Débat : Les sels fondus sont-ils l’avenir du nucléaire ?

« Lançons un avant-projet français sur les réacteurs à sels fondus » propose John Laurie, blogueur scientifique, Fission Liquide
Certains pensent que le nucléaire est un domaine très résistant à l’innovation, que c’est trop difficile de changer.
Ceci est regrettable. L’humanité est face à une urgence planétaire qui exige de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Or, l’énergie nucléaire pourrait être un outil très efficace dans cette lutte si seulement elle répondait mieux aux attentes de la société et du marché, en particulier dans l’équilibre entre valeur, coût et temps pour la construction de nouvelles centrales.
La peur de l’énergie nucléaire, qu’elle soit rationnelle ou non, a augmenté considérablement son coût. Face à cette réalité, le besoin d’identifier et développer des concepts en rupture avec la technologie actuelle des réacteurs à eau pressurisée n’a jamais été aussi grand.
Les réacteurs à sels fondus (RSF) sont une branche technologique de la fission nucléaire qui a eu des débuts prometteurs dans les années 1950 et 1960, et dont le soutien politique et financier a été coupé dans les années 1970 au profit des filières à combustible solide.
Le coût d’un système d’énergie nucléaire est principalement fonction de son profil intrinsèque de sûreté : plus l’arbre des défaillances est étendu, plus il est nécessaire d’ajouter des systèmes complexes pour gérer les dangers. Depuis 40 ans, le paradigme dans le nucléaire est d’accepter ces dangers et de travailler à réduire les risques (la probabilité d’un incident), ce qui ne fait qu’augmenter le coût. Un RSF élimine la plupart des dangers à la source, permettant un élagage de l’arbre de défaillances, une simplification de la conception, et une réduction du coût.
Les avantages fondamentaux des RSF sont issus de l’utilisation d’un combustible liquide. Ils fonctionnent sans pression, de manière homéostatique, avec de très forts coefficients de contre-réaction, et avec une faible réserve de réactivité. Ils profitent des sels chimiquement stables pour confiner les produits de fission les plus dangereux, et de la convection pour évacuer passivement la chaleur résiduelle. Pilotables à la minute, avec une température de fonctionnement de 600-700°C, ils ouvrent de nouvelles opportunités de marché.
Que ce soit dans le domaine académique ou celui de l’industrie, nous assistons actuellement à un fort regain d’intérêt pour les RSF. Des développements avec commercialisation d’ici 10 ans sont financés en Amérique du Nord et en Chine, mais pas en Europe. Il est vrai que le retour d’expérience est faible, que les challenges dans le dialogue avec les autorités de sûreté sont considérables, que les changements de paradigme sont difficiles. Mais le potentiel et les compétences sont là pour faire de cette technologie un outil extraordinaire pour l’avenir énergétique de nos sociétés et pour l’équilibre délicat de notre climat.
Débat : Les sels fondus sont-ils l’avenir du nucléaire ?
Effet de mode ou filière d’avenir ? Frank Carré, Directeur scientifique du CEA
La coopération internationale vise aujourd’hui à compléter la connaissance des sels considérés, à sélectionner des matériaux capables de résister à la corrosion, à la haute température (650°C) et à l’irradiation, et à développer les procédés de traitement du sel pour en extraire les produits de fission. S’y ajoutent des études conceptuelles et de fonctionnement du réacteur pour en évaluer la faisabilité, la sûreté et la capacité de résistance aux risques de prolifération.
Les difficultés rencontrées par le nucléaire industriel au cours de la décennie 2010 ont suscité un regain d’intérêt pour les concepts en rupture avec les filières historiques, et nombre de consortia, principalement en relation avec le monde académique, ont entrepris d’étudier leur propre concept de réacteur à sels fondus avec l’aide de financements institutionnels.
Ces initiatives ne doivent pas masquer l’importance des besoins de R&D et des expérimentations qui subsistent pour porter les concepts étudiés au stade de réacteurs industriels et pour adapter le référentiel réglementaire de sûreté et de sécurité à leurs spécificités. Au-delà des démonstrations de principe, il s’agit de prouver la sûreté, la fiabilité et la compétitivité économique de l’ensemble « réacteur et usine de retraitement » sur le même site. Il s’agit aussi d’évaluer les apports de la filière en contrepartie des investissements en infrastructures spécifiques à consentir pour son déploiement et son exploitation.
Devant l’ampleur de la tâche, l’effort international de recherche et les projets de démonstrateurs peuvent être encouragés. Les réacteurs à sels fondus trouveront leur voie vers l’industrialisation s’ils confirment leurs atouts, et les recherches afférentes contribueront de toute façon à enrichir le corpus des technologies de l’énergie nucléaire, ainsi qu’à stimuler l’intérêt d’une jeune génération de scientifiques à innover dans ce secteur.
Le combustible se présente sous la forme d’un mélange de fluorure de thorium ThF4 et d’uranium UF4. Celui-ci circule en continu dans le coeur du réacteur, puis dans un échangeur, où la chaleur est extraite en vue de produire de l’électricité. Le circuit comprend également un dispositif de soutirage du mélange aux fins de retraitement et de réalimentation en thorium en ligne.
Les problèmes de corrosion étant particulièrement aigus, les matériaux envisageables pour l’échangeur de chaleur devront être qualifiés. Par ailleurs, différents procédés doivent être mis au point, en particulier l’extraction en ligne des produits de fission, ainsi que les procédés de retraitement. Enfin, tout le cycle du combustible devra être mis au point, d’abord au plan de pilotes technologiques et ensuite à l’échelle industrielle.