Tchernobyl, 30 ans après - Sfen

Tchernobyl, 30 ans après

Publié le 18 avril 2016 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Tchernobyl, 26 avril 1986. Quel regard porter 30 ans après ? Celui de l’historien, de l’ingénieur, du physicien, du citoyen ? Quelles leçons tirer ?

1986, l’accident

Un retour d’abord sur les causes et les circonstances. Durant la guerre froide, les Etats-Unis et l’URSS empruntèrent des chemins différents pour leur nucléaire civil. Les ingénieurs soviétiques développèrent la filière des réacteurs RBMK, dérivés des premières piles atomiques. Faute de contacts Est-Ouest, ces réacteurs robustes ne bénéficièrent pas de la même sûreté nucléaire que leurs homologues occidentaux : les RBMK ne possédaient pas d‘enceinte de confinement, leur fonctionnement pouvait être instable aux faibles puissances…

Ces fragilités ne furent pas la raison première de l’accident. Les opérateurs désactivèrent malencontreusement les systèmes de sécurité lors d’un essai à faible puissance alors que le réacteur était instable. De ce fait, Tchernobyl reste l’unique accident où le contrôle des fissions nucléaires fut perdu. Celles-ci s’emballèrent. Une explosion de vapeur souleva la dalle du bâtiment, le volumineux modérateur de graphite s’enflamma. L’incendie dura une semaine. Du réacteur éventré s’échappait un flux mortel de radiations. Dans l’urgence, des pilotes d’hélicoptères déversèrent au péril de leur vie 5 000 tonnes de sable, de plomb et du bore.

A Moscou, Mikhail Gorbatchev, le nouveau premier secrétaire du Parti Communiste a fort à faire avec sa perestroïka. Sa politique de transparence se heurte aux vieilles habitudes. L’accident fut gardé secret plusieurs heures. Les 50 000 habitants de Prypiat, à 3 km de la centrale, attendirent 36 heures avant d’être évacués et furent exposés aux isotopes à courte durée de vie, les plus radioactifs. Plus au nord en Biélorussie, des kolkhoziens non informés vendirent plusieurs jours sur les marchés lait et légumes contaminés…

 

Les conséquences sanitaires de l’iode et du césium

Les principaux atomes responsables des expositions à la radioactivité furent les isotopes radioactifs de l’iode et du césium. Les premiers, en particulier l’iode-131 disparurent en quelques mois mais furent à l’origine de cancers de la thyroïde qui frappèrent plusieurs milliers d’enfants et d’adolescents, notamment en Ukraine et Biélorussie. Ces cancers très rares à cet âge de la vie, sont clairement imputables à l’iode radioactif. La France et l’Europe soignèrent beaucoup de ces jeunes malades, avec un taux de succès proche de 100 %. Mais l’interrogation demeure : ces guérisons seront-elles définitives ? Par ailleurs, on continue en 2016 d’attribuer de nouveaux cancers de la thyroïde à Tchernobyl, alors que le dernier atome éphémère d’iode-131 a disparu courant 1987…

Les césiums radioactifs, césium 134 et surtout césium-137, constituent la seconde source d’exposition. Le premier a disparu. Le césium-137 a diminué de moitié en 30 ans. Il émet des rayons gamma et irradie surtout à distance. Faciles à détecter, ils ont permis de dresser des cartes précises des dépôts radioactifs. En dehors des environs de Tchernobyl, les dépôts les plus importants ont touché les districts de Moguilev et Gomel, deux villes en Biolorussie. En 1986, les dépôts de césium (et d’iode) sur l’herbe et les feuillages contaminèrent des aliments. Les années suivantes, l’absorption par les plantes des atomes de césium se fit par les racines et devint beaucoup moins efficace. Selon l’IRSN, la contamination du lait, de la viande, des légumes aurait alors été divisée par plus de 100 !

Quelles furent les conséquences sanitaires ? L’AIEA et l’IRSN dénombrèrent 134 syndromes d’irradiation aiguë et 28 décès parmi les héroïques pompiers et liquidateurs exposés les premiers jours à des doses très importantes. L’effet des radiations sur les personnes moins touchées continue d’être l’objet d’une intense polémique. Leur nombre reste extraordinairement incertain. On pourrait transposer à ce sujet, la morale de la fable de la Fontaine :

« Selon que vous serez pro ou anti-nucléaire,

Le nombre des victimes passera du blanc au noir. »

Les estimations du nombre de cancers causés par les rayons varient de quelques milliers à 985 000 ou plus. Le premier chiffre est celui fourni par les experts de l’AIEA et de l’UNSCEAR. Le second chiffre est si élevé que si l’on devait multiplier également par 100 ou plus les effets de la radioactivité naturelle et des radiographies et scanners, notre humanité subirait de terribles hécatombes.

