“La sûreté nucléaire est notre priorité”, Sylvie Richard
A quoi ressemble le quotidien du Directeur d’unité d’un CNPE ? Et quand on est l’une des deux femmes à occuper ce poste en France ? Quelles sont les spécificités de la centrale du Tricastin ? Pour avoir toutes ces réponses, Vincent Testard, Guillaume Vaast et Perrine Tudela sont allés à la rencontre de Sylvie Richard, Directeur d’unité du CNPE Tricastin.
Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre parcours professionnel ?
Sylvie Richard – Ingénieur de l’Ecole Nationale Supérieure de Techniques Avancées (ENSTA ParisTech), je commence ma carrière en 1996 à EDF à la Division Production Nucléaire, à la Branche Combustible de l’Unité Nationale d’Ingénierie du Parc en Exploitation, en tant qu’ingénieur neutronique combustible. Je suis alors en appui opérationnel aux Centres Nucléaires de Production d’Electricité (CNPE) français sur les domaines combustible, neutronique et pilotage des réacteurs nucléaires.
En 2000, je prends des fonctions de responsable de regroupement dans cette même unité, encadrant l’équipe dans laquelle j’étais ingénieur. En 2001, je rejoins le CNPE de Dampierre en Burly comme Chef de Service Déléguée dans les domaines Automatismes et Essais. En 2004, toujours au CNPE de Dampierre en Burly, je prends la direction du Service Maintenance Machines Tournantes, qui deviendra par la suite le Service Machines Tournantes Electricité puisque j’organise le rapprochement de mon service avec le service Electricité autour d’une approche électromécanique de la maintenance.
En 2007, je quitte le CNPE de Dampierre en Burly pour rejoindre le CNPE de Fessenheim en tant que Directrice de cabinet en charge du pilotage de l’unité et des relations avec les parties prenantes. Je mets en œuvre un système de management intégré basé sur les principes de l’EFQM (European Foundation Quality Management). Je suis également Chef de Projet OSART de 2007 à 2008 afin de préparer une mission d’évaluation de la Sûreté réalisée par l’AIEA à la demande de l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Puis je reprends des études en 2008 et obtiens également un diplôme de Master of Business and Administration (MBA) de l’IMD Lausanne en 2009.
En 2010, je retourne à des activités à nouveau proches de l’exploitation avec ma nomination en tant que Directrice Déléguée Maintenance au CNPE du Tricastin, en charge en particulier des opérations de maintenance lors des arrêts des unités.Au 1er novembre 2013, je suis nommée Directrice d’unité du CNPE du Tricastin. Enfin, j’ai 40 ans et suis maman de 2 garçons.
Pourriez-vous nous décrire succinctement votre journée-type en tant que Directeur d’unité de centrale nucléaire ?
SR – La journée type c’est savoir doser le local/national ; l’interne/externe. Pour le local interne c’est rester connectée au terrain en particulier par la présence en réunion (ou audio) sur l’arrêt en cours et le point des quatre unités de production réalisé par le chef d’exploitation. C’est aussi aller sur le terrain, en proximité des managers ou encore pour suivre les activités d’exploitation, de maintenance ou de logistique sur le site.
Pour le national externe, c’est participer aux instances de pilotage stratégique de la division production nucléaire et représenter le site vis-à-vis des parties prenantes (riverains, élus, collectivités…).
Avez-vous ressenti une différence à votre changement de poste ? Quels sont les avantages et inconvénients d’être une femme à ce poste ?
SR – La différence principale réside dans la capacité à être vigilante au bon équilibre local/national/interne/externe. Etre une femme ou un homme n’est pas forcément si différent dans l’approche avantage/inconvénient. Toutefois, le fait de n’être que deux femmes sur 19 dirigeants actuellement peut parfois accentuer notre sollicitation. A titre plus personnel, en tant que mère de famille, cela nécessite bien sûr une organisation appropriée, comme doit le faire également un père de famille.
Les tranches ayant plus de 30 ans, comment sont intégrées les nouvelles technologies ?
SR – La sûreté nucléaire est notre priorité. Les nouvelles technologies sont intégrées lorsque nous pouvons garantir qu’elles apportent un plus en terme de sûreté. Ce type de modification a généralement lieu lors des visites décennales.
Avez-vous des problèmes d’obsolescence pour certains appareils ?
