Les déchets nucléaires : ce qu’ils sont et comment on les gère…
Une loi de juin 2006 a choisi le stockage en couche géologique comme solution de référence pour le stockage des déchets de haute activité et à vie longue. Cette solution est mise en œuvre par l’ANDRA à travers le projet du centre CIGEO dont l’ entrée en service est prévue en 2025…et qui fait l’objet d’un débat public organisé à partir du 15 mai 2013. Cette actualité est l’occasion de présenter ici une courte synthèse sur les différents types de déchets nucléaires, leurs caractéristiques et leurs modes de gestion.
C’est l’ANDRA, Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs qui est spécialement chargée, en France, d’impulser et de mettre en oeuvre la politique de gestion de ces déchets dont une des pièces majeures est le Plan National de Gestion des Matières et des Déchets Radioactifs. Ce Plan, réactualisé tous les trois ans, dresse le bilan des modes de gestion existants, recense les besoins et définit les objectifs à atteindre. Il est mis en œuvre sous la responsabilité de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN).
En France, on compte en moyenne chaque année environ 3000 kilos de déchets par habitant. Sur ce total, les déchets industriels toxiques, essentiellement chimiques, représentent environ 100 kilos et les déchets nucléaires près de 2 kilos.
Le programme électro-nucléaire n’est pas le seul producteur de déchets radioactifs. Il en génère, en volume, environ 65%. Le reste est produit par les services de médecine nucléaire des hôpitaux et par les laboratoires de recherche (19% du total), ainsi que par les activités relevant de la Défense nationale (12%) et par les autres secteurs industriels (3,5%). Quatre sites de surface et un centre souterrain permettent de stocker les déchets existants et pourront accueillir des quantités supplémentaires durant encore plusieurs dizaines d’années. Précisons qu’un stockage n’est pas une « décharge » ou un « tas d’ordures » dont on se débarrasse tant bien que mal en les glissant subrepticement « sous le tapis » ; c’est un système rigide et résistant organisé autour de plusieurs barrières et modulé en fonction des différents types de déchets à stocker.
On classe les déchets nucléaires selon deux critères : leur niveau de radioactivité et leur durée de vie. On aboutit ainsi à cinq catégories de déchets « officiellement » répertoriées donnant lieu à des modes de gestion différents.
1 / *La grande majorité des déchets nucléaires en France – soit 80% du total en volume- sont des déchets de faible à moyenne activité à vie courte (dans le jargon des spécialistes : FMA-VC). Ce sont pour l ‘essentiel des objets et outils liés à l’exploitation des installations nucléaires, ayant été plus ou moins contaminés par les radioéléments avec lesquels ils ont été en contact : tenues de protection, gants, surbottes, chiffons, pièces usagées, etc… Ils sont compactés, enrobés dans des matières qui les rendent inertes et bloquent les produits radioactifs puis scellés dans des conteneurs métalliques. Acheminés vers un centre de stockage les conteneurs sont disposés dans des structures bétonnées aménagées en surface et isolées de l’extérieur. La France dispose pour ces déchets de deux sites de stockage gérés par l’ANDRA : l’un, dans la Manche, est aujourd’hui plein ; l’autre à Soulaines, dans l’Aube, a pris le relais et pourra recevoir des déchets jusque vers le milieu du siècle.
Dans l’ensemble, l’impact de ces centres est très réduit et ne pose pas de problème particulier d’ordre environnemental ou sanitaire. La période – ou demie-vie – des déchets qui y sont présents est de 30 ans ou moins ce qui signifie qu’au terme de ce laps de temps leur radioactivité diminue à chaque fois de moitié. Leur impact radioactif sera revenu, après une centaine d’années, vers de faibles niveaux et aura rejoint, avant 300 ans, ceux de la radioactivité naturelle. A ces horizons, les déchets seront devenus inoffensifs et le centre de stockage, dont l’impact sera pratiquement nul, aura achevé sa mission. C’est là, par rapport aux autres déchets industriels et notamment les toxiques chimiques un des « avantages » des déchets radioactifs : ils voient leur dangerosité diminuer au fil du temps et finalement disparaître, alors que dans 300 ans ou dans 10 000 ans, la toxicité d’un gramme d’arsenic, de cadmium ou de mercure sera équivalente à ce qu’elle est aujourd’hui.
2 / *L’autre catégorie de déchets à vie courte, représentant 11% du volume total, est constituée par les déchets de très faible activité (TFA). Ils proviennent essentiellement, sous forme de ferrailles et de gravats, du démantèlement des installations nucléaires. Leur radioactivité est tellement réduite que l’on peut se demander s’ils méritent vraiment la dénomination de déchets radioactifs. Ils sont stockés en surface au Centre de Morvilliers (qui jouxte celui de Soulaines), dans l’Aube. Ouvert en 2003, ce site abritera notamment tous les déchets TFA issus du démantèlement des centrales nucléaires actuellement en service.
3 / *Parmi les déchets à vie longue – ceux dont la période est supérieure à 30 ans – il existe une catégorie très hétérogène, formée de résidus diversifiés dont le point commun est de présenter une radioactivité faible ou très faible (FA-VL). Ce sont soit des déchets contenant principalement du radium dont l’utilisation intensive, à partir des années 1930 a engendré des résidus de nature très variée (sources radioactives à usage médical, têtes de paratonnerres, détecteurs d’incendie etc…) ; soit des déchets dits « graphite » provenant pour l’essentiel des éléments combustibles des anciennes centrales nucléaires de la filière « graphite-gaz ».Un centre de stockage est à l’étude pour regrouper ces déchets qui représentent environ 4,6% de la totalité des déchets nucléaires.
