Aux Balkans, la relance au pluriel du nucléaire

Au sud-est du Vieux Continent, les projets nucléaires se multiplient. Tous les pays de la région disposant de réacteurs veulent augmenter la part de l’atome dans leur mix électrique tandis que la Serbie souhaite rejoindre le club des pays exploitants.
Signature d’EDF et d’Egis en Serbie pour réaliser une étude préliminaire technique, signature d’un contrat d’ingénierie en Bulgarie pour la construction de réacteurs de l’américain Westinghouse, report d’un référendum sur le nucléaire en Slovénie, extension de la centrale de Cernavodă en Roumanie, petits réacteurs modulaires en Grèce… En 2024, l’actualité nucléaire se bouscule au sud-est du Vieux Continent. Alors que les réacteurs de la région représentent environ 5 % de la production nucléaire européenne1, l’atome va durablement représenter une part importante de la production électrique pour les pays concernés. L’exploitation à long terme associée à la construction de nouvelles unités de technologie éprouvée permettra même d’accroître la production électrique bas carbone. Avec les projets bulgare, roumain et slovène, ce sont environ 5 GW de capacités supplémentaires qui pourraient être ajoutées au réseau européen d’ici à 2040.
Non pas « un » mais « des » nucléaires
Malgré un espace géographique resserré, le nucléaire de la péninsule balkanique revêt une grande diversité de formes. Dans les années 1970, la Bulgarie lance la construction de réacteurs russes (VVER) alors que la Yougoslavie choisit l’américain Westinghouse pour construire sa première unité dans l’actuelle Slovénie. Du côté de la Roumanie, le choix se porte sur la technologie à eau lourde et uranium naturel canadienne, le Candu, avec l’aide d’acteurs canadiens, italiens et américains – un choix qui dénote, dans les années 1980, pour un pays membre du Pacte de Varsovie, l’alliance défensive du bloc communiste en Europe orientale. La Roumanie est d’ailleurs toujours le seul pays exploitant des réacteurs Candu en Europe. Quant à la Serbie, elle ne comprend aucun réacteur sur son territoire, la République fédérale de Yougoslavie, dissoute en 2003, ayant mis au ban l’option nucléaire après l’accident de Tchernobyl en 1986. Enfin, la Grèce ne compte pas elle non plus de réacteurs nucléaires.
Malgré cette grande diversité d’histoire et de filières technologiques, tous ces pays partagent aujourd’hui un certain engouement pour le nucléaire dans un contexte mondial de tension énergétique et politique. Autre point commun, et non des moindres : la Bulgarie, la Grèce, la Roumanie et la Slovénie sont des États membres de l’Union européenne, la Serbie étant pays candidat depuis 20122.
La Serbie en pleine réflexion, avec le soutien français
La Serbie est un petit pays de 77 000 km², comparable à la région Nouvelle-Aquitaine, peuplée de plus de 6 millions d’habitants. Son approvisionnement électrique repose essentiellement sur les abondantes ressources en charbon (lignite)3, pour 70 % de son mix électrique, l’hydraulique en représentant 25 %, le gaz environ 4 % et l’éolien moins de 3 %. Le pays, sur la question nucléaire, avait hérité de l’ère yougoslave une loi interdisant les installations atomiques dont il s’est très récemment défait, le 27 novembre 2024.
Au Sommet nucléaire de Bruxelles de mars 2024, le président Aleksandar Vučić a souligné l’importance de l’atome pour la Serbie comme pour tout le continent européen, tout en reconnaissant le manque d’expérience de son pays dans le domaine. À la recherche de partenaires pouvant l’aider à atteindre ses ambitions, le pays a organisé un appel d’offres remporté en octobre 2024 par les français EDF et Egis qui ont bénéficié des meilleures notes techniques face à sept autres consortiums. L’alliance tricolore va réaliser une étude technique préliminaire comprenant un soutien pour la conception d’une feuille de route, la réalisation d’une étude générale sur les technologies nucléaires disponibles avec les chaînes de production associées et la réalisation d’études techniques sur l’intégration de capacités nucléaires sur le réseau électrique serbe. En parallèle, la Serbie rassemble ses experts : le 12 juillet 2024, le ministère de la Mine et de l’Énergie, les représentants de cinq autres ministères et des experts du monde scientifique, académique et industriel ont signé un accord de coopération pour le développement de l’atome. À ce stade, c’est-à-dire encore très en amont d’un potentiel premier chantier, la moyenne puissance (1 000~1 200 MW) et la petite puissance sont envisagées.
