[Série #4] Les discours fondateurs du nucléaire civil – l’énergie nucléaire fait partie de la solution (2015) - Sfen

[Série #4] Les discours fondateurs du nucléaire civil – l’énergie nucléaire fait partie de la solution (2015)

Publié le 31 décembre 2025

Qu’ils soient prononcés dans un contexte de crise, de coopération internationale ou de construction institutionnelle, certains discours font basculer l’histoire. Depuis près de 80 ans, plusieurs d’entre eux ont contribué à façonner le nucléaire civil et la coopération internationale telle qu’elle existe aujourd’hui. Cette série revient sur ces prises de parole et décisions fondatrices des usages pacifiques de l’atome. Aujourd’hui, retour sur l’engagement de 39 associations mondiales nucléaires pour placer le nucléaire comme une solution face au changement climatique à l’aube de la COP21.

L’année 2015 occupe une place singulière dans l’histoire récente du nucléaire civil. Année de la COP21 à Paris, elle aurait pu marquer la reconnaissance pleine et entière du rôle du nucléaire dans la lutte contre le changement climatique. Elle fut au contraire, paradoxalement, une année de mise à l’écart.

En France, 2015 est l’année du vote de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV). Celle-ci acte un objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix électrique à l’horizon 2025, indépendamment de toute analyse climatique ou de sécurité d’approvisionnement. À l’international, le nucléaire connaît une période de stagnation, voire de recul, dans un contexte encore marqué par l’accident de Fukushima.

Dans le même temps, la préparation de la COP21 révèle une marginalisation assumée du nucléaire dans le discours climatique officiel. La décision est prise de ne pas aborder le nucléaire lors des négociations, ni même sur le stand France, sur instruction du ministère. Le message est clair : le climat se discutera sans le nucléaire.

Le climat confisqué par le récit du 100 % renouvelables

À la veille de la COP21, la question climatique est largement appropriée par les organisations écologistes sous l’angle du « 100 % renouvelables ». Des campagnes de communication marquantes, comme celle de Greenpeace avec une Tour Eiffel recouverte de panneaux solaires, s’imposent dans l’espace médiatique.

Même le GIEC, pourtant référence scientifique centrale du processus des COP, entretient une certaine ambiguïté. Sur son site institutionnel, la liste des solutions proposées pour lutter contre le changement climatique ne mentionne pas explicitement le nucléaire, alors même que ses rapports soulignent de façon répétée son faible niveau d’émissions de CO₂ sur l’ensemble du cycle de vie.

Une réaction du monde scientifique : le manifeste de 2015

C’est dans ce contexte qu’émerge, en 2015, une initiative forte portée par la Société Française d’Énergie Nucléaire (SFEN), en association avec l’European Nuclear Society (ENS) et l’American Nuclear Society (ANS). L’objectif est clair : redonner une voix au monde scientifique et technique du nucléaire dans le débat climatique. Elle s’inscrit dans la continuité de « Nuclear for climate » créé en 2014.

À l’occasion de la conférence internationale ICAPP, 39 sociétés savantes et associations scientifiques du nucléaire signent un manifeste commun affirmant leur engagement dans la lutte contre le changement climatique. La déclaration est solennelle, portée par une cérémonie marquante et une vidéo largement diffusée sur les sites des organisations participantes et sur les réseaux sociaux.

Le message central est sans ambiguïté : « l’énergie nucléaire fait partie de la solution dans la lutte contre le changement climatique ».

Dire ce que la science sait, et ce que vivent les acteurs

Ce manifeste poursuit deux objectifs principaux. Le premier est pédagogique : rappeler, sur la base de la littérature scientifique, que le nucléaire est une énergie bas carbone. Les signataires s’appuient notamment sur les travaux du GIEC (rapport 2014), qui montrent que les émissions de gaz à effet de serre du nucléaire sur l’ensemble de son cycle de vie sont comparables à celles de l’éolien et nettement inférieures à celles des énergies fossiles.

Le second objectif est plus humain et symbolique : donner la parole à celles et ceux qui travaillent dans le nucléaire. Dans un contexte de dénigrement croissant et de silence institutionnel, le manifeste exprime un sentiment de fierté professionnelle et de responsabilité climatique. Il affirme que les ingénieurs, chercheurs et exploitants du nucléaire ne défendent pas une technologie par corporatisme, mais parce qu’ils estiment, sur la base des faits, qu’elle contribue concrètement à la décarbonation.

Un discours fondateur discret mais durable

Pour la première fois à cette échelle, la communauté scientifique nucléaire internationale se positionne explicitement comme acteur de la lutte contre le changement climatique. Elle ne réclame pas un traitement de faveur, mais une reconnaissance fondée sur la science.

Dix ans plus tard, alors que la question du triplement du nucléaire d’ici 2050 est désormais sur la table, ce manifeste apparaît rétrospectivement comme un texte précurseur. Il marque le moment où le nucléaire cesse d’être seulement une solution énergétique pour devenir, explicitement, une solution climatique. ■

Par Valérie Faudon, Déléguée générale de la Sfen

Image : @Nuclear for climate