Il s’agit de résultats de calculs et non d’un nombre de victimes constatées. Les cellules cancéreuses ne possèdent pas dans leur ADN de signature reliant le cancer à des rayons reçus 20 ans plus tôt ! On ne connaît pas l’effet des faibles doses auxquelles a été exposée la majorité des populations, surtout loin de Tchernobyl. Les spécialistes ne peuvent que calculer un effet moyen. N’ayant pas d’informations sur les effets des faibles doses, ils s’appuient sur les connaissances recueillies dans le domaine des doses moyennes et fortes et font l’hypothèse que l’effet est en proportion de la dose.

Une conséquence dramatique de Tchernobyl a été le déplacement de populations entières. Une zone d’exclusion de 30 km autour de la centrale a été tracée. Au total, 350 000 personnes eurent à subir le traumatisme d’un déracinement imposé du jour au lendemain, dont 116 000 habitants de la zone d’exclusion. Le traumatisme subi par les liquidateurs et les populations proches d’Ukraine, Biélorussie et Russie a été très important. Les angoisses ressenties, le fatalisme, ont coïncidé avec la dégradation des conditions de vie dans l’ensemble de l’ex-Union Soviétique. Durant la période Eltsine, l’espérance de vie s’y est dégradée d’une manière alarmante passant pour les hommes, de 65 ans en 1987 à 61 ans en 1998.

 

La situation sur place

Dans la zone d’exclusion, le règne animal a pris la place de l’homme. Ce vaste no-man’s land de près 3 000 km2 est devenu une réserve foisonnante de vie et regorgeant d’espèces qui y règnent en maître. Les élans, les daims, les sangliers se sont multipliés avec à leur suite des loups, ainsi que des centaines d’espèces d’oiseaux… Selon un radioécologiste ukrainien, les animaux occupent leurs territoires sans se préoccuper de radiations qu’ils ressentent peu : « Il y a peut-être du plutonium dans la zone, mais il n’y a pas d’herbicide ou de pesticide, d’industrie, de circulation et les marais ne sont pas asséchés… ».

Après la faune sauvage qui a reconquis la zone inhabitée, les environs de la centrale deviennent aujourd’hui l’objet d’un tourisme insolite. La radioactivité a décru, de gros efforts de décontamination ont été faits. En 2014, des touristes d’un genre nouveau, vêtus de blanches combinaisons, se prennent en photo dans le parc de loisirs de la ville fantôme de Prypiat.

Le sarcophage érigé à la hâte pour recouvrir le réacteur béant et protéger l’environnement a vieilli. La construction d’une arche de confinement a été entreprise. Cette arche métallique de 18 000 tonnes, 105 m de haut, 150 m de long et 257 m de portée, assemblée à l’ouest du réacteur accidenté, sera déplacée de 200 m sur rails pour coiffer le sarcophage. A terme, elle permettra le démantèlement du réacteur. Les travaux ont été engagés fin 2010 avec une mise en service prévue en 2017. Le financement bénéficie d’un soutien important de l’Union Européenne. Les travaux ont été retardés par le conflit survenu dans l’est de l’Ukraine. Cependant, les fondations avaient été achevées à la mi-août 2014.

 

Les leçons de Tchernobyl

L’analyse de l’accident nucléaire de Tchernobyl aura fait prendre conscience à l’ensemble de la communauté nucléaire la nécessité d’agir vite et en toute transparence lorsque de telles situations surviennent.

Trois ans après l’accident en 1989, les exploitants de centrales du monde entier ont créé WANO, un organe d’échange et de dialogue indispensable à l’amélioration de la culture de sûreté. Des conventions internationales ont été conclues dans le cadre de l’AIEA et de l’Union Européenne qui assurent l’assistance en cas de situation d’urgence radiologique.

Par exemple, depuis Tchernobyl, il est désormais acquis que des comprimés d’iode stable doivent être ingérés pour prévenir l’apparition de cancers de la thyroïde. La France organise en ce moment sa 5ème campagne de distribution de comprimés d’iode.

En France et dans le monde, les industriels du secteur s’emploient chaque jour à assurer le plus haut niveau de sûreté. Conscients de l’impact environnemental et du traumatisme lié à l’évacuation des populations, ils mettent en place des dispositifs adaptés permettant de contenir la radioactivité en cas d’accident grave. 

Crédit photo – DR

Publié par Christian de la Vaissière, Directeur de Recherches au CNRS/IN2P3

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