Un plan de 80Mds$ pour soutenir la relance nucléaire américaine - Sfen

Un plan de 80Mds$ pour soutenir la relance nucléaire américaine

Publié le 12 novembre 2025

Washington envisage la construction de 8 à 10 nouveaux réacteurs AP-1000 grâce à un accord d’investissement qui serait en partie financé par l’accord commercial signé avec le Japon. La réalisation de ces ambitions demande un important effort de planification et la mobilisation de nombreux partenaires.

Forte de ses objectifs renforcés pour le nucléaire civil, l’administration Trump a envoyé un signal fort à la filière par la conclusion d’un accord à 80 milliards de dollars avec Westinghouse. Ce « deal », annoncé le 28 octobre, pourrait relancer le développement domestique de réacteurs AP-1000 et signer l’entrée du gouvernement fédéral au capital de l’entreprise. De nombreux détails restent cependant à préciser : en premier lieu l’implication du Japon, partenaire réticent du projet ; ainsi que la coordination technique et financière de ce grand plan.

Un montage financier complexe

L’accord d’investissement présente des modalités assez complexes. Washington s’engage à réunir des financements publics et privés afin de passer commande de réacteurs pour une valeur d’au moins 80Mds$, en priorité des AP-1000, possiblement aussi des SMR. En contrepartie, l’État fédéral a négocié l’obtention d’un intérêt de participation de 20 % aux profits de Westinghouse (au-delà de 17,5Mds$ réservés aux copropriétaires Brookfield et Cameco). Cet intérêt pourra être converti en parts du capital lors d’une introduction en bourse, à condition que la valeur de l’entreprise dépasse 30Mds$ avant 2029.

Une autre complexité réside dans la source pressentie des financements publics et privés du plan, qui serait à chercher, selon l’administration Trump, du côté de l’accord commercial avec le Japon. Tokyo a promis 550Mds$ d’investissements aux États-Unis en échange de droits de douane réduits. D’après une liste de projets potentiels dévoilée fin octobre, cette somme pourrait intégrer plus de 100Mds$ à destination de réacteurs de Westinghouse, mais aussi des projets SMR avec NuScale.

Un jalon essentiel pour soutenir la filière

Ce plan a toutes les allures de ce que le quotidien Les Échos décrit comme une « avance de fonds » du Japon, destinée à revigorer la filière nucléaire américaine de réacteurs à eau pressurisée, qui restait sans horizon sur son périmètre domestique. Dans une interview à CNBC le PDG de Brookfield a lui aussi souligné qu’il considérait que cet accord était un signal fort plutôt par les perspectives qu’il ouvrait pour la chaine de sous-traitance que par son montant, en vue de la constitution d’une « plateforme industrielle » qui serait « auto-suffisante sur une longue période ».

Une vision qui ne manquera pas d’intéresser certains des autres acteurs qui ont récemment pris des engagements sur des réacteurs de ce type. La start up texane Fermi a ainsi passé une pré-commande de 4 réacteurs AP1000 pour un site entièrement dédié à des centres de données pour alimenter la croissance de l’intelligence artificielle, qui s’appuie pour l’instant sur des financements et sous-traitants sud-coréens. Brookfield n’est pas en reste, puisque le groupe canadien vient de décrocher le marché pour terminer la construction de deux réacteurs à la centrale de VC Summer en Caroline du Sud, qui pourrait également impliquer Westinghouse.

Incertitudes sur la mise en œuvre

Le gouvernement américain a promis tout l’appui financier et réglementaire pour concrétiser cet accord d’investissement, sans en dissiper toutes les zones d’ombre. Une note du Center for Strategic and International Studies (CSIS) indique que le circuit par lequel les investissements promis par le Japon pourraient arriver aux États-Unis passerait par l’agence de crédit export NEXI et la banque publique JBIC. En revanche, aucun détail pour l’instant sur la façon dont Washington entend structurer le financement de ses projets pour attirer des investisseurs privés ; ni sur le partage des risques entre la partie japonaise et ses partenaires américains ; ou encore sur les futurs acheteurs de l’électricité, dont on pressent seulement qu’ils seraient du côté des nouvelles technologies. Des points à éclaircir sous un délai contraint, puisqu’il n’existe aucune garantie que l’accord commercial avec Tokyo survivra au terme du second mandat de l’administration Trump.

Symbole de ce flou, la presse japonaise s’est fait écho des doutes de plusieurs ministres quant à la concrétisation des projets américains et le réel niveau d’engagement des capitaux nippons au côté de Washington. Du côté du secteur privé, le président de Mitsubishi Heavy, important fournisseur de pièces de fonderie, a aussi rappelé que son entreprise ne s’engagerait que sur des critères commerciaux, et donnerait toujours la priorité aux projets domestiques.

Gestion de projets

Le gouvernement américain doit maintenant transformer son succès d’intermédiaire industriel et diplomatique en une gestion de projets efficace. Un effort de concrétisation qui, rappellent les analystes du CSIS, implique de tendre la main aux partenaires habituels des projets nucléaires aux États-Unis : opérateurs et distributeurs d’électricité, mais aussi grands donneurs d’ordre dans la maitrise d’ouvrage. Pour ces derniers, une récente interview du PDG de Bechtel au Financial Times donne une idée des attentes.

Le groupe d’ingénierie spécialisé, qui avait repris les chantiers Vogtle 3 et 4, se dit prêt à prendre davantage de risques pour relancer une dynamique industrielle dans la construction de réacteurs. En échange, l’entreprise souhaite, non pas tant des subventions fédérales, que des estimations précises sur les coûts totaux et un mécanisme incitatif pour la prise en charge des dépassements, afin de lancer des projets aux perspectives commerciales crédibles. Après les effets d’annonce, l’administration Trump peut donc gagner la confiance de la filière en tenant ses promesses sur le plan de la planification. ■

Par Paul Laurent, journaliste

Image : Donald Trump, Président des États-Unis, et Chris Wright Sécrétaire à l’Énergie. @ ANNA MONEYMAKER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GETTY IMAGES VIA AFP