1. « Désormais, la connexion est faite entre les moyens et les objectifs »
Lors de la Convention de la Société française d’énergie nucléaire de juin 2022, Xavier Ursat, directeur exécutif en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire d’EDF, a dressé le portrait de la famille EPR à travers le monde. Retrouvez ici son discours en quasi-intégralité.
« La famille EPR, après des années parfois un peu compliquées, est en train d’amorcer un moment significatif et passionnant de son histoire dans un contexte mondial très particulier. Nous vivons une urgence climatique – du moins, nous aimerions bien que l’urgence climatique soit prise comme telle ; une urgence de souveraineté alors que la géopolitique est devenue plus fragile, plus incertaine ; et une urgence énergétique. Il ne faut jamais oublier qu’une grande partie de la planète n’a pas accès à une électricité quotidienne, ce qui est un facteur de développement humain tout à fait fondamental. Dans cette triple urgence, le nucléaire – après des années d’hésitations dans certains pays et le nôtre en particulier – est en train de s’imposer ou en tout cas de se présenter comme une solution importante et sans doute incontournable au côté des renouvelables pour développer une électricité de qualité, au coût maîtrisé et stable dans la durée, pilotable et évidemment bas carbone. C’est une solution sans doute indispensable à tous les pays comparables au nôtre avec des ressources naturelles limitées, une population significative, une industrie qui veut grandir et la volonté d’aller vers une neutralité carbone dans une trentaine d’années.
Un programme industriel en France
En France, le président de la République a annoncé, au mois de février dernier, à Belfort, dans un discours extrêmement important pour toute l’industrie, des axes très forts sur les orientations énergétiques à l’horizon 2050. Il a réaffirmé la nécessité d’accélérer le développement des renouvelables et a insisté sur la prolongation des réacteurs nucléaires actuellement en exploitation autant que possible à chaque fois que la sûreté sera au rendez-vous. Ceci est une évolution majeure par rapport à la position précédente où une espèce de dogme, sorti d’une équation bizarre, voulait que nous atteignions à une date inconnue 50 % de nucléaire dans le mix énergétique. Je dirais que, enfin, le pragmatisme revient et nous essayons de faire la connexion entre les moyens et les objectifs. (…)
Il a aussi confirmé la construction d’une série de six réacteurs EPR 2 en France, un cousin très proche de l’actuel EPR. La demande a été faite à EDF d’étudier une extension de ce programme jusqu’à 14 unités à mettre en service d’ici à 2050. C’est un signal très fort de la place durable du nucléaire. C’est aussi un signal très fort de compréhension que le nucléaire doit se remettre à chaque fois que possible et autant que possible dans une logique industrielle. Quand vous comptez les procédures administratives du premier réacteur. Nous sommes en discussion très avancée avec le gouvernement britannique pour une deuxième paire de réacteurs à Sizewell.
Nous sommes également très actifs en Inde. C’est un pays où il est toujours difficile de préciser quand nous allons signer. Tous les sujets techniques ont été finalisés : c’est-à-dire la configuration technique précise des six réacteurs de Jaitapur, à 300 km au sud de Mumbai sur la côte occidentale. C’est déjà un pas en avant énorme avec les autorités publiques indiennes, l’autorité de sûreté et le client1. Le second semestre 2022 sera largement consacré aux aspects commerciaux, contractuels et financiers. J’espère que, d’ici la fin de l’année ou début 2023, nous pourrons converger sur ce projet.
L’EPR 1 200
En République tchèque, un appel d’offres formel, ouvert et équitable a été lancé. Nous sommes trois concurrents : les filières française, coréenne et américaine. Nous préparons en République tchèque un
réacteur moyenne puissance de 1 200 MWe dont nous sommes en train de finaliser le basic design. Cela fera de l’EPR la première gamme de réacteurs apte à offrir la moyenne puissance et la très haute puissance avec des designs extrêmement proches. L’EPR 1 200 aura une conception générale la plus proche possible (de l’EPR). Évidemment, la cuve sera un peu différente et il y aura un peu moins d’assemblage. Les effets de retour d’expérience, de partage d’apprentissage d’exploitants, de politique de maintenance pourront être partagés dans une flotte européenne entre des EPR 1 200 et des EPR de la gamme haute puissance. Je crois que c’est un pas en avant pour que le “E” de EPR resignifie à nouveau European2, ce qui était son destin de départ et qui avait peut-être été un peu oublié en cours de route.