La relance slovène s’organise
Elle aussi pays de l’ex-Yougoslavie, la Slovénie, 2 millions d’habitants, dispose d’un réacteur nucléaire de licence Westinghouse de 700 MWe mis en service en 1981 à Krško. Codétenue par le croate HEP et le slovène Gen Energija, la centrale est située au sud du pays, à une quarantaine de kilomètres de Zagreb, la capitale croate Elle permet ainsi de répondre à environ 20 % des besoins électriques slovènes et à 16 % des besoins annuels croates4.
Pour augmenter sa production nucléaire, la Slovénie soutient deux projets : le premier consiste en la prolongation de l’exploitation de Krško pour vingt ans, obtenue en 2023 ; le second en l’ouverture d’une seconde centrale, nommée JEK 2, dotée d’un ou deux réacteurs pour une puissance totale située entre 1 000 MW et 2 400 MW. Lors de la World Nuclear Exhibition de fin 2023, EDF a soumis un corpus de propositions technico-commerciales pour la construction de deux réacteurs EPR 1200 ou d’un EPR de 1 600 MWe5. Un futur appel d’offres opposerait ainsi probablement EDF, le coréen KHNP et l’américain Westinghouse. Pour faire avancer ce projet, un référendum était initialement prévu pour le 24 novembre 2024 : « Soutenez-vous l’implémentation du projet JEK2 qui, avec les autres énergies bas carbone, assurera un approvisionnement stable en électricité ? » Mais un certain nombre de critiques sont apparues, quant à la formulation de la question, mais aussi au sujet du niveau d’information des citoyens, ce qui a provoqué le mécontentement d’une partie des parlementaires et l’annulation du vote. Le Premier ministre slovène Robert Golob a en conséquence indiqué qu’un second référendum serait organisé avant 2028, après une information du public plus robuste, « pour permettre aux citoyens de prendre une décision éclairée ». Par ailleurs, le modèle économique et la participation, ou non, des Croates restent à éclaircir. Le calendrier actuel vise un début de construction en 2032.
La Bulgarie, une relance à forte empreinte américaine
Le voisin bulgare, 6 millions d’habitants, exploite une centrale nucléaire à Kozloduy, au nord du pays, le long de la frontière avec la Roumanie. Sur ce site, quatre réacteurs russes VVER-440 sont en cours de démantèlement et deux VVER-1000 en exploitation, pour 30 % à 40 % de la production électrique du pays. C’est là que la Bulgarie souhaite faire construire deux réacteurs AP 1000 américains tout en envisageant l’ouverture d’une nouvelle centrale à Béléné, sur la rive droite du Danube. La relance nucléaire bulgare comporte ainsi un changement stratégique et technologique majeur.
Acté en janvier 2023, le choix du partenaire a d’ailleurs été le fruit d’un vote du Parlement, sans aucune mise en concurrence. Loin de faire l’unanimité, le vote de la chambre basse a tout de même remporté 112 voix pour, 45 contre et 39 abstentions.
Westinghouse, qui fournit la technologie, s’adosse au sud-coréen Hyundai Engineering & Construction pour la réalisation du chantier. Le 4 novembre 2024, l’américain a annoncé la signature du contrat d’ingénierie entamant le processus de certification, d’autorisation et d’implantation pour les deux futurs AP 1000 de la centrale de Kozloduy. Afin de se préparer au changement de partenaire, l’autorité de sûreté bulgare collabore avec son homologue polonais pour se former aux standards américains (ASME). La mise en service des deux unités est prévue en 2035 et 2037. Enfin, la Bulgarie n’abandonne pas le projet de relancer le chantier de la centrale inachevée de Béléné dont elle garde pour environ 700 millions d’euros d’équipements de technologie russe. Véritable serpent de mer du nucléaire bulgare, le projet a été gelé en 1991 suite à l’effondrement de l’URSS et les multiples tentatives de relances sont restées sans succès.
