Les grandes lignes du programme nucléaire britannique - Sfen

Les grandes lignes du programme nucléaire britannique

Publié le 3 septembre 2018 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Le Royaume-Uni a été l’un des pays pionniers des sciences et techniques nucléaires : 3e État à se doter de l’arme atomique en 1952, il fut le premier à réaliser le potentiel électrogène de cette nouvelle source d’énergie. Ainsi, en 1956, la Reine Elizabeth II inaugura les quatre réacteurs de Calder Hall, les premiers au monde à produire de l’électricité à une échelle industrielle. 

Par la suite, le Royaume-Uni conçut les réacteurs Magnox, puis AGR, modérés avec du graphite et refroidis par du gaz, dont seuls les derniers sont encore en exploitation aujourd’hui. Pourtant, cet engouement retomba à la fin des années 1990 pour plusieurs raisons : la décision en mai 1995 de ne plus accorder d’aide publique à la construction de réacteurs, mais aussi la disponibilité à cette époque de ressources pétrolières et gazières.

Depuis, le contexte a changé. Le Royaume-Uni a passé son pic de production de pétrole et gaz vers l’an 2000, dont la production a été divisée par près de trois depuis lors, compensée essentiellement par une augmentation des importations et un peu par une réduction de la consommation. Le pays a également pris l’engagement de réduire de 80 % ses émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990 ce qui se traduira notamment, dans le secteur électrique, par la fermeture de toutes les centrales à charbon d’ici 2025. Enfin, les 14 réacteurs AGR devront être arrêtés d’ici les années 2030, du fait du vieillissement du graphite de leur coeur. De la flotte actuelle, il ne restera donc d’ici 15 ans qu’un seul réacteur nucléaire (à eau pressurisée) en exploitation.

Le Royaume-Uni se trouve à une époque charnière : les centrales nucléaires et à charbon doivent être remplacées dans les prochaines années par des moyens de production bas-carbone, tout en tenant compte de l’effondrement de la production gazière et pétrolière… Cela explique la volonté en 2006 du gouvernement travailliste de Tony Blair d’amorcer un programme de construction de nouveaux réacteurs nucléaires.

Genèse de la renaissance nucléaire britannique

L’une des premières mesures concrètes prises par le gouvernement britannique en soutien à la construction de nouveaux réacteurs a été de mettre en place un environnement réglementaire clair et prédictif, avec notamment l’élaboration d’un processus de certification des concepts de réacteurs (Generic Design Assessment, GDA) par l’autorité de sûreté (Office for Nuclear Regulation, ONR).


Hinkley Point n’est que la première pierre d’un vaste programme de nouvelles constructions, qui pourrait dépasser les 18 GW de nouvelles capacités si tous les projets envisagés venaient à voir le jour


Concrètement, l’approche libérale britannique reposant sur l’initiative privée et restreignant le rôle de l’État s’est traduite par le refus du gouvernement de sélectionner des technologies, fournisseurs, ou même l’unicité de ceux-ci : tout fournisseur proposant un concept agréé par l’autorité de sûreté nucléaire (ONR) peut en théorie se positionner sur le marché. Si cela a in fine conduit plusieurs entreprises (EDF Energy, CGN, Hitachi, Toshiba puis  Kepco…) portant des technologies diverses (respectivement EPR, Hualong, ABWR, AP1000 puis APR-1400) à s’engager au Royaume-Uni, l’approche est fondamentalement différente de celle qui prévaut dans des économies plus planifiées comme la Chine ou la Russie. La diversité technologique est, au Royaume-Uni, une conséquence voulue d’un cadre légal et réglementaire.

Cette approche diversifiée présente des avantages pour un pays ne disposant pas de concept de réacteur qui lui soit propre, ni d’électricien national : réduction du risque d’effondrement de la totalité du programme en cas de défaillance industrielle (l’exemple de Westinghouse vient à l’esprit), limitation du risque de défaut générique, montée en compétence après une longue période de sous-investissement et d’absence de construction… Elle présente également des inconvénients, au premier rang desquels se situe le coût. La faiblesse de la sérialisation implique en effet des constructions en moyenne plus onéreuses, et un parc composé de plusieurs technologies présente un degré de complexité plus élevé pour le régulateur… 

La tête de file des nouvelles centrales : Hinkley Point C (HPC)

EDF Energy, seul exploitant des centrales nucléaires britanniques, a été la première entreprise à se positionner pour construire des EPR sur le site d’Hinkley Point (Somerset), en déposant en 2007 une demande de certification (GDA) auprès de l’autorité de sûreté. En décembre 2012, la délivrance d’un Generic Design Acceptance a clos cette procédure et a marqué le début des négociations entre NNB GenCo (consortium formé par EDF Energy et son partenaire CGN) et le gouvernement britannique pour définir un modèle de financement.


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La politique du gouvernement britannique restait alors dans la continuité des orientations prises en 1995 : il s’agissait de rendre le projet possible sans investir d’argent public et en protégeant le contribuable britannique de tout risque de dépassement de calendrier et de budget. Le gouvernement a donc opté pour un mécanisme initialement conçu pour les projets d’énergies renouvelables : le complément de rémunération, aussi appelé Contract for Difference (CfD). Ce système permet de définir un prix de vente de l’électricité, garanti a priori sur une période donnée. Si le cours de l’électricité est inférieur, le consommateur compense la différence, et s’il est supérieur,  l’électricité est quand même vendue au prix prédéfini (strike price). Le CfD permet d’évaluer a priori la rentabilité d’un projet en comparant l’estimation des coûts de construction, du capital et d’exploitation aux revenus qui seront dégagés de la vente d’électricité à prix défini.