SR – A Tricastin tous les gros composants ont été changés ces dernières années. Par exemple, les générateurs de vapeur qui sont en cours de changement à Cruas ont été changés à Tricastin entre 1997 et 2004. A la conception, nous avons contractualisé avec certains fournisseurs pour qu’ils garantissent un approvisionnement sur la durée de vie de l’installation. De plus, il existe en relation avec notre niveau d’ingénierie national un programme qui prend en compte des recherches de substitution de composants pour prévenir l’obsolescence.
Avec l’arrêt de l’usine Georges Besse 1 d’enrichissement d’uranium d’AREVA exploitée par EURODIF Production, comment s’est fait le transfert de la production électrique du CNPE de Tricastin vers le réseau national géré par RTE ?
SR – Toute l’énergie produite est désormais livrée en permanence sur le réseau de transport d’électricité, ce qui auparavant n’était le cas que de manière partielle ou intermittente. Cette mise à disposition du réseau de l’ensemble de l’énergie produite était prévue depuis l’annonce de la fermeture d’Eurodif. Il n’y a pas eu besoin de réaliser des modifications techniques, seulement des évolutions de gestion de matériels entre AREVA et EDF.
Pour enrichir en isotope 235 fissile l’uranium naturel, AREVA a utilisé, depuis 1979 sur le site du Tricastin, la technologie de diffusion gazeuse dans l’usine Georges Besse d’EURODIF. A pleine capacité, l’usine EURODIF était alimentée par l’électricité produite par 3 des 4 réacteurs 900 MWe de la centrale EDF du Tricastin, via un des plus grands champs de transformateurs au monde situé sur le site du Tricastin. En 2012, AREVA a remplacé l’usine EURODIF par l’usine Georges Besse 2 exploitée par la Société d’Enrichissement du Tricastin (SET), utilisant la technologie de centrifugation pour la séparation isotopique de l’uranium. Avec ce procédé, AREVA a divisé par 50 la consommation d’électricité auparavant nécessaire.
Pouvez vous revenir sur l’incident ayant conduit à une fuite de tritium, survenu en novembre 2013, en nous expliquant le contexte, ainsi que les actions curatives immédiates puis préventives qui ont été prises ?
SR – La Direction de la centrale EDF du Tricastin a présenté le 13 décembre 2013, dans le cadre de la CLIGEET (Commission Locale d’Information des Grands Equipements Energétiques du Tricastin), le détail du plan d’action qui est mené depuis le mois de juin pour identifier l’origine de la variation d’activité en tritium dans l’enceinte () située sous la centrale et mener les actions nécessaires pour un retour à la normale.
Dès la détection de la variation de l’activité en tritium, la direction de la centrale a mis en place un plan de surveillance renforcé des eaux, à la fois dans l’enceinte dite géotechnique et dans la nappe phréatique.
Les mesures ont démontré que la variation de tritium dans l’enceinte géotechnique, n’a pas été accompagnée d’une variation dans la nappe phréatique et est donc sans impact environnemental.
La faible variation d’activité en tritium mesurée a nécessité des investigations poussées et la mobilisation de nombreux professionnels et experts (hydrogéologue, génie civil…).
Les investigations menées ont permis de déterminer l’origine de cette variation. Celle-ci serait due à un défaut d’étanchéité sur un joint situé entre un local périphérique et le bâtiment réacteur n°3. Ce joint inter- bâtiment a été restauré.
Par mesure de prévention, la direction a décidé de réaliser un contrôle de l’ensemble des joints similaires (l’équivalent de plusieurs dizaines de kilomètres)
Par ailleurs, après accord de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, trois nouveaux puits de contrôles (piézomètres) ont été installés à l’intérieur de la centrale afin de renforcer le dispositif de surveillance des eaux de l’enceinte géotechnique.
Ces dispositions ont permis un retour à la normale.
Comment communiquez-vous en tant que Directeur, vis-à-vis des parties prenantes externes (élus locaux, associations, CLIGEET, etc) ?
SR – Nos relations sont régulières. Au-delà des supports institutionnels (lettre externe, site internet, réunions de la CLIGEET…) nous saisissons toutes les occasions pour favoriser la proximité et la bonne compréhension de nos enjeux réciproques. Cela peut passer par des rencontres formelles et informelles, des visites, des échanges téléphoniques, , etc.
Comment voyez-vous, en local, l’interaction entre la SFEN, WIN [1] et le réseau NGN [2] interne à EDF ?
SR – Certains de nos jeunes du réseau NGN sont adhérents de la SFEN. Nous avons accueilli la SFEN sur le site pour réaliser des conférences et les contacts sont entretenus régulièrement entre les 3 parties.
WIN : Women In Nuclear
NGN : Nouvelle Génération Nucléaire, réseau de jeunes embauchés EDF