8. L’enjeu « mémoriel » des déchets à vie longue - Sfen

8. L’enjeu « mémoriel » des déchets à vie longue

Publié le 24 avril 2023 - Mis à jour le 25 juillet 2023

Article publié dans la Revue Générale Nucléaire PRINTEMPS 2023 #1

Interview de Florence Poidevin, responsable du programme Mémoire à l’Andra, et Antoine Billat, responsable communication à l’Andra.

La gestion des déchets nucléaires a fait l’objet de la loi structurante de 1991 qui a défini trois voies de recherche les concernant : la transmutation, l’entreposage de longue durée (ces deux aspects étant pris en charge par le CEA) et le stockage géologique. L’Andra, qui est l’organisme public en charge de la gestion des déchets radioactifs, a reçu la mission de mener des recherches sur la partie stockage.

Son cœur de métier est le stockage de déchets radioactifs pouvant avoir une durée de vie courte ou longue. La question de la mémoire est donc intrinsèque à la réflexion de l’agence. Si le programme Mémoire en tant que tel existe depuis un peu plus de dix ans, la problématique « mémorielle » a toujours été prise en compte. Elle a pour objet de s’assurer que les générations futures, à plus ou moins grandes échelles de temps et en fonction du type d’information que l’on souhaite transmettre, ne perdent pas la trace de l’existence des centres de stockage et de ce en quoi ils consistent..

Pourquoi faut-il se souvenir des sites de stockage ? Après tout, n’y aurait-il pas du sens à organiser un oubli collectif de l’existence des déchets nucléaires après la fermeture des installations de stockage ?

Pourquoi se souvenir et pourquoi ne pas juste oublier ? Cette question préalable revient en effet parfois dans des discussions au sein de groupes de travail internationaux. Pendant un temps, les Finlandais étaient orientés vers la solution de l’oubli, ou plus exactement ne disposaient pas de programme Mémoire structuré pour leur projet Onkalo (l’équivalent de Cigéo en France). Ils sont aujourd’hui en train de revenir sur ce point. La dimension internationale du programme prend ici tout son sens pour l’échange de bonnes pratiques.

Les exigences réglementaires établies par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) fixent la durée de surveillance à 300 ans pour les sites de stockage en surface et 500 ans pour ceux établis en profondeur. À l’Andra, nous considérons en plus que la conservation de la mémoire relève également d’enjeux éthiques, et pas seulement liés à la sûreté. Nous ne voulons pas priver les générations futures de leur choix. En particulier, on ne veut pas gommer leur passé en décidant l’oubli à leur place. Cet enjeu suffirait à lui seul pour justifier l’existence de ce programme.

D’un point de vue pragmatique, le fait d’organiser l’oubli sur un sujet n’est pas si simple. Des travaux scientifiques en archéologie du paysage montrent que les traces d’activités anthropiques persistent longtemps. En clair, quand il y a eu construction humaine, on finit un jour ou l’autre par en avoir une trace. Sur le cas des déchets radioactifs, la curiosité humaine étant ce qu’elle est, organiser l’oubli peut donc s’avérer risqué : si de futurs humains trouvent par hasard des traces des stockages sans aucune information sur leur contenu, on peut parier qu’ils les fouilleront.

Comment s’élabore le programme Mémoire ?

Il a trois raisons d’être. La première est la préservation de la sécurité des humains qui pourraient pénétrer sur les lieux de stockage par inadvertance. Il faut savoir que ce sont les stockages eux-mêmes qui assurent la sûreté de façon passive. Par exemple Cigéo se situera à 500 mètres de profondeur, dans une couche inerte, ce qui ne nécessite pas d’intervention humaine. Toutefois, durant la phase d’exploitation, soit une centaine d’années, il faut disposer de certaines informations précises concernant l’installation pour agir en connaissance de cause.

Le deuxième objectif du programme est de développer une mémoire (contenue dans les documents très techniques des archives) permettant à court et moyen terme aux futurs décideurs techniques et administratifs (dirigeants de l’Andra ou personnel politique) de prendre des décisions éclairées et qui respectent la sûreté.

La troisième raison est l’enjeu de transmission d’un héritage culturel. L’énergie nucléaire est une découverte majeure du XXe siècle. Tout ce qui a trait à ce qui en a été fait dans tous les domaines est l’aboutissement d’un processus technico-scientifique. Nous pensons que préserver la mémoire de nos centres de stockage, un des volets de cette industrie nucléaire, c’est aussi préserver un pan de l’histoire scientifique technique et industrielle de ce siècle. Nonobstant le fait que préserver les principes scientifiques fondamentaux qui ont conduit aux réalisations concrètes et industrielles du nucléaire peut s’avérer utile aux générations futures ayant pu l’oublier.

Comment réalisez-vous la conservation et la valorisation des documents d’archives par sites de stockage ?

Nous avons déjà constitué un dossier synthé- tique de mémoire pour le site de la Manche. Sa vocation est de s’adresser au public le plus large possible, sur une échelle de temps la plus grande. La constitution de ces dossiers incombe aux personnes expertes du centre de stockage en question et aux archivistes, en lien avec le programme Mémoire. Pour les autres centres de stockage, il n’y a pas encore de format préétabli, mais on pense rester sur la même structure.

À côté de ça, on trouve un dossier détaillé de mémoire. Il s’agit d’une sélection des archives historiques. Aucun n’a encore été finalisé. Néanmoins, celui de la Manche est bien avancé et compte aujourd’hui 11 000 pages, une somme ! Nous ne sommes plus du tout sur la même échelle, c’est un document très technique à l’adresse des exploitants ou des décideurs de demain.

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Propos recueillis par Ilyas Hanine, Sfen

Photo I Un des deux disques de Saphir créé par l’Andra

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