4 / *Une autre catégorie de déchets à vie longue regroupe ceux dont la radioactivité est considérée comme moyenne (MA-VL). Il s’agit essentiellement des structures métalliques ayant renfermé le combustible nucléaire pendant son séjour en réacteur ou des résidus issus du traitement des effluents rejetés par les installations. Ils sont pour la plupart enrobés dans du bitume ou du ciment, compactés et mis en conteneurs étanches. Au fil des avancées techniques leurs volumes ont été considérablement réduits (d’un facteur 10 en une vingtaine d’années). Ils représentent aujourd’hui 4,4% du volume total des déchets nucléaires. Ils sont entreposés principalement dans les usines Areva de La Hague et à Marcoule dans les centres de recherche du Commissariat à l’Energie Atomique. On prévoit pour eux un stockage définitif en couche géologique dans le Centre CIGEO, dont la réalisation est prévue en Meuse/Haute Marne, pour une mise en service en 2025. CIGEO abritera également les déchets de haute activité.
5 / *Les déchets de « haute activité » : 0,2% du volume ; 96% de la radioactivité – Ce sont ces déchets dits de « haute activité » (HA) – et dont certains sont également à vie longue (VL) – qui constituent, de loin, le problème majeur auquel l’industrie nucléaire doit faire face dans la gestion de ses résidus.. Ils ne représentent que 0,2% du volume total mais concentrent 96 % de toute la radioactivité émise par les déchets nucléaires présents en France !
Ces déchets sont en quelque sorte les cendres de combustion de l’uranium « brûlé » dans le cœur des réacteurs nucléaires. La stratégie française de traitement – recyclage aboutit à des déchets HA-VL exclusivement composés des cendres non réutilisables de ce combustible nucléaire.
Ces déchets sont un mélange de plusieurs radioéléments : certains résultent de la fission des noyaux d’uranium, d’où leur appellation de « produits de fission ». Ce sont par exemple le césium, le strontium, l’iode dans leurs différents isotopes…leur radioactivité est très élevée mais elle diminue assez rapidement car la durée de vie de ces produits est assez courte, allant de quelques années à quelques dizaines d’années. Les autres types de radioéléments formant les déchets HA -VL résultent de la capture de neutrons par des noyaux d’uranium qui n’ont pas fissionné. Cela donne des atomes qui relèvent de la catégorie des « actinides mineurs » comme par exemple les isotopes du neptunium, de l’americium, du curium : ces déchets ont une radioactivité peu ou moyennement élevée mais, en corollaire, une longue durée de vie, se chiffrant pour certains en milliers d’années.
Les déchets HA – VL sont dangereux et le restent sur de longues durées. Ils émettent, tout au moins dans les premiers temps de leur existence, des rayonnements intenses dont il faut impérativement se protéger. Ils sont une des contraintes majeures que doit gérer l’industrie nucléaire.
Cette gestion est facilitée, par leur faible volume : depuis les débuts du programme nucléaire, dans les années 1960, jusqu’en 2010, l’ensemble des déchets de Haute Activité et à Vie Longue produits en France, conditionnés dans leurs conteneurs, est de 2500 m3. Cela représente un cube de moins de 14 mètres de côté, ou une petite maison de deux étages. Même si le futur centre de stockage CIGEO doit être de vastes dimensions – car il faut ménager des espaces entre les conteneurs de déchets qui dégagent de la chaleur en raison de leur forte radioactivité – l’encombrement global restera limité, conférant à la question du stockage des déchets nucléaires et de leur impact dans les périodes à venir un caractère local.
Rappelons que ces déchets ne sont pas des gaz ou des liquides. Ils sont emprisonnés sous forme solide dans une matrice de verre et enfermés dans des conteneurs d’acier. Ce « colis », éventuellement placé dans un sur-conteneur, est disposé à l’intérieur d’une « alvéole de stockage », sorte de tunnel de quelques dizaines de mètres de longueur entouré de matériaux isolants en béton ou en argile. La dernière barrière est constituée par la couche géologique interposée entre le centre de stockage et la surface. La méthode consiste à aménager le stockage à l’intérieur d’une couche stable et imperméable et à une profondeur suffisante (400 à 500 mètres) pour le protéger des séismes éventuels des terrains de surface ou d’autres phénomènes d’érosion ainsi que de possibles intrusions, volontaires ou non.
Le choix d’un stockage géologique pour les déchets de haute activité n’est pas une particularité française. Il fait l’objet d’un large consensus international et beaucoup de pays y travaillent. Cette solution a, aux yeux de ses promoteurs, deux mérites essentiels : elle offre une sûreté totalement passive, ne réclamant pas d’action particulière à la charge des générations suivantes ; elle permet d’isoler les déchets de la biosphère pendant de longues durées, le temps que leur radioactivité soit revenue à des niveaux négligeables.
Le stockage CIGEO sera aménagé pour être « réversible ». Cela veut dire que les générations suivantes auront la possibilité de modifier ou d’optimiser, à mesure des progrès techniques, tel ou tel dispositif de l’installation. Les conteneurs de déchets pourront être éventuellement repris si l’on décidait de leur appliquer d’autres choix de gestion. Cette réversibilité pourra être maintenue pendant une longue période – une centaine d’années, voire plus si les futurs décideurs le jugeaient opportun – tout en permettant qu’à terme le stockage soit progressivement « fermé » et devienne une installation passive ne faisant plus l’objet d’intervention.