En septembre 2016, NNB GenCo et le gouvernement britannique ont signé la décision finale d’investissement, qui entérine le principe du CfD pour Hinkley Point en garantissant un prix de vente de 92,5 £/MWh sur 35 ans. Ce prix, supérieur au cours du marché, reflète le coût élevé du projet (19,6 milliards de livres) qui s’explique par l’absence de construction depuis une vingtaine d’années (la chaîne d’approvisionnement britannique, en partie disparue, doit donc être recréée) et le fait que le risque de construction est intégralement porté par NNB GenCo. Ce risque induit un coût, qui se matérialise notamment au travers de taux d’emprunts supérieurs aux taux  d’emprunts publics ou d’entreprises bénéficiant d’une garantie publique (ce qui revient à partager les risques). 

Si cette approche protège le contribuable du risque de construction, de nombreuses voix (dont la Cour des comptes britannique) se sont élevées pour en critiquer l’impact économique, le coût de l’électricité nucléaire dépendant davantage de la construction et du  capital mobilisé que des coûts d’exploitation une fois la centrale construite.

 
A noter 
Dans un rapport publié le 23 juin 2017, le National Audit Office (Cour des comptes britannique) s’est intéressé au financement du projet Hinkley Point C. Plusieurs pistes alternatives ont été étudiées, dont l’une indiquant qu’une prise de participation publique à hauteur de 25 % au projet aurait pu mener à un prix garanti de vente de l’électricité, compris entre 69,5 et 76 £/MWh.
 


Les autres projets de la renaissance nucléaire

Hinkley Point n’est que la première pierre d’un vaste programme de nouvelles constructions, qui pourrait dépasser les 18 GW de nouvelles capacités si tous les projets envisagés venaient à voir le jour. Cependant, la contestation de son mode de financement faisant peser l’intégralité du risque sur EDF Energy et CGN en contrepartie d’un prix de vente de l’électricité élevé, ainsi que la baisse des coûts de l’éolien en mer, ont conduit les entreprises et le gouvernement à envisager d’autres modes de financement pour les projets futurs.

Horizon Nuclear Power, filiale d’Hitachi, prévoit de construire deux réacteurs bouillants (ABWR), certifiés au Royaume-Uni depuis décembre 2017, sur le site de Wylfa Newydd  dans le pays de Galles. L’entreprise a fait savoir qu’un financement sur fonds propres à l’instar de ce qui avait été négocié pour le projet HPC était exclu. Les négociations entre Hitachi et le gouvernement britannique ont ainsi conduit ce dernier à envisager une prise de participation publique au projet pendant la durée de construction. L’annonce en ce sens du ministre Greg Clark le 4 juin dernier constitue un changement majeur d’approche, dans un pays de culture profondément libérale.

EDF Energy et CGN négocient avec les autorités le financement de leur second projet, consistant à construire deux autres EPR sur le site de Sizewell (Suffolk). L’approche pourrait être différente de celle envisagée pour le projet Wylfa, et, selon un communiqué du ministre Greg Clark (BEIS), reposer sur des investissements privés avec une garantie gouvernementale au travers d’une reconnaissance de statut d’actif régulé (regulated asset) pour le projet. Cette piste permettrait de réduire le coût de la centrale via un partage des risques avec le consommateur, sans pour autant impliquer d’investissement public.

Enfin, d’autres projets sont moins avancés, tels que celui de Bradwell (CGN et EDF Energy) visant à construire des réacteurs chinois HPR 1000, actuellement en cours de certification par l’ONR, ou celui de Moorside où Westinghouse prévoyait de construire des réacteurs AP1000. Ce dernier est en cours de reprise par Kepco, qui souhaiterait remplacer les AP1000 par des réacteurs APR1400. Cependant, le changement de technologie nécessitera un nouveau processus de certification (GDA), ce qui prend en général de 3 à 4 ans.

Conclusion

Pour satisfaire ses besoins électriques en cohérence avec ses objectifs climatiques, le Royaume-Uni a fait le choix d’un soutien clair et transpartisan (Conservateurs, Travaillistes et Libéraux-Démocrates) à l’énergie nucléaire.

Celle-ci est perçue en Grande-Bretagne comme un moyen de redynamiser une industrie nationale en perte de vitesse et de créer des emplois qualifiés durables. Le seul projet d’Hinkley Point devrait par exemple créer 25 000 emplois dont 34 % localement, et former 1 000 apprentis pendant la phase de construction, puis employer 900 personnes durant la phase d’exploitation (selon NNB GenCo).

Enfin, la remontée en compétence après 20 ans de sous-investissement et la faible sérialisation prévue sont autant de défis pour l’industrie nucléaire qui devra apporter la preuve de sa compétitivité et de sa capacité à maîtriser ses coûts.


Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement la position de l’Ambassade de France.


Par Pierre-Yves Cordier, conseiller nucléaire à l’Ambassade de France au Royaume-Uni [1], et Maxence Cordiez, adjoint du conseiller nucléaire.