Enfin, la Bulgarie a engagé une diversification de l’approvisionnement en combustible avec Framatome et Westinghouse pour, à terme, ne plus dépendre, dès 2025 selon la presse, de la Russie qui assurait, seule, la fourniture en combustible des deux VVER du pays. Avant le début de la guerre en Ukraine, la Russie réalisait aussi le retraitement du combustible et la Bulgarie n’avait finalement pas à s’occuper de la partie déchet. L’accord étant maintenant caduc, les Bulgares doivent prévoir des espaces d’entreposage et de stockage des combustibles usés et se poser la question des modalités de la poursuite du retraitement.
La Roumanie mise sur ses installations historiques
Avec deux réacteurs en exploitation, le nucléaire roumain représente un peu moins de 20 % de la production électrique, au sein d’un mix diversifié : 20 % de charbon, 16 % de gaz, 25 % d’hydraulique et 12 % d’éolien6. Afin de faire croître la part du nucléaire et de réduire l’utilisation de combustibles fossiles, l’entreprise publique Nuclearelectrica a signé un contrat pour achever les unités 3&4 de l’unique centrale du pays à Cernavodă, sur le Danube à proximité de la mer Noire. Leur construction a été arrêtée en 1991 alors que la priorité avait été donnée à l’unité 1, mise en service en 1996, puis à l’unité 2, mise en service en 2007. Nuclearelectrica, via sa filiale EnergoNuclear en charge de la construction et de la mise en service des unités 3&4, a ainsi signé un contrat avec FCSA Joint venture pour mener à bien sa mission. FSCA Joint Venture rassemble, sous l’égide de l’américain Fluor, l’italien Ansaldo Nucleare, le canadien AtkinsRéalis et l’américain Sargent & Lundy Énergie.
En parallèle, le pays a signé en juin 20247 un accord avec ses partenaires canadiens pour réaliser les travaux nécessaires à la prolongation pour trente années supplémentaires des réacteurs à eau lourde Candu, acronyme de Canada deutérium uranium, en exploitation. Les opérations doivent débuter en 2027 sur l’unité 1 (mise en service en 1996). La seconde unité, mise en service dix ans après, bénéficiera très certainement des mêmes opérations un peu plus tard.
La Roumanie s’intéresse également à la petite puissance avec son partenaire américain. NuScale espère ainsi construire sa tête de série à Doicești, sur le site d’une ancienne centrale à charbon, après l’abandon du projet Carbon Free Power Plant dans l’Idaho. La centrale serait composée de six modules pour une capacité de 462 MW.
En Grèce, de l’intérêt pour la petite puissance
La Grèce vient conclure ce panorama balkanique avec une ouverture récente, mais notable, sur le sujet de l’électronucléaire. Le Premier ministre, Kyriákos Mitsotákis, a en effet montré un certain intérêt pour les petits réacteurs modulaires : « Il est impossible d’atteindre la neutralité carbone sans nucléaire, a-t-il notamment déclaré lors d’une conférence en juillet 2024. Nous devons regarder chaque solution possible ». Le nucléaire pourrait représenter une option intéressante pour la Grèce dont le solde d’échanges électriques est déficitaire (de 11 % en 2023) et dont les énergies fossiles représentent encore 50 % du mix électrique (gaz 34 %, charbon 10 %, pétrole 5 %).
1. 32 TWh en 2022 pour une production européenne totale de 609 TWh.
2. Demande déposée en 2009 et statut de pays candidat accordé en 2012.
3. Agence internationale de l’énergie, 2022.
4. Nuklearna elektrarna Krško.
5. EDF, communiqué du 30 novembre 2023.
6. Chiffres de l’année 2022, AIE.
7. WNN, « Cernavoda 1 refurb project framework agreement signed », 12 juin 2024.