Nous continuons le design de Nuward, le SMR français qui se situe dans la lignée des réacteurs à eau pressurisée de troisième génération pour atteindre la maturité rapidement. La filière française, dès aujourd’hui, possède une gamme complète de réacteurs allant des SMR de petite puissance à l’EPR, en passant par l’EPR 1 200. Cette offre intégrée est tout à fait unique et fondamentale.
Être prêts !
Notre priorité pour la période qui vient est d’être prêts ! Nous sortons d’une période où nous avons construit les réacteurs un par un, ou par deux dans le meilleur des cas comme à Taishan ou à Hinkley Point. L’effet industriel était peu présent. Nous passons à une étape où le plan de charge devant nous peut paraître un peu vertigineux : potentiellement 14 EPR 2 en France, 6 EPR en Inde, 2 de plus au Royaume-Uni, quelques-uns en Europe de l’Est… Tout cela d’ici 2050, plus quelques activités sur Nuward, cela fait un plan de charge considérable. Mais c’est ce que nous avons cherché à obtenir ! Cela nous confère une grande responsabilité et toutes les équipes d’EDF abordent cette période avec beaucoup d’humilité. Nous savons les difficultés que nous avons rencontrées sur les projets précédents. Nous savons les difficultés sur lesquelles nos équipes à Hinkley Point ou à Flamanville se battent et avancent tous les jours. (…)
Nous continuons plus que jamais à intégrer le travail des projets précédents. L’EPR 2 est d’abord un projet de retour d’expérience. Nous avons essayé d’y concentrer tout ce que nous avons appris des constructions et des mises en service des premiers réacteurs. Nous essayons d’embarquer le plus tôt possible la filière industrielle. Pour le premier béton (de l’EPR 2) de Penly en 2027, nous aurons signé l’essentiel des contrats avant fin 2023. Et, ces contrats seront signés pour au moins six réacteurs.
Pour faire face à tout ce programme de prolongation du parc, de travail sur les installations du site et de constructions de nouveaux réacteurs, la question des compétences est clé. Nous avons besoin en 2030 d’environ 30 % à 35 % de personnes en plus dans le nucléaire, cela représentera une filière d’environ 300 000 personnes. Pour y faire face, il y a évidemment des sujets de recrutement, d’attractivité, de formation, de lien entre les universités, les centres de formation et les entreprises. Nous y mettons aujourd’hui beaucoup d’énergie au sein de toutes les instances de la filière avec la création d’une université des métiers du nucléaire.
Expliquer le nucléaire
Le nucléaire est une énergie qui a la particularité d’être un peu moins facile à expliquer que les autres énergies. Tout le monde comprend aisément ce qu’est une éolienne, une centrale hydroélectrique ou même globalement un panneau solaire. Le nucléaire est un peu plus complexe et c’est important d’arriver à partager avec nos concitoyens, avec les décideurs politiques, avec les décideurs économiques ce que sont les métiers du nucléaire, c’est-à-dire des métiers passionnants, variés, de hautes technologies (…).
Plus que jamais dans cette période, il faut expliquer cette énergie que l’intelligence humaine est allée chercher alors qu’elle était un peu cachée dans la matière. Il faut expliquer que c’est une solution passionnante et décisive au côté du renouvelable pour nous aider à lutter contre le changement climatique, qui est une menace que nous percevons comme trop lointaine alors qu’elle est déjà là. Pour y parvenir, une obsession de la filière doit être que ces six EPR 2 en France, peut-être quatorze, et ces réacteurs à l’international soient livrés en qualité, en temps et dans les coûts fixés. C’est le vrai défi de la
filière nucléaire. Nous y sommes prêts. »
1. Nuclear Power Corporation of India.
2. L’European Pressurized Reactor (EPR) a été renommé Evolutionary Power Reactor.