Valéry Giscard d’Estaing : l’héritier du plan Pompidou-Messmer - Sfen

Valéry Giscard d’Estaing : l’héritier du plan Pompidou-Messmer

Publié le 5 février 2021 - Mis à jour le 7 janvier 2022
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Fervent défenseur du nucléaire, Valéry Giscard d’Estaing (1926-2020) hérite du programme nucléaire lancé en 1974 par Georges Pompidou et son Premier ministre Pierre Messmer et fait, sous son septennat (1974-1981), de l’atome la pierre angulaire de l’autonomie de la France.

« Non, la France n’est pas incapable ! Elle a lancé en sept ans un programme de 45 centrales nucléaires [1] ».

« La majorité du peuple français a choisi l’indépendance nucléaire car c’était un choix de courage ! Nous ne voulions pas être dépendants indéfiniment du bon vouloir ou des caprices de ceux qui nous décomptaient le pétrole et qui en fixaient le prix à leur guise », déclarait Valéry Giscard d’Estaing durant un meeting de campagne présidentielle à Dax, le 20 avril 1981 [2].

Alors hué par quelques personnes vraisemblablement réfractaires à l’atome, il rétorqua : « Si vous êtes pour la France asservie, si vous voulez que la vie économique et sociale de la France dépende des caprices des autres, alors vous pouvez dire non, mais vous dites non tout seul ! ». Des paroles qui illustrent avec force l’importance de l’atome pour le président de la République. C’était son prédécesseur, Georges Pompidou, décédé en avril 1974, qui avait décidé avec son Premier ministre Pierre Messmer de lancer un programme de construction de « treize centrales nucléaires de 1 000 MW » en réponse à la crise pétrolière de 1973. Le 6 mars 1974, le plan Messmer était présenté aux Français lors du journal de 20 heures ; deux mois plus tard, Valéry Giscard d’Estaing, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances (1969-1974), était élu président de la République [3].

La continuité du programme nucléaire français

En 2011, interrogé par Le Monde, Valéry Giscard d’Estaing revenait sur le programme nucléaire français. « Le choix de la France en 1973, confirmé et amplifié en 1975 au début de mon septennat, était réfléchi. Il n’était dicté ni par la passion ni par l’improvisation, mais tenait au fait que la France n’avait plus d’énergie disponible sur son sol, et qu’il serait dangereux de dépendre entièrement des importations de l’étranger. Ce choix a été débattu dans les enceintes compétentes, et les meilleurs ingénieurs du pays y ont été associés. Il a été validé scientifiquement et politiquement y compris par le Parti communiste, qui se situait pourtant alors dans l’opposition », rappelait-il. Fraîchement élu, le président s’était d’abord donné un peu temps avant de poursuivre deux programmes d’envergure : le nucléaire et le spatial [4]. C’est en février 1975 que le gouvernement de Jacques Chirac autorisait officiellement EDF à poursuivre et à effectuer en 1976 et 1977 des commandes de réacteurs nucléaires pour une puissance totale de 12 000 MW.

La politique nucléaire est à la rencontre de deux besoins d’indépendance français : indépendance de la Défense, indépendance de notre approvisionnement en énergie

Malgré ce temps de latence, il n’y eut aucune coupure avec le plan Messmer. Le chef d’État fit venir à l’Élysée son conseiller des affaires économiques et industrielles, François de Combret, avec qui il travaillait depuis 1972. Alors que généralement les nouveaux conseillers, lors des changements d’équipes ministérielles, se retrouvent dans un bureau vidé de tout dossier, François de Combret avait reçu de son prédécesseur, Bernard Ésambert, tous les documents des affaires industrielles de la présidence. « Bernard Ésambert m’a  tout appris, il n’y a pas eu de discontinuité entre ce qu’a fait Pompidou et ce qu’a fait Giscard d’Estaing, d’autant que celui-ci avait été associé à cette politique en tant que ministre des Finances » [5].

Cette continuité s’est aussi illustrée par la poursuite des programmes de réacteurs à neutrons rapides à caloporteur sodium (RNR-Na) puisque l’autorisation de la création de la NERSA, la société anonyme (SA) responsable de l’exploitation de la centrale de Creys-Malville (Superphénix), se fait sous sa présidence et que son premier ministre, Jacques Chirac, autorise en 1976 le lancement de la commande de Superphénix, le réacteur RNR-Na le plus puissant (1 240 MW) jamais opéré dans le monde.

