La stratégie de l’équipe de France pour 2030
La semaine dernière, la filière nucléaire française était réunie au Palais Brongniart pour la convention annuelle de la SFEN. L’occasion pour les dirigeants de présenter leurs ambitions et leur stratégie pour le secteur. Xavier Ursat et Dominique Minière d’EDF, Christophe Béhar, Président de la SFEN et Bernard Fontana d’AREVA, ont affiché une vision commune pour le nucléaire français dans les prochaines décennies.
Les défis sont nombreux : grand carénage, rénovation du parc nucléaire français et étranger, réalisation de l’EPR nouveau-modèle, financement, etc. Les dirigeants du secteur sont unanimes : en 2030, le nucléaire français sera compétitif ou il ne sera plus.
Quand le court terme hypothèque l’avenir
Actuellement, les prix bas du marché de l’électricité découragent les investissements de long terme et fragilisent l’ensemble des énergéticiens européens, « pourtant les seuls en capacité de financer des programmes de maintenance et de renouvellement du parc électrique européen » s’inquiète Xavier Ursat, patron du nouveau nucléaire d’EDF. « En trois mois, les prix ont baissé de 20-30 %, c’est l’ordre de grandeur » ajoute Dominique Minière, Directeur du parc nucléaire et thermique de l’électricien.
Ce dernier rappelle que « n’en déplaise aux Cassandres pour qui l’humanité devra choisir entre deux chaos », social avec la décroissance et environnemental avec le changement climatique, l’énergie est un sujet de long terme. « Dans le secteur de l’énergie, l’immédiateté ne doit pas guider la politique de long terme. Lorsqu’on analyse les tendances, on observe qu’il pourrait y avoir une remontée du prix du marché de l’électricité progressivement, voire brutalement, comme on a eu une baisse brutale, à l’horizon 3-4 ans. Il faut donc faire très attention et ne pas se dire que comme rien n’est rentable, on ferme, on ne commence pas de nouveau nucléaire, on ne fait rien, et on attend que les prix remontent. Sauf que le jour où les prix remonteront… Là, on sera très mal… » prévient Dominique Minière avant d’ajouter : « le long terme doit guider l’action pour passer ces temps difficiles ». Autrement dit, les prix de l’électricité très faibles ne doivent pas empêcher EDF d’investir pour la rénovation ou le renouvellement de son outil industriel en France et à l’étranger.
Objectif n°1 : compétitivité
La filière nucléaire se réorganise autour d’un objectif : proposer un service plus compétitif que ses concurrents. Pour Xavier Ursat, « les exigences en matière de sûreté, de performance industrielle, de compétitivité, d’intensité capitalistique, de durée de retour sur investissement font que seuls les 3-4 meilleures industries seront en capacité de développer le nucléaire dans le monde. Demain, on n’achètera pas de réacteur à une filière qui sera 15-20 % plus chère ou qui serait un peu en retrait sur sa performance industrielle ». Face à la montée en puissance des concurrences chinoise, russe, américaine et coréenne, la France est dans l’obligation de se réinventer.
Les capitaines d’industrie ne doutent pas que le pays puisse y arriver. « La France a réussi ce défi il y a 40 ans en construisant le parc dans un temps record. C’est la plus belle réussite industrielle française. Il faut montrer qu’il est possible de faire la même chose dans le contexte des années 2020 » martèle Xavier Ursat. Même optimisme chez Dominique Minière qui fait également référence aux bâtisseurs du nucléaire : « Quand on a construit le parc nucléaire français, on a industrialisé du copier-coller. On a bénéficié de l’effet d’échelle. C’est ce qu’il faut refaire ».
Les ingrédients de la compétitivité
Pour le Directeur du nouveau nucléaire d’EDF, six ingrédients conditionnent la capacité du nucléaire à être compétitif : disposer d’un modèle de réacteur, avoir une filière efficace, développer l’effet de série, encourager l’innovation technologique, organisationnelle et partenariale, développer des compétences, et surtout respecter les engagements pris, en particulier les délais de construction.
