SMR/AMR : la France et l’Europe peuvent encore rattraper leur retard, selon la CRE - Sfen

SMR/AMR : la France et l’Europe peuvent encore rattraper leur retard, selon la CRE

Publié le 11 septembre 2025

Malgré l’avance de la Chine, des États-Unis et de la Russie dans la course aux petits et aux réacteurs modulaires avancés, tout n’est pas joué. Selon un rapport de la Commission de régulation de l’énergie, publié le 9 septembre, la France et l’Europe peuvent encore s’imposer, à condition de mobiliser des financements publics massifs, d’harmoniser leurs réglementations et de miser sur les usages thermiques, jugés les plus prometteurs.

Le retard est encore rattrapable. Malgré l’avance de la Chine, des États-Unis ou encore de la Russie, la France et l’Europe peuvent encore tirer leur épingle du jeu dans la course aux SMR et AMR. Du moins, si les acteurs publics y mettent les moyens. C’est le constat dressé par le groupe de travail de la Prospective de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) dans son rapport « L’insertion des petits réacteurs modulaires (SMR/AMR) dans les systèmes énergétiques », publié le 9 septembre.

« Le développement des SMR n’en est encore qu’à sa phase de développement, le prototypage et l’industrialisation des technologies seront les moments les plus critiques », souligne François Lévêque, co-président du groupe de travail lors d’une conférence de présentation. Même si les SMR les plus avancés ont passé l’étape technologique et seront probablement commercialisés dans les années 2030, « leur compétitivité repose sur leur modularité et les effets de série, qui n’ont pas encore été atteints », ajoute Anne-Marie Choho, co-présidente du groupe de travail et directrice générale de Setec.

L’argent roi

« Ce qui explique l’avance d’autres pays par rapport à la France aujourd’hui, ce n’est pas la technologie mais l’investissement pour la phase de prototype », poursuit Anne-Marie Choho. Les chiffres ne mentent pas : les besoins des développeurs se comptent en milliards d’euros. Si de tels montants ont été atteints par les pays les plus en avance, notamment aux États-Unis et en Chine, ce n’est pas le cas en Europe. La concurrence technologique entre les différents concepts de SMR et d’AMR est encore forte aujourd’hui. « La technologie choisie ne sera pas forcément la plus performante, rappelle François Lévêque. Mais elle deviendra la plus performante parce qu’elle a été sélectionnée. »

Soutien public nécessaire

Le financement privé ne peut être la seule solution. Le retour sur investissement de la phase de prototypage est trop incertain pour que des acteurs privés s’y lancent seuls. « Si des financements privés de capital-risque ont été obtenus par certains projets européens de SMR/AMR pour leur étape d’émergence, aucun fonds d’investissement prêt à financer l’étape, bien plus onéreuse et plus longue, d’industrialisation de ces réacteurs, n’a été identifié », détaille le rapport de la CRE.

L’accompagnement conséquent par des fonds publics paraît donc indispensable au groupe de travail de la Prospective. « Il est évident que tous les projets n’aboutiront pas, mais il ne faut pas voir cela comme de l’argent gaspillé, soutient François Lévêque. C’est le propre de la R&D de ne pas tout réussir. Il faut cependant tirer des enseignements et des technologies de chaque projet. »

Un financement significatif par pays, ou organisé au niveau européen, sur quelques projets prometteurs faciliterait l’atteinte des effets de série sur le marché des 27, tout en réduisant les délais et les coûts. Et permettrait de pallier les difficultés de certains développeurs, comme Naarea start-up française placée en redressement judiciaire dans l’attente de nouveaux fonds privés. « Nous nous rapprochons d’un moment d’unification des forces de recherche et de consolidations de certains projets », analyse Philippe Stohr, directeur des énergies au CEA.

La calorie plutôt que l’électron

Autre difficulté soulevée par le rapport : la réglementation. « L’échelle minimale pour parvenir à ces effets de série est l’Europe, non la France », détaille le rapport. « Il est donc essentiel d’harmoniser les réglementations au niveau européen », a mis en avant Pierre-Marie Abadie, président de l’ASNR. Cette prise de conscience réglementaire et collective doit notamment s’appliquer au domaine de la chaleur. Par exemple, « les SMR sont pour le moment pénalisés par la transposition par la France de la directive européenne Efficacité énergétique », note la CRE. Le droit français n’intègre pas de neutralité technologique dans sa définition de réseau de chaleur dit  « efficace », empêchant les réacteurs nucléaires d’accéder aux régimes d’aide et de fiscalités favorables, contrairement aux énergies renouvelables et de récupération.

Pourtant le rapport met bien en évidence que les usages les plus prometteurs pour les SMR et AMR en France métropolitaine et en Europe sont la production de chaleur. D’une part, contrairement aux électrons, les calories ne peuvent pas être transportées sur des distances au-delà de 25 kilomètres. « Cette contrainte est propice aux petits systèmes de production locaux », poursuit la CRE. D’autre part, « pour une même taille de réacteur, la quantité d’énergie produite sous forme de chaleur est deux à trois fois supérieure à celle produite sous forme d’électricité », explique la commission. La production de chaleur permet ainsi d’atteindre des prix plus faibles par kilowattheure produit, et donc une meilleure compétitivité. Un besoin de chaleur décarboné techniquement adressable par les SMR et AMR est estimé à plus de 80 TWh par an aujourd’hui, et pourrait dépasser les 100 TWh en 2050. Pour la France, particulièrement, le marché de chaleur est d’autant plus intéressant que la production d’électricité est déjà largement décarbonée, et que des tensions existent quant au bouclage de la biomasse. ■

Par Simon PHILIPPE

Photo : © Pininfarina / Newcleo