« Une french tech nucléaire est possible et il faut la mettre en œuvre »
Les défis auxquels fait face le nucléaire peuvent être relevés par la R&D. Pour y parvenir, la collaboration entre acteurs du nucléaire et leur ouverture sont indispensables. Entretien avec Bernard Salha, directeur de la recherche et développement d’EDF.
Quels sont les défis de la R&D nucléaire ?
Bernard Salha – Le nucléaire est une industrie d’avenir : le défi de la R&D est de le préparer. Il s’agit de faire émerger les innovations qui porteront le nucléaire de demain et qui consolideront son rôle dans le mix énergétique mondial.
Les défis sont nombreux.
C’est d’abord poursuivre l’amélioration de la sûreté, en tirant tous les enseignements de l’accident de Fukushima, et en particulier en continuant à améliorer la sûreté et la résilience de nos réacteurs vis-à-vis des accidents graves et des événements majeurs d’origine externe aux centrales (séisme, inondation, canicule…), tout en garantissant leur exploitation dans la durée : 50 ans et 60 ans sont techniquement faisables.
C’est aussi préparer les réacteurs à un système électrique dans lequel la part d’énergies renouvelables intermittentes comme le photovoltaïque et l’éolien sera beaucoup plus importante. Les réacteurs à eau pressurisée disposent d’ores et déjà d’une grande capacité de manœuvrabilité face à des évolutions de la demande issue du réseau. Nous pourrons encore l’améliorer de façon à apporter l’énergie nécessaire en l’absence de vent ou de soleil.
C’est enfin préparer une gamme de nouveaux modèles de réacteurs: les réacteurs « EPR » de nouvelle génération qui tireront tout le retour d’expérience des six premiers EPR déjà lancés (Olkiluoto, Flamanville, Taishan et Hinkley) prépareront le renouvellement du parc actuel et pourront être aussi construits à l’export ; les petits réacteurs modulaires (ou SMR avec le projet porté par EDF, AREVA TA, CEA et DCNS) qui pourront apporter une réponse nouvelle et performante aux pays primo-accédants au nucléaire et qui seront aptes aussi à être déployés par grappe sur des sites déjà nucléaires mais qui ne pourraient pas accueillir de grands réacteurs ; les réacteurs de 1000 MWe tel l’ATMEA ; et enfin les réacteurs de génération IV dont Astrid, qui est un démonstrateur industriel pour préparer la fermeture du cycle nucléaire.
Comment peut-on améliorer les temps d’innovation ?
BS – C’est avant tout une question de mobilisation conjointe et solidaire des ressources d’expertise commune aux acteurs du nucléaire. L’institut tri-partite qui réunit AREVA, CEA et EDF permet d’ores et déjà d’élaborer ensemble la définition d’un programme de recherche commun qui tire profit des compétences humaines et des installations d’essais existantes chez les trois partenaires.
C’est aussi mutualiser la réalisation d’installations d’essais nouvelles: par exemple, la maquette d’enceinte VeRCoRs réalisée par EDF sur son site des Renardières permet ainsi d’évaluer le vieillissement des enceintes en béton double paroi tout en mobilisant l’expertise scientifique de très nombreux laboratoires de génie civil français et internationaux.
C’est enfin intégrer dans le monde du nucléaire les briques technologiques nouvelles qui se développent dans l’industrie pour créer de véritables « usines nucléaire du futur ». Comme exemple de ces briques, le digital est un outil majeur. L’imagerie 3D, la réalité augmentée, les data analytics sont de véritables « game changers » pour améliorer la formation des futurs exploitants, mieux encore préparer les interventions, mieux anticiper et piloter les opérations de maintenance ou de remplacement de gros composants.
Les start-up ont-elles un rôle à jouer ?
BS – Le monde des start-up est déjà totalement partie prenante des « clean tech », qu’il s’agisse de l’efficacité énergétique, des smart grids ou des énergies renouvelables. Les nouvelles briques technologiques ont la capacité d’ouvrir ces acteurs au secteur du nucléaire. Déjà aux Etats-Unis de nombreuses start-up travaillent sur de nouveaux modèles de réacteurs y compris de type futuriste : nouveaux modèles de réacteurs à sels fondus par exemple. Pourquoi ne pas imaginer aussi des start-up sur des combustibles futurs ?
Les acteurs du nucléaire, des grands groupes aux PME et aux start-up doivent se mobiliser pour ouvrir de nouveaux challenges et permettre aux entrepreneurs innovants si nombreux en France d’investir la sphère nucléaire. Une french tech nucléaire est possible ! Il faut la mettre en œuvre.
Que peut-on attendre du digital ?
BS – Des résultats très importants sont d’ores et déjà accessibles avec le digital car il requiert des volumes d’investissement limités pour produire des résultats impressionnants: EDF a ainsi réalisé l’outil « VVP Pro prépa » qui permet de visualiser de façon très fine l’intérieur d’un bâtiment réacteur. Cela a été réalisé avec des moyens limités : quelques ingénieurs et l’appui d’entreprises de taille moyenne. L’outil permet de définir les cheminements d’intervention, de dimensionner les échafaudages, de prendre des côtes, bref de s’immerger complément dans le réacteur virtuel pour mieux préparer les opérations de maintenance. Tout récemment il a été complété par un outil d’intelligence artificielle permettant de repérer des nomenclatures d’équipements dans cette maquette virtuelle 3D : un travail fastidieux qui nécessitait jusqu’ici plusieurs mois. Le tout est en déploiement sur l’ensemble des réacteurs du parc. Cet exemple montre que l’on peut rapidement, avec des moyens limités, la mobilisation de petites entreprises innovantes et dynamiques et une forte implication des exploitants, déployer des outils de demain qui n’ont rien à envier à ceux de l’usine 4.0.
Nous sommes en 2050, à quoi ressemble le nucléaire et quel est son rôle dans la société ?
BS – En 2050, la part de l’électricité dans la consommation d’énergie finale aura très fortement augmentée. Tout simplement parce que l’électricité est une énergie flexible, facilement transportable et pilotable. Elle sera fortement présente dans les transports. Aujourd’hui ces derniers consomment en France quasiment le même volume d’énergie (500 TWh) que celui produit par tout le système électrique et en émettant largement plus de CO2 par combustion de produits pétroliers. Le nucléaire et le renouvelable n’émettent pas de CO2. Le chiffre de la production électrique totale d’EDF en France pour 2016 est de l’ordre de 20g de CO2 par Kwh produit, alors que la moyenne européenne est de 350g. Le développement conjoint et équilibré des renouvelables et du nucléaire est un moyen d’augmenter cette part d’énergie électrique décarbonnée dans la consommation énergétique finale totale, tout en garantissant la fourniture d’électricité quelques soient les conditions de vent ou de soleil. C’est cet objectif que nous devons poursuivre pour 2050. Il permettra de réduire nos émissions totales de CO2 tout en améliorant la qualité de vie de nos concitoyens.
Crédits photo : EDF – WALLACE VALERY