil-federal.msg-id-102240.html

 

 

Par Gaïc Le Gros, Sfen

Photo I Centrale nucléaire de Gösgen, sur le canton de Soleure, et son réacteur nucléaire de 1 000 MWe de technologie allemande (KWU) mis en service en 1979.

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Revue Générale Nucléaire #3 | Automne 2024