4. La transmutation : retours d'expériences, enseignements et perspectives - Sfen

4. La transmutation : retours d’expériences, enseignements et perspectives

Publié le 24 avril 2023 - Mis à jour le 25 juillet 2023

Article publié dans la Revue Générale Nucléaire PRINTEMPS 2023 #1

La transmutation d’un radionucléide a pour objet de le transformer en un autre radionucléide de période radioactive plus courte. Des efforts de recherche considérables ont été conduits en ce domaine durant plus de deux décennies, la transmutation constituant l’un des buts affichés des systèmes nucléaires dits « de 4e génération ».

L’idée d’une gestion différenciée des éléments radioactifs à vie longue a percé notamment en Europe dès les années 1970 et 1980. Mais c’est en France qu’ elle a connu tout  particulièrement un essor considérable à partir de 1991, suite au moratoire sur le stockage géologique des déchets nucléaires, et à la loi Bataille qui identifiait la transmutation des radioéléments à vie longue comme l’un des grands axes des recherches à mener pour définir une politique de gestion à long terme appropriée. Aujourd’hui, alors que le stockage  géologique a été confirmé comme solution de référence pour les déchets les plus radioactifs et que l’Autorité de sûreté nucléaire française a rendu des avis peu favorables au déploiement de la transmutation, apparaissent pourtant nombre de projets, en France et à l’international, témoignant d’un indéniable regain d’intérêt pour la transmutation.

La Sfen a tenu une série de séminaires sur le sujet en 2021, afin de dresser un état des acquis et des perspectives, et de faire un tour d’horizon des technologies aujourd’hui envisagées, avec leurs promesses mais aussi l’identification des difficultés à surmonter.

La transmutation : quels enjeux ?

Réduire la « nocivité potentielle » à long terme des déchets finaux

C’est l’objectif premier, « historique », de la transmutation : diminuer la toxicité radiologique ou « radiotoxicité » des déchets finaux, en éliminant de ces derniers les radionucléides à vie longue qui contribuent à leur radiotoxicité résiduelle à très long terme. La radiotoxicité considérée ici s’entend comme le détriment radiologique (exprimé en Sv) qui serait subi par une population qui ingèrerait le contenu des déchets sans prendre aucunement en compte les différentes barrières, naturelles ou ouvragées, interposées entre le déchet et la biosphère.

On « cible » généralement dans cette approche la diminution de la radiotoxicité résiduelle « à long terme », c’est-à-dire dans la période de mille à un million d’années après déchargement du combustible usé (avant 1 000 ans, le confinement est garanti par les mesures prises durant le stockage ; après 1 000 000 d’années, la radiotoxicité résiduelle est devenue très faible).

Une analyse de l’évolution de la radiotoxicité du combustible usé après déchargement du réacteur fait apparaître que ce sont les éléments transuraniens (plutonium en premier lieu, puis autres actinides mineurs comme neptunium, américium et curium) qui sont, et de très loin, les principaux contributeurs à la radiotoxicité à long terme. La contribution des produits de fission, majoritaire dans les premières années qui suivent le déchargement, s’efface ensuite de façon assez brutale en raison de la plus courte période radioactive de la plupart d’entre eux (inférieure à quelques dizaines d’années pour l’essentiel des produits de fission, contre jusqu’à plusieurs millénaires pour les transuraniens et leurs descendants).

Le recyclage du plutonium évite sa présence dans les déchets. Restent les actinides mineurs dont l’importance relative dans la radiotoxicité des déchets est due dans un ordre décroissant à l’américium, au curium, et enfin au neptunium.

Réduire l’impact radiologique d’un stockage géologique

Il s’agit cette fois d’un critère attaché à un mode de gestion particulier, et non plus d’un critère « intrinsèque ». Les propriétés de migration des radionucléides dépendant en outre des caractéristiques du concept de stockage retenu, et de celles du milieu géologique hôte, chaque situation constitue un cas d’espèce. Ainsi, pour un stockage en couche argileuse tel qu’envisagé par le projet Cigéo, les actinides mineurs sont quasiment immobiles même après dissolution de leur matrice de verre. Dans les conditions chimiques qui prévalent dans ces eaux de sous-sol, ils précipitent et ne sont ainsi que très peu solubles et donc très peu mobiles. Cela nourrit d’ailleurs un questionnement sur la pertinence du critère de radiotoxicité évoqué plus haut. Si les actinides ne sont pas mobiles en stockage, quel intérêt à chercher à les éliminer des déchets ultimes ? C’est le sens de l’avis rendu par le Collège de l’ASN (et qu’appuie l’IRSN), concluant au peu d’intérêt d’une stratégie de transmutation lourde, et in fine peu utile, dans le contexte d’un stockage géologique dans l’argile.

Ce sont certains éléments (produits de fission ou d’activation à vie longue) peu abondants, bien moins radiotoxiques mais toutes proportions gardées plus «contribuer de façon prépondérante à la dose estimée à la sortie du stockage, parce qu’ils sont plus solubles et aussi moins bien piégés dans l’argile : iode 129, sélénium 79, chlore 36… Aussi, certains ont avancé l’idée d’une transmutation de tels éléments mais celle-ci apparaît aujourd’hui d’un intérêt potentiel très limité, car les doses estimées à l’exutoire en l’absence de transmutation restent plusieurs ordres de grandeur en deçà de la radioactivité naturelle.

Diminuer la chaleur résiduelle des déchets en situation de stockage

Cet objectif vise à simplifier la mise en oeuvre d’un stockage géologique en retirant des déchets les principaux contributeurs à la puissance calorifique qu’ils dégagent. L’extension spatiale d’un stockage est étroitement liée à la charge thermique des déchets. Celle-ci est, près d’un siècle après le déchargement des combustibles usés, (un ordre de grandeur envisagé pour la durée d’entreposage des déchets mobiles », qui vont vitrifiés en puits de décroissance préalable à la mise au stockage) essentiellement le fait de la radioactivité de l’américium 241. On estime que retirer l’américium des déchets ultimes permettrait des gains significatifs sur la compacité du stockage, et cela d’autant plus que la durée de la phase d’entreposage préalable sera longue (permettant la décroissance effective des produits de fission) ; avec un concept tel que Cigéo, l’emprise au sol des alvéoles de stockage des déchets vitrifiés serait fortement diminuée.

En somme, il semble aujourd’hui admis que si l’on envisage une stratégie de transmutation, la cible prioritaire est constituée par les actinides mineurs, et, parmi ces derniers, en premier lieu par l’américium en raison de sa contribution séculaire essentielle à la charge thermique des déchets. Il est important de noter qu’une telle stratégie de transmutation ne prend son sens que si le plutonium a préalablement été retiré des déchets finaux.

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Par la section technique 5 de la Sfen (Cycle du combustible nucléaire), coordonné par Cécile Evans, présidente de la ST 5, directrice marketing et développement stratégique dans les activités aval chez Orano.

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