Indépendance énergétique et stratégique

« La politique nucléaire est à la rencontre de deux besoins d’indépendance français : indépendance de la Défense, indépendance de notre approvisionnement en énergie. En 1985, si nous n’avions pas de développement d’électricité nucléaire en France, les Français achèteraient à l’extérieur 85 % de l’énergie qu’ils consomment », faisait valoir le président de la République à Pierrelatte en juillet 1977.

Concernant l’autonomie stratégique, le hasard du calendrier a voulu que quelques jours après le décès de Valéry Giscard d’Estaing, Emmanuel Macron annonce, le 8 décembre dernier, au Creusot, la construction d’un nouveau porte-avions à propulsion nucléaire destiné à remplacer le Charles de Gaulle qui achèvera sa carrière en 2038. Le Charles de Gaulle, qui devait au départ être baptisé du nom d’une région, en l’occurrence « Bretagne » ou « Provence », est le premier bâtiment de surface européen à propulsion nucléaire. Bien que l’ordre de construction ne fût signé qu’en 1986, la décision remonte au Conseil de défense du 23 septembre 1980.

Accélération du programme nucléaire

À la fin des années 1970, l’Élysée considérait que le programme de construction des centrales nucléaires prenait du retard inutilement et qu’il était nécessaire d’accélérer les procédures administratives. Cela s’était notamment traduit par le départ de Paul Mentré, alors délégué général à l’énergie. « Paul Mentré, confiait le numéro un d’EDF de l’époque Marcel Boiteux en 2010 [6], n’était pas contre le nucléaire, mais il trouvait que nous en faisions trop. Il a eu peut-être raison, mais trop tôt ! À mes yeux c’est cinq ou six ans plus tard que l’on a continué à faire trop de mégawatts nucléaires. Pour ma part, si j’avais été sûr d’avoir durablement la liberté de choix, j’aurais sans doute préféré réaliser quatre tranches par an plutôt que six mais continuer plus longtemps ». Dix-neuf réacteurs à eau pressurisée de 900 MW ont été mis en service entre 1977 (Fessenheim) et 1981 (Blayais). Lorsque les socialistes, avec François Mitterrand, sont arrivés au pouvoir en 1981, l’énergie nucléaire assurait 37 % de la production d’électricité nationale avec 21 600 MW de puissance installée et 29 800 MW en construction dont les premières tranches du palier P4 (1 300 MW). En raison de la revue à la baisse des estimations de la consommation électrique nationale et d’une situation économique moins favorable, le programme nucléaire sera ralenti sous le premier mandat de François Mitterrand (1981-1988).

Dates-clés

2 février 1926 | Naissance à Coblence, en Allemagne
1946-1948 | Ecole polytechnique
1949-1951 | Ecole nationale d’administration (ENA)
8 janvier 1959 | Secrétaire d’État aux Finances à moins de 33 ans
1962-1966 | Ministre des Finances et des affaires économiques
19 mai 1974 | À 48 ans, Valéry Giscard d’Estaing devient le plus jeune président de la Ve République
10 mai 1981 | Avec 48,2 % des suffrages exprimés contre 51,8 %, il est battu au second tour de l’élection présidentielle par François Mitterrand
2001-2003 | Il préside la Convention sur l’avenir de l’Europe dont l’objectif est la rédaction de la Constitution européenne
11 décembre 2003 | Élu à l’Académie française au fauteuil de Léopold Sédar Senghor
2004 | Il commence à siéger au Conseil constitutionnel
2 décembre 2020 | Il décède dans sa propriété d’Authon dans le Loir-et-Cher, à l’âge de 94 ans

Notes et références

[1] Désigne en fait 45 réacteurs nucléaires, une centrale accueille généralement plusieurs réacteurs. 58 réacteurs vont être construits sur 19 centrales nucléaires.

[2] Elections remportées par François Mitterrand.

[3] Président de la République du 27 mai 1974 au 21 mai 1981.

[4] L’énergie de la France : de Zoé aux EPR, l’histoire du programme nucléaire français, Boris Dänzer-Kantof & Félix Torres, 2013.

[5] Ibid.

[6] Boris Dänzer-Kantof & Félix Torres, 2013.

Par Gaïc Le Gros, Sfen – Photo © Communautés européennes, 1975.- Valéry Giscard d’Estaing