C’est sur ce dernier point que Xavier Ursat insiste plus particulièrement : « Soyons lucides, ce qui nous fragilise c’est aussi les difficultés que nous avons rencontrées, avec des projets qui ont pris du retard, qui coûtent plus cher que prévu ».
Livrer les projets dans les temps et dans le budget imparti conditionne la capacité de la filière à trouver des financements. « Le modèle d’activité du nucléaire n’est pas standard, rappelle Xavier Ursat. C’est un modèle d’activité dans lequel on choisit d’investir des milliards d’euros, de les dépenser sur une période de 7 à 10 ans suivant les études préliminaires que vous avez à conduire, pour ensuite gagner votre vie entre la 11e et la 71e année ».
La solution s’appelle « EPR NM »
Depuis plusieurs mois, les équipes d’ingénierie d’AREVA et d’EDF travaillent ensemble pour concevoir l’EPR Nouveau-modèle, « navire amiral » de la filière. Ce réacteur de troisième génération doit répondre à l’exigence de compétitivité du secteur. « L’objectif, rappelle Xavier Ursat, est de baisser les coûts et de rendre l’EPR NM plus facile à construire et à industrialiser ». Pour y parvenir, tous les acteurs de la chaîne de valeur sont sollicités. « EDF travaille déjà avec des génie-civilistes de manière à ce que les innovations de chaque entreprise soient embarquées dès maintenant et pas uniquement lorsque l’on en sera au design détaillé » ajoute-t-il.
La simplification du design doit aussi permettre de faciliter et d’accélérer l’industrialisation du modèle, un prérequis pour faciliter son déploiement à grande échelle. Le souhait de Xavier Ursat est de « faire en sorte que l’EPR NM soit dans le marché [NDLR : compétitif] à l’horizon de la fin de la décennie prochaine pour les mises en service. Nous aurons à jouer sur les effets de série. Le renouvellement du parc français devra être fait sur le même modèle que le premier parc : faire un copier-coller des réacteurs ».
Il y a quelques mois, Jean-Bernard Levy, PDG d’EDF, indiquait qu’en 2050, « plusieurs dizaines » d’EPR NM seraient mises en service à travers l’Hexagone.
Le rôle du nouvel AREVA
A quelques semaines de l’envoi d’une offre ferme d’EDF pour l’acquisition d’une part majoritaire dans AREVA NP – opération qui se finalisera début 2017 -, EDF construira une société d’ingénierie commune avec AREVA qui sera chargée de concevoir et construire la partie îlot nucléaire. « Une manière d’avoir les forces réunies dans une même structure » s’enthousiasme Xavier Ursat.
Ce rapprochement est une bonne chose qui permettra en outre de consolider l’offre française à l’export : « AREVA NP intervient sur 330 réacteurs à travers le monde » rappelle Bernard Fontana, Directeur général délégué d’AREVA NP.
Le nouvel AREVA s’articule autour de cinq activités : les services au réacteur, l’équipement, le combustible, le contrôle commande et les grands projets. « L’ensemble sera soutenu par une direction technique ingénierie qui soutiendra les grands programmes autour de l’EPR NM ».
Forte de 15 000 collaborateurs, AREVA NP sera également un atout à l’export.
Hinkley Point : une opportunité à saisir
Xavier Ursat en est convaincu, le marché intérieur ne sera pas suffisant pour maintenir le leadership de la filière française. Il faut donc que « l’équipe de France » parte à la conquête de marchés extérieurs. « Je ne crois que l’on puisse être demain un grand acteur du nucléaire en étant uniquement présent dans un seul pays » analyse M. Ursat.
La stratégie d’EDF, devenu chef de file de la filière, est d’exporter le savoir-faire et donc de mener à bien le projet de construction de deux réacteurs EPR sur le site britannique de Hinkley Point et plus largement, de s’investir dans le programme de rénovation du parc nucléaire outre-Manche. « Une opportunité exceptionnelle. EDF est extrêmement engagée pour aller au plus vite à la signature de la décision d’investissement d’Hinkley Point C. Ce projet est une carte de visite extraordinaire pour aller sur d’autres marchés : l’Inde, l’Afrique du Sud, et certains pays de l’Est » souligne Xavier Ursat.