Zaporijia : quelle est la situation des six réacteurs en « arrêt à froid » ? - Sfen

Zaporijia : quelle est la situation des six réacteurs en « arrêt à froid » ?

Publié le 21 novembre 2022
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Après une période d’accalmie de plusieurs semaines, de nouveaux bombardements ont touché le site de la centrale de Zaporijia. L’AIEA appelle à un arrêt immédiat de ces frappes. Toutefois, si le site de la plus grande centrale nucléaire en Europe doit rester préserver de toute agression, sa situation est beaucoup plus simple depuis que les six réacteurs ont été placés en situation « d’arrêt à froid ».

L’AIEA a dénoncé de nouveaux bombardements sur le site de la centrale ukrainienne de Zaporijia. Son Directeur général Rafael Grossi appelle les belligérants à mettre fin immédiatement cette situation « gravissime ». Si la douzaine d’explosion n’a eu aucun impact sur le site et qu’aucun relevé radiologique anormal n’a été enregistré, on retrouve une certaine tension dans la zone après une période d’accalmie.

Dans un communiqué, l’AIEA signale « des dommages à plusieurs endroits, notamment un bâtiment de stockage et de déchets radioactifs, des systèmes du bassin de refroidissement, un câble électrique vers l’un des réacteurs, des réservoirs de stockage de condensat et un pont entre un autre réacteur et son auxiliaire ». Toutefois, le site de Zaporijia n’est plus aussi sensible qu’il l’a été, il y a encore quelques mois. Depuis mi-septembre, les six réacteurs de la centrale ne sont plus en production et sont dits en situation d’arrêt à froid.

Qu’est-ce que l’arrêt à froid ?

Dans un réacteur dit à « eau pressurisée » (REP), comme ceux qui équipent le parc nucléaire français, l’eau (jusqu’à 330 °C) est maintenue liquide grâce à une haute pression (155 bars). Elle circule dans circuit principal dit « primaire ». Cette eau transfère ensuite cette chaleur à un autre circuit d’eau dit « secondaire » via un générateur de vapeur. L’eau de ce second circuit permet d’entraîner une turbine reliée à un alternateur qui produit de l’électricité.

Pour arrêter un réacteur nucléaire, on insère dans le cœur des barres absorbantes de neutrons qui « étouffent » totalement la réaction en chaine en quelques dizaines de secondes. Cependant, le cœur continue en fait à dégager de l’énergie à cause du très fort rayonnement radioactif émis par les produits de fissions (PF) qui se sont accumulés. La plupart d’entre eux sont à période courte ou même très courte (moins d’une seconde) ce qui fait que juste après l’arrêt la « puissance résiduelle » diminue très rapidement, mais elle reste tout de même très intense pendant des jours et même des mois à cause de la période assez longue de certains PF (jusqu’à 30 ans).

Besoins de refroidissement réduits

Pour fixer les idées, disons que dans les premières secondes après l’arrêt complet de la réaction en chaine, elle s’élève à environ 7 % de la puissance thermique initiale du réacteur en fonctionnement, soit autour de 200 MW pour un réacteur de 1 000 MWe (3 000 mW thermiques). Il faut donc impérativement évacuer cette chaleur en faisant circuler de l’eau froide à travers le cœur, faute de quoi la température du combustible peut augmenter dangereusement. Pour imager ce phénomène, on peut prendre la comparaison avec un moteur thermique de voiture qui continue à être très chaud après son arrêt complet (contact coupé).

Dans les premières heures après l’arrêt, le dégagement de puissance est si élevé que le refroidissement du cœur ne peut se faire qu’à l’aide du circuit primaire principal de refroidissement utilisé en fonctionnement normal. Mais au bout d’une vingtaine d’heures il devient possible d’ouvrir un circuit auxiliaire qui est connecté à ce circuit principal et dont les capacités de refroidissement se substituent à celles du circuit primaire pour la simple raison que les moyens de réfrigération de ce circuit primaire sont d’autant moins efficaces que la température dans ce circuit est faible.

La mise en service de ce circuit appelé « RRA » (pour Refroidissement du Réacteur à l’Arrêt) ne peut se faire que sous certaines conditions, notamment pour ce qui concerne la température et la pression de l’eau primaire. Typiquement cette température ne doit pas dépasser 180 °C et la pression doit être inférieure à 31 bars. Avant d’atteindre ces conditions, on est dans une phase dite d’ « arrêt à chaud » et on bascule ensuite vers une phase dénommée par opposition « arrêt à froid », dès lors que ce RRA est actionné. Cet arrêt à froid est caractérisé par une température inférieure à 100 °C (typiquement inférieure à 60 °C) et une pression de l’ordre de la pression atmosphérique[1].

Evolution de la puissance résiduelle d’un cœur délivrant 3 000 MW à  pleine puissance après un arrêt en fin de cycle (combustible uranium)

D’autres points de surveillance

Outre les bâtiments réacteurs, les autres points sensibles du site sont un bâtiment de stockage de déchets nucléaires qui a été touché par les bombardements, mais qui est resté intègre selon les relevés radiologiques sur place. En outre, les sources d’apprivoisement en électricité et en source froide sont également clés. Les lignes électriques ont été touchées à plusieurs reprises par le passé, demandant aux générateurs diesel de prendre le relai, mais cette fois-ci elles ont été épargnées. Dans les jours qui viennent, une enquête des agents de l’AIEA sur place devrait donner plus de détails sur la situation de la centrale. ■

Par Dominique Grenêche (président de la ST1 de la Sfen) et Ludovic Dupin (Sfen)

Photo : CARL COURT / GETTY IMAGES EUROPE / GETTY IMAGES VIA AFP

[1] En situation normale, ces conditions permettent d’ouvrir le couvercle de la cuve principale contenant le cœur pour procéder au rechargement du combustible (remplacement des assemblages de combustibles usés par des assemblages neufs.

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