[Décryptage] Schéma de financement proposé pour le nouveau nucléaire en Suède - Sfen

[Décryptage] Schéma de financement proposé pour le nouveau nucléaire en Suède

Publié le 30 juin 2025 - Mis à jour le 1 juillet 2025

En novembre 2023, le parlement suédois avait voté un projet de loi afin de relancer le nucléaire civil, à la fois pour les réacteurs de puissance et les petits réacteurs modulaires (SMR). Sur sa « feuille de route pour le nouveau nucléaire », il avait annoncé la mise en service d’une capacité nucléaire équivalente à celle de deux réacteurs de forte puissance (au moins 2 500 MW) d’ici 2035, et de dix réacteurs d’ici 2045. Ce vote était un véritable tournant dans le paysage énergétique suédois, alors que le pays avait adopté une stratégie de sortie “à terme” du nucléaire dès les années 1980.  Le nucléaire représente aujourd’hui toujours 40 % de l’électricité du pays. Avec la nouvelle loi, le gouvernement soutient dorénavant toute production d’énergie non fossile, et reconnait le rôle du nucléaire pour fournir une énergie fiable et prévisible[1].

Le nouveau schéma de financement voté fin mai par le Parlement comprend trois composantes : prêt d’État, contrat pour différence et une garantie de rendement. Ce schéma peut s’appliquer aussi bien aux petits qu’aux grands projets. Cependant, il est particulièrement adapté aux réacteurs de grande taille, car il repose sur des dispositifs déjà mis en œuvre dans les projets HPC et Dukovany.

Un prêt bonifié de l’État suédois

 Un livre blanc a publié en août de l’année dernière indiquait que l’État pourrait avoir besoin de prêter aux développeurs nucléaires en 300 et 600 milliards de couronnes (31 à 62 milliards de dollars)[2].  Tout comme la Pologne (dont la Sfen a analysé le plan de financement) et la Tchéquie, la Suède prévoit d’accorder un prêt au développeur du projet pour financer la construction des nouveaux réacteurs, via son Office national de la dette. L’aide ne sera accordée qu’aux entreprises dont les activités visent exclusivement ou presque exclusivement à construire, détenir et exploiter le ou les nouveaux réacteurs nucléaires.

À ce jour l’exploitant nucléaire Vattenfall étudie par exemple la possibilité de construire de nouveaux réacteurs sur son site de Ringhals et considère à la fois des réacteurs de forte puissance et des SMR. Parmi les réacteurs de forte puissance, il a présélectionné l’américain Westinghouse et le français EDFL’exploitant Fortum est également très actif en Suède avec la recherche d’un site pour construire de nouveaux réacteurs. Il a également présélectionné, pour ses projets de forte puissance en Suède ou Finlande, l’américain WEC et le français EDF.

Les modalités du prêt de l’État permettent d’optimiser le financement au fur et à mesure de l’avancée du projet : le taux d’intérêt sera bonifié au niveau attendu pendant la phase de construction. Il sera ensuite graduellement augmenté durant la phase d’exploitation, afin d’inciter les constructeurs à remplacer le prêt étatique par un financement provenant du marché. Une fois que la centrale est entrée en phase d’exploitation, les incertitudes entourant le projet diminuent, ce qui permet l’accès à des conditions meilleures de financement que celles durant la phase de construction.

Les entreprises recevront la somme empruntée en fonction de leurs dépenses réelles. Cette méthode permettra de ne payer des intérêts que sur les montants effectivement utilisés. Le gouvernement ne considère pas qu’il soit approprié de spécifier un plafond à l’avance. L’augmentation de la limite d’emprunt requerra l’autorisation du Riksdag, le Parlement suédois. Le plafond d’emprunt de la société inclura les intérêts courus attendus jusqu’à ce que le réacteur soit mis en service et une marge de manœuvre pour les dépassements de coûts.

Un mécanisme de garantie de revenu sous forme de CfD

Les projets nucléaires sont exposés à des risques de marché, liés à l’incertitude sur les prix futurs de l’électricité et les quantités appelées dans le cadre du « merit order » du marché de l’électricité. Ce risque est particulièrement important pour ce type de projet, où les investissements initiaux sont élevés, et les durées de construction et d’exploitation longues. Pour y répondre, le gouvernement considère que le soutien public doit couvrir à la fois la phase de construction et l’exploitation courante, notamment à travers la mise en place de contrats pour différence. Ce dispositif s’appliquera sur une durée de 40 ans.

Le gouvernement a instauré un contrat pour différence en fonction du revenu, comme dans le cas de Dukovany en République tchèque, et non du prix, comme c’était le cas pour HPC au Royaume-Uni.

Le contrat pour différence financier bidirectionnel est prévu comme suit :

  • Le producteur d’énergie nucléaire vend l’électricité sur le marché et perçoit les revenus du marché ;
  • Après un certain temps, le prix moyen du marché est calculé. Si ce prix moyen est inférieur au prix d’exercice, le producteur d’énergie est indemnisé par l’État. La différence entre le prix moyen et le prix d’exercice est multipliée par une capacité de référence, fixée sur la base de la production attendue du réacteur nucléaire ;
  • Au contraire, si le prix moyen est supérieur au prix d’exercice, l’État est indemnisé par le producteur d’électricité nucléaire pour la différence multipliée par la capacité de référence.

Une garantie de rendement pour les actionnaires

Tout comme le modèle de Dukovany, il est prévu que le prix d’exercice du contrat pour différence (CfD) varie lorsque les entreprises font face à des problèmes de rentabilité à long terme au début de l’exploitation, à des dépassements des coûts ou lors d’un retard important lors de la phase de construction.

Ainsi le Gouvernement considère qu’il est approprié que le partage des risques et des bénéfices garantisse que les propriétaires des entreprises de projet reçoivent un rendement se situant dans une fourchette prédéterminée. Le rendement des développeurs est évalué à partir d’une valorisation initiale de leurs fonds propres. Si, au fil du temps, cette valeur de marché descend en dessous d’un seuil prédéfini, l’État intervient pour soutenir temporairement le projet.

Concrètement, le gouvernement peut alors :

  • Assouplir les conditions des prêts accordés ;
  • Augmenter le prix d’exercice du CfD, ce qui permet à la centrale de générer plus de revenus.

Ces ajustements ont pour objectif d’améliorer la liquidité du projet et de revaloriser les fonds propres, en réduisant le risque financier pour les développeurs. Ce mécanisme est réévalué chaque année : tant que la valeur des fonds propres reste en dehors de la fourchette de référence, les mesures de soutien peuvent être prolongées. Une fois que la situation financière est rétablie, les aides cessent, et les développeurs assument ensuite seuls les risques liés à la rentabilité future du projet.

Quels enseignements pour la France ?

En France, à l’occasion du Conseil de politique nucléaire du 17 mars dernier, le gouvernement a annoncé avoir progressé sur la définition du schéma financier pour la construction de 6 réacteurs EPR2. Il prévoit un prêt à taux bonifié pour au moins la moitié du coût de construction et un CFD inférieur à 100€/MWh. EDF et l’État seraient récemment parvenus à un accord, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle étape : l’ouverture des discussions avec Bruxelles sur les aides d’État dont le projet pourrait bénéficier[3].

La Sfen a rappelé, dans sa position sur la proposition de loi dite Gremillet, que, pour réduire le coût du financement, la part du prêt bonifié doit être la plus élevée possible. Il est aussi important de mettre en œuvre des mécanismes, au-delà du CfD, permettant un partage approprié des risques, en distinguant en particulier ceux dont EDF a la maîtrise et ceux pour lesquels il ne l